«JE PENSE QU’ON A VRAIMENT REUSSI NOTRE FESPACO»
HORIZON Mamadou Dia, réalisateur

Il était attendu pour l’Etalon d’or de Yennenga, finalement «Baamum Nafi» va se contenter du Prix spécial Uemoa du meilleur long métrage fiction. Son réalisateur, Mamadou Dia, préfère relativiser. Il s’applique la devise de Coubertin. «Voir des gens dans la rue qui saluent Alassane Sy qui a interprété Thierno, Aicha qui a joué Nafi, qui les applaudissent, c’est ça notre gain, notre victoire», a déclaré Mamadou Dia. Face au désir du géant Netflix de pénétrer le marché africain, Mamadou Dia estime qu’il s’agit là d’un phénomène inéluctable.
Baamum Nafi n’a pas eu l’Etalon d’or de Yennenga. Etes-vous déçu ?
Non ! Je suis très content que le film ait pu arriver au Fespaco. C’est un film que nous avons fait avec nos propres moyens. C’est une autoproduction. Nous avons travaillé sans soutien extérieur. C’est au montage qu’on a eu le soutien du Fopica. Baamum Nafi a eu une très belle vie avant. Il est sorti en 2019 à Locarno où il a gagné deux Léopards d’or. Il a eu des prix en Belgique, au Sénégal et dans beaucoup d’autres pays. Il est sorti en salle en France, au Sénégal. Pour nous, être présents au Fespaco, voir les téléspectateurs adorer le film, voir des gens dans la rue qui saluent Alassane Sy qui a interprété Thierno, Aïcha qui a joué Nafi, qui les applaudissent, c’est ça notre gain, notre victoire.
Quels sont vos projets dans l’immédiat ?
J’essaie de travailler sur une autre histoire qui n’est pas encore aboutie. J’en suis à l’étape de recherche. Dans notre compagnie de production Joy & Diddy que j’ai créée avec Maba Ba, on cherche d’autres projets. On veut trouver des gens qui ont des scénarios et qui seraient prêts, comme nous, à travailler sans apport extérieur car il y a plein de scénarios à Dakar.
Le succès de Baamum Nafi n’impacte pas votre prochain film ?
En théorie, oui ! Quand on fait un film en équipe, l’idée c’est que le prochain sera plus facile à faire. Pour le moment, je n’ai pas encore de soutien ou je n’ai pas encore demandé. Mais j’ai aussi entendu des gens dire que le deuxième film est encore beaucoup plus dur car il est attendu, parce qu’on veut savoir si le premier était une erreur ou une œuvre. Mais je ne sens pas la pression parce qu’il n’y a pas deux œuvres identiques. Une œuvre filmographique, c’est une équipe différente, des acteurs différents et personnellement j’ai évolué depuis 2 ou 3 ans. Des choses ont changé. J’ai appris d’autres choses. Je ne sens pas la pression car on fait des films pour nous-mêmes. Quand j’écris, je pense d’abord au Sénégal. Comment les gens à Matam et Tamba vont voir le film ? Comment vont-ils le comprendre ? Pour moi, c’est le plus important. C’est la raison qui nous a poussés à organiser la première de Baamum Nafi à Matam.
Pensez-vous que le Sénégal a fait une bonne moisson avec les prix gagnés ?
Je ne sais pas si c’est une bonne moisson car, pour les festivals, on ne sait jamais. Ce n’est pas parce qu’on a eu des prix que c’est une bonne moisson. La bonne moisson c’est d’avoir présenté beaucoup de films, que ce soit dans les sections officielles ou parallèles. On a même eu une section Sénégal où des films ont été présentés. La bonne moisson, c’est de montrer nos films en dehors du Sénégal. On a eu beaucoup de trophées en documentaire, en fiction, en court métrage. Je pense qu’on a vraiment réussi notre Fespaco.
Quelle lecture faites-vous du cinéma sénégalais ?
Je pense que le cinéma sénégalais marche bien car on produit beaucoup de films. Il y a beaucoup d’initiatives, il y a Ciné banlieue, Ciné Ucad, centre Yennenga. Bref, il y a plein de choses qui se passent à Dakar et dans les régions. Dans ce sens-là, le cinéma se porte bien. On a aussi la chance d’avoir un fonds, l’un des rares par rapport à beaucoup de pays, qui fait la promotion du cinéma. C’est sûr qu’il y a des choses à améliorer. Dans la formation, on n’a pas encore une école où toutes les personnes peuvent être formées comme elles veulent. Je sais que le centre Yennenga commence à faire de la postproduction, les autres initiatives ont beaucoup de qualité mais je pense que ça peut s’améliorer. Certes la chaine de la distribution n’est pas complète mais il y a des gens qui s’y mettent.
Netflix annonce vouloir revaloriser les contes africains. L’arrivée de ce géant ne vous fait-elle pas peur par rapport à l’aspect authentique de notre héritage ?
C’est une peur qui est valide. Je sais aussi qu’on ne peut pas en vouloir au créateur qui souhaite faire du commercial. Si quelqu’un veut produire une chose, car il perçoit le cinéma comme ça, pour moi ce n’est pas un problème. Le cinéma est un art et ce dernier est, en réalité, une marchandise. L’artiste peut dire que mon art n’est pas à commercialiser, je ne le fais pas pour avoir des sous, mais si quelqu’un le fait, je n’y vois pas de problème. Nous essayons de trouver de l’authenticité pour les partager mais Netflix est malheureusement une puissance incontournable. Si elle veut produire quelque chose dans un pays, elle va le faire. Le monde est arrivé à ce point : il y a des géants qui «bouffent» tout le monde et on doit passer par ça. Il faut aussi préciser que Netflix fait de bonnes choses. Elle a produit des films que personne n’aurait vus sans elle. Il y a un bon côté aussi.