L’ADMINISTRATION, UN MONSTRE A REFORMER
La réforme de l’Administration sénégalaise est une urgence. Elle devient une question fondamentale sur le chemin de l’émergence. L’Administration publique sénégalaise, le plus gros employeur du pays avec près de 127.130 agents, est malade à tous les nivea
La réforme de l’Administration sénégalaise est une urgence. Elle devient une question fondamentale sur le chemin de l’émergence. L’Administration publique sénégalaise, le plus gros employeur du pays avec près de 127.130 agents, est malade à tous les niveaux. Elle ne parvient plus à allier atteinte de résultats et satisfaction du client qu’est l’usager de l’Administration. Le livre-diagnostic du DR Mor Seck intitulé « Repenser les politiques publiques et réinventer l’Etat » qui vient d’être publié pose le débat d’une problématique à réformer l’Etat en mettant l’accent sur l’éthique et la déontologie de l’agent de l’Etat, mais aussi sur la modernisation des « corps de l’Etat » comme l’ENA, l’Inspection générale d’Etat, la Cour des Comptes… Dr Mor Seck, secrétaire permanent de la Commission d’évaluation et de suivi des politiques et programmes publics (CESPPP) de la présidence de la République dirigée parle ministre El Hadj Ibrahima Sall, est d’avis que la réforme de l’Etat passera parla mise en place d’un Tableau de Bord Prospectif (TBP) ou équilibré (TBE) afin de déboucher sur un Système national résilient d’évaluation ou un Système national d’évaluation (SNE).
« Le Sénégal, plus de soixante années après son indépendance, donc avec une Administration publique de plus de soixante ans, après avoir expérimenté des réformes avec des résultats très mitigés, et dans un contexte où les populations sont de plus en plus exigeantes sur la qualité des services publics qui leur sont fournies, doit inévitablement, procéder à une réforme profonde de l’État et à une transformation de l’action publique, seul gage de la préservation de l’intérêt général et du bien-être des populations pour l’atteinte de l’émergence économique, sociale et politique de notre pays » souligne Dr Mor Seck.
Ce dernier titulaire d’un PhD en Management public et de plusieurs masters et diplômes en management, politique et administration publics note que l’Administration sénégalaise souffre aujourd’hui d’un sérieux problème de réactivité. «Nous avons l’impression qu’elle ne réagit presque plus aux correspondances envoyées par les usagers mais aussi et surtout même plus à celles provenant d’autres structures de l’Administration.
Cette attitude pourrait éventuellement entraîner un problème de transparence dans les affaires publiques mais poser aussi la question du respect du principe d’équité et d’égalité devant les citoyens, principe que leur accorde notre Constitution » dénonce vivement l’auteur de l’ouvrage « Repenser les politiques publiques et réinventer l’Etat.
Cette mauvaise attitude, qui trouve aussi une de ses explications dans les aspects liés à la question de la formation et des compétences de ses ressources humaines, favorise l’instauration d’un traitement basé sur le favoritisme, le lobbying et la corruption. La confiance constitue en effet le nerf de la relation qui lie l’Administration et le citoyen. L’autorité de l’État y dépend d’ailleurs. C’est pourquoi un des principaux objets de la réforme suggérée est la restauration de cette confiance entre les citoyens et les agents de l’État.
L’amélioration, de cette relation de confiance qui doit prévaloir entre l’Administration et les usagers, passe aussi par des instruments relativement nouveaux tels que Internet avec la systématisation de portails pour toutes les Administrations explique l’ancien Président de l’Association africaine des centres d’enseignement à distance (AACED) basée à Dar es Salaam, en Tanzanie.
Les agents de l’Etat : principal levier de la réforme de l’Etat
La 1ère étape de la réforme se situe au niveau des Agents de l’État, sur la question de leur déontologie et leur éthique. « Nous avons besoin d’un code de déontologie, de même qu’un code d’éthique et de conduite pour arriver à des Fonctions publiques respectées et efficaces. Concrètement, cela veut dire une déontologie qui précise les droits, les obligations, les garanties et la discipline de l’Agent de l’État ». A ce niveau, l’Etat avait déjà préparé, en 2021, un « code de déontologie des fonctionnaires » qu’il envisageait « de faire adopter sous peu de temps ». Seulement ce code souffre d’imperfections soulevées par Dr Mor Seck. Elles se situent à trois niveaux notamment. Les obligations des fonctionnaires énumérées dans ce projet de code restent très vagues et incomplètes au regard des défis déontologiques actuels de la Fonction publique. Et alors par conséquent, ce projet de code de déontologie des fonctionnaires devra être complété par des codes de déontologie pour les différentes professions qui ont des obligations déontologiques particulières (médecins, agents des forces de sécurité, agents des régies financières (douane, impôts et domaines, trésor, etc.), agents des corps de contrôle et de régulation, agents des services de renseignements, conseillers spéciaux etc…).
Dr Mor Seck de signaler que « le texte qui était programmé par le Ministre, Secrétaire général du Gouvernement, et qui était en voie d’adoption pose un problème majeur dans la mesure où il comprend en « titre 1 les devoirs » des fonctionnaires et en « titre 2 les droits » des fonctionnaires. Je me permets donc d’attirer l’attention du Ministre de la Fonction publique et de la Transformation du Secteur public sur le fait que :(i)Un code ou une charte de déontologie ne peut comprendre QUE DES DEVOIRS ; (ii) S’il inclut - à tort - des « droits » en reprenant des éléments de statut des fonctionnaires, ces derniers pourraient vous opposer certains de leurs « droits non satisfaits » pour justifier leurs manquements aux devoirs que leur impose le code de déontologie ».
L’influence du système politique sur l’Administration, un phénomène noté depuis 2000
Une autre plaie de l’Administration a été l’ingérence de la sphère politique devant la mesure de promotion de l’agent du service public. « Comme toutes les structures, on constate que l’Administration publique sénégalaise est fortement influencée par l’environnement dans lequel elle baigne.
Le système politique a, en effet, un impact très négatif sur l’Administration sénégalaise. Cet impact est matérialisé par une cohabitation avec des rapports très déséquilibrés, dominés par le Politique. Par exemple, dans la répartition des postes de responsabilité au sein de l’Administration, le Politique jouit d’une certaine prééminence vue comme un phénomène normal et universellement accepté, au nom du principe : « qui gagne gouverne ». Mais, il faut noter qu’un tel principe ne pourrait être valable pour toutes les catégories de postes ou fonctions. Il ne peut donc se justifier, à la rigueur, que pour les fonctions à caractère politique, telles que celles de ministres et des membres de leurs cabinets, et non pour celles à caractère technique ou technocratique telles que les Directions de Sociétés publiques, les Directions nationales dans les différents départements ministériels et leurs services rattachés comme les Agences nationales d’Exécution et autres services assimilés. Ne serait-ce que pour un souci de conformité par rapport au but de l’Administration publique, et, qui le différentie essentiellement de l’Administration privée, l’Administration privée étant assimilée aussi au secteur privé, l’hégémonie d’un ou plusieurs partis politiques ne devrait, en aucun cas, être utilisée pour détourner l’Administration de sa mission de servir l’intérêt général, au profit d’intérêts strictement privés » note le Secrétaire permanent de la Commission d’évaluation et de suivi des politiques et programmes publics (CESPPP). Une telle dérive souligne-t-il, constitue un grand danger dans la gestion de l’Administration. Elle viole en plus deux règles constitutionnelles majeures qui fondent notre nation, à savoir l’égalité des citoyens devant le service public et la défense de l’intérêt général.
Cette allégeance marquée des autorités publiques aux politiques a engendré des perturbations dans la conduite des affaires de l’Administration et a fini de convaincre de la partialité et du manque de neutralité de cette dernière aux yeux d’une bonne frange de l’opinion aussi bien nationale qu’internationale. Cette situation d’allégeance a naturellement des conséquences extrêmement néfastes dans la vie de la nation, parmi lesquelles, nous pouvons citer particulièrement : Une divulgation systématique d’informations à caractère confidentiel et/ou secret sur la voie publique. Le constat est, qu’en réalité, politique et Administration cohabitent très mal au Sénégal, surtout depuis 2000. D’ailleurs, la situation est devenue, aujourd’hui, extrêmement grave et même dangereuse pour l’Etat qui voit son mythe s’effondrer.
En effet, l’Administration qui représente le bras armé de l’Etat et la fragiliser revient à fragiliser l’Etat se politise de plus en plus. Dr Mor Seck fait le constat que « certains secteurs de l’Administration, particulièrement des régies financières, restés pendant longtemps en dehors de cette mouvance, ont fini, au fil de ces vingt-deux dernières années, à s’ériger en Administration les plus politisées de notre Etat aujourd’hui. C’est le cas, particulièrement de la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID). L’exemple le plus frappant que je peux citer, encore une fois, concerne le cas de la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) qui constitue, aujourd’hui, non seulement l’une des structures les plus politisée de notre Administration, mais aussi qui subit en son sein des pressions venant du syndicat des agents des Impôts et des Domaines, une des rares organisations syndicales créés et gérées par des Agents de l‘État, l’essentiel des Corps de l’État étant organisés en Amicales. La raison fondamentale est, malheureusement pour ces Administrations, d’avoir à leur tête, à un moment crucial de leur histoire, des dirigeants opportunistes, sans aucun sens républicain ou esprit patriotique. Ces Hauts fonctionnaires ont choisi de mettre en péril l’image de l’Administration et, au-delà, l’image de l’Etat et de la République pour mener des combats personnels, bassement politiciens et matériels, qui sont en train de conduire notre pays vers des dérives extrêmement dangereuses et graves, vers le chaos. Tous ces mauvais comportements de fonctionnaires nous ramènent à des questions d’éthique, de déontologie et de professionnalisme dans le secteur public mais aussi à un manque de culture administrative de leur part. Il ne s’agit pas d’être Agent de l’Etat pour connaitre l’Administration ou pour avoir la culture de l’Administration. Il ne s’agit pas non plus, malheureusement, de sortir d’une école de formation de fonctionnaires, civils ou militaires, pour avoir une conscience administrative ou maitriser les règles de fonctionnement de l’Administration. C’est juste une condition nécessaire, peut-être, mais pas suffisante pour être un bon Agent de l’Etat ».
Réformer les « corps de l’Etat », l’ENA, l’IGE, la Cour des Comptes…
La réforme de l’Administration passera aussi par celle des « corps de l’État » notamment l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), l’Inspection générale d’Etat et la Cour des Comptes. Dr Mor Seck à ce niveau convoque la jurisprudence Emmanuel Macron. Dans un essai en novembre 2016, le président français disait que « les hauts fonctionnaires se sont constitués en castes » et « qu’il faut en finir avec leur protection hors du temps ». Il initiera alors une réforme visant à supprimer les grands corps de l’État au profit d’un corps unique d’« Administrateurs de l’État ». Il ajoutera ensuite « pour faire la réforme que j’évoquais, il faut supprimer entre autres l’ENA ». Cette annonce et cette décision formelle ont été faites en avril 2019 par le Président Macron, lui-même produit de l’ENA. Alors, une réforme profonde de l’ENA s’en est suivie et a abouti à sa suppression. Il est établi en France, suite à de nombreuses critiques, la question de la suppression de l’ENA se posait régulièrement depuis les années 1970. Telle qu’elle existe et fonctionne aujourd’hui, aussi bien dans son management, son mode de recrutement que dans ses programmes de formation. « J’avoue que l’ENA pose aussi, dans nos pays anciennes colonies françaises, un sérieux problème, et, est devenue un instrument obsolète, inapproprié, ne pouvant mettre entre les mains de l’Administration publique que des produits pas finis, inadaptés et pas prêts à l’emploi. Au Sénégal, comme dans d’autres pays africains francophones, je pense que l’ENA peut être considérée aujourd’hui comme l’un des principaux facteurs responsables de la dégradation de la qualité des services publics fournis aux citoyens et usagers de l’Administration publique. D’ailleurs, à la différence des pays anglo-saxons où il n’existe ni « corps d’État » ni « ENA », et, où seules les compétences prévalent dans la majeure partie des cas pour occuper une fonction publique, la performance des Administrations publiques et la qualité des services publics fournis sont largement meilleures. La question troublante de la rémunération des agents de l’État en général et des hauts fonctionnaires en particulier pourrait trouver une solution plus juste et plus équitable avec une telle réforme au niveau des corps de l’État » écrit Dr Mor Seck.
… Et la gouvernance de contrôle… le Tableau de Bord Prospectif (TBP) et Un Système national résilient d’évaluation
En outre, une réforme sérieuse de l’État mettra aussi l’accent sur une réforme de la gouvernance de contrôle. Ceci pose encore sur la table la pertinente question du besoin de réforme de l’Inspection générale d’État (IGE) et de la Cour des Comptes au Sénégal, aussi bien du point de vue de leurs modes de recrutement et de nomination que du point de vue de leurs modes d’organisation, de fonctionnement, ainsi que leurs attributions et leurs missions. La réforme de l’État est consciente qu’à côté des femmes et des hommes dévoués pour le service public, il existe des agents publics mus par des intérêts privés. Ceci permet de poser la question des conflits d’intérêts chez les hauts fonctionnaires de l’État de même que toutes les liaisons dangereuses dans les passerelles public-privé dans ce domaine. Aujourd’hui, la réforme de l’Administration publique, pour s’adapter aux pressions et nouvelles donnes d’un monde plus que jamais changeant, est devenue un phénomène global, et peut-être un des principaux défis de notre époque. Dans ce nouveau contexte de modernisation de l’État, où une nouvelle stratégie est mise en place, le manager public doit faire appel à des outils spécifiques de gestion pour piloter sa propre performance et les performances de ses collaborateurs. L’un des principaux outils pouvant le lui permettre est la mise en place d’un Tableau de Bord Prospectif (TBP) ou équilibré (TBE) plus connu sous son appellation anglo-saxonne de Balanced Score Card (BSC). Le BSC est en effet un plan stratégique intégré et un système de management de la performance. C’est un outil de management stratégique, complémentaire des tableaux de bord opérationnels, orienté vers la décision et l’action. C’est une démarche résolument orientée vers la performance, l’efficience, le sens, la cohésion, les résultats et la transversalité. C’est un tableau de bord de pilotage opérationnel.
Un système national d’évaluation (SNE) constitue un ensemble d’acteurs, de règles, de mécanismes, de processus et d’outils, nécessaires pour que l’évaluation devienne systématique et que ses résultats soient utilisés dans la prise de décisions. Les systèmes nationaux d’évaluation, qui prennent leur source des stratégies nationales de développement, permettent de mesurer le progrès et d’améliorer la prise de décisions. Mettre en place un système national résilient d’évaluation peut être assimilé à une question de réinvention du futur pour nos Etats.
Dans les États où les dirigeants et décideurs politiques refusent ou tremblent devant l’idée de réformer l’État, nous pouvons qualifier, systématiquement et sans risque de nous tromper, ces États et leurs dirigeants d’antidémocratiques. En effet, la démocratie meurt si on ne réforme pas l’État. Elle engendre et facilite le réveil citoyen indispensable à l’émergence. En effet, le réveil citoyen est naturellement accompagné de la réforme de l’État pour une satisfaction des besoins des citoyens à travers la fourniture de services publics de qualité. En démocratie, rien n’est figé et tout se discute. La démocratie en soi, comme la réforme de l’État, est un phénomène dynamique d’où la nécessité d’une perpétuelle remise en question pour se corriger, pour avancer, pour se bonifier et pour émerger.
Les Sénégalais veulent transformer leur pays, 5 pistes pour la réforme de l’Etat
« Les Sénégalais veulent transformer leur pays. Ils veulent le voir changé radicalement. La réforme de l’État libèrera notre potentiel de croissance, réduira les inégalités et protègera la République. L’avenir de nos services publics, la réduction des inégalités sociales et même la légitimité de l’action publique dépendront, essentiellement, de la réussite de cette réforme que nous préconisons. Les transformations profondes que les Sénégalais attendent de leur pays passeront nécessairement par l’État. Seul l’État peut porter de telles transformations et l’État doit les porter » souligne Dr Mor Seck. Ce dernier émet cinq principales pistes qui pourraient conduire à la modernisation de la gestion du secteur public et au renforcement de la gouvernance. Il s’agit de e la restauration, la préservation et le maintien de la confiance du peuple dans l’État. Ensuite, la participation, le partenariat, le renforcement de pouvoir, l’appropriation, les droits de l’homme, la liberté d’expression, la liberté d’association et la démocratie nécessitent une coopération active de tous. Ceci permettra surtout d’éviter l’instrumentalisation de certaines composantes de l’État comme la justice et éviter donc de tuer la démocratie. La nécessité de dépolitiser l’Administration publique et d’avoir une éthique nationale. Le besoin de procéder à une « analyse d’opportunités » plutôt qu’à une « analyse de besoins » pour promouvoir la bonne gouvernance. Et enfin, la promotion du leadership par l’exemplarité pour promouvoir le changement. C’est le seul moyen d’éviter le chaos dans nos pays et d’asseoir la stabilité.