«LE SENEGAL EST UN PAYS SI RICHE EN TRADITIONS ET AVEC UNE VIE ARTISTIQUE CONTEMPORAINE TRES INTERESSANTE...»
Le Sénégal, invité d’honneur de la 28ème édition du festival international de la poésie ; Claudio Pozzani
Poète, romancier et musicien, né à Gênes en 1961, Claudio Pozzani est un amoureux de l’événement poétique. Il a créé le Festival international de la poésie en 1995. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Reconnu au niveau international pour sa passion et son immense talent, Pozzani vit son rêve. Son activité poétique se déroule surtout à l’étranger, avec la participation aux événements internationaux les plus importants et des lectures représentant l’Italie. Ses poèmes ont été traduits et publiés dans plus de 10 pays et sont apparus dans d’importantes anthologies et revues de poésie internationale contemporaine. Lauréat du prix «Genovino d’oro», l’une des distinctions les plus importantes de la municipalité de Gênes, pour ses mérites culturels et du World Academy of Poetry Award, pour ses activités culturelles, celui que le grand poète et dramaturge Fernando Arrabal a défini comme “maître de l’invisible, instigateur de rêves et voleur de feu” est au sommet de son art. Pour l’édition 2023 du Festival international de la poésie, le poète italien a choisi le Sénégal comme invité d’honneur. Pour l’occasion, des artistes sénégalais feront le déplacement à Gênes. Pozzani, ayant une relation particulière avec le Sénégal, compte mettre les petits plats dans les grands pour faire de cette édition un pari réussi.
Voulez-vous vous présenter aux Sénégalais ?
Bonjour à tous les lecteurs du Témoin. Je m’appelle Claudio Pozzani et je dirais que je suis un homme heureux car je vis le rêve que j’avais quand j’étais enfant, celui de parcourir le monde avec mon art, en particulier la poésie, en me produisant dans de nombreux lieux prestigieux et très fascinants. J’ai fait mienne la phrase de Ferlinghetti « la meilleure vengeance est de vivre bien » : je ne connais ni envie ni haine. Je sais que je ne suis pas à ma place dans ce monde et que les moteurs de mon existence que sont l’art, la culture, la passion, la beauté, la curiosité intellectuelle sont considérés comme superflus par la grande majorité des habitants de la Terre. Pire, pour moi qui dois vivre ici mais bien pire pour eux qui ne savent pas ce qu’ils ratent. Depuis mon adolescence, je ressens l’urgence et le besoin de m’exprimer et de partager mes créations avec un public. Les premières expériences live ont été en tant que chanteur de rock, ensuite, peu à peu, mon attention et mon intérêt se sont concentrés sur l’écriture de poésie et de prose. En tant que poète, j’ai été publié dans plus de dix pays et je me suis produit dans les plus grands festivals : la dimension «live» est celle qui me satisfait le plus, le rapport physique avec le public est une composante de mon être d’artiste. J’adore faire des lectures en public car je peux donner corps à l’âme de mes poèmes, utiliser ma voix et mes gestes pour façonner les mots.
Pouvez-vous nous parler du Festival international de poésie ?
J’ai créé le Festival International de Poésie de Gênes «Parole spalancate» (Mots grand ouverts) en 1995, à une époque où il n’y avait pas de grands événements consacrés à la poésie. Peu à peu, cet événement est devenu le festival de poésie le plus important en Italie et l’un des plus prestigieux au monde, avec la participation de plus de 1900 artistes et auteurs de 91 pays, sur les 28 éditions organisées jusqu’à présent. Parmi les invités, il y a cinq lauréats du prix Nobel (Walcott, Soyinka, Gao, Coetzee et Milosz) et d’autres tels que Ferlinghetti, Darwish, Ben Jelloun, Gelman, Jodorowsky, Houellebecq, pour n’en citer que ceux-là. Le festival présente la poésie sous toutes ses formes et en relation avec les autres arts, notamment le cinéma et la musique, et c’est ainsi que des stars telles que Lou Reed, Ray Manzarek des Doors, Peter Greenaway sont également arrivées. Je pense que le secret, pour tenir toutes ces années, à haut niveau, a été de continuer à se mettre à jour et à se renouveler sans courir après les modes du moment et sans non plus banaliser la poésie pour essayer de la «rendre accessible». Se concentrer sur la qualité est toujours payant, à long terme. Quel est votre rapport avec le Sénégal ? Je suis lié au Sénégal depuis des années grâce à la connaissance et à la collaboration d’opérateurs culturels et de passionnés (comme vous et Abdou), qui m’ont fait connaître de plus près l’art et la poésie de ce pays. Encore plus tôt, j’étais très attiré par la figure et les œuvres de Senghor. Et puis, quel plaisir d’avoir eu un grand poète comme président de la République! Au fil des ans, j’ai invité quelques auteurs sénégalais, et surtout le grand Samba Diabaré Samb qui a donné une représentation extraordinaire au festival il y a une dizaine d’années. Juste après sa participation à Gênes, j’avais été invité par Abdou au Sénégal et j’avais joué à la Foire de Dakar avec mon pianiste Fabio Vernizzi.
Comment préparez-vous cette édition de 2023 ?
Comme chaque année, la préparation du festival est très longue, surtout parce que nous invitons des poètes du monde entier et que nous recevons des centaines de propositions et suggestions d’auteurs. C’est maintenant la phase la plus délicate car il s’agit de faire des choix et ce n’est pas facile. Un des problèmes est qu’en Italie, la culture n’est pas considérée comme une priorité et donc il y a de moins en moins de ressources économiques disponibles. Ainsi, il est difficile de bien travailler dans ces conditions. Cependant, depuis 28 ans, le qualité du festival est toujours restée à des niveaux excellents.
Pourquoi avez-vous choisi le Sénégal ?
J’ai choisi le Sénégal comme invité d’honneur précisément à cause du lien qui s’est établi avec ce pays et grâce à la grande communauté qui vit à Gênes. Je veux aussi contribuer à faire mieux connaître la poésie et la culture de votre pays en Italie, si riche en traditions et avec une vie artistique contemporaine très intéressante.
Parlez-nous du programme de ce Festival international de poésie…
Le festival se déroule sur trois jours. La première journée sera consacrée à un cadre de réflexion avec l’association “médecins en Afrique”, en partenariat avec la commune de Gênes. Il y aura aussi une exposition d’artistes peintres sénégalais ainsi que la prestation de poètes sénégalais, sans compter un concert gratuit animé par le musicien sénégalais Cheikh Diagne. Les deux autres journées seront dédiées à des séances de déclamation de poèmes par des auteurs sénégalais, de dégustation de plats sénégalais. Il y aura aussi une lecture des « Khassaïdes » de Serigne Touba lors de la deuxième journée ainsi qu’un autre concert du même artiste.
Quelles sont vos références en poésie ?
En tant que poète, j’ai beaucoup de repères aussi parce que j’ai toujours essayé de lire le plus possible et de connaître des auteurs même peu connus. En tout cas, si je dois résumer quelques noms, je peux citer Baudelaire, Whitman, Ungaretti, Marinetti, Leopardi, Dylan Thomas en tant que poètes et Dostoöevski, Balzac, Huysmans, Svevo parmi les romanciers. Et puis mon écriture s’inspire aussi du cinéma, de la musique, des arts visuels. Connaissez-vous des poètes africains et plus particulièrement sénégalais ? Parmi les auteurs africains, je connais Soyinka, Achebe, Osundare. Pour le Sénégal, il y a Senghor, Samb, pour ne citer que les premiers qui me viennent à l’esprit. J’ai eu le plaisir de connaître, personnellement, certains d’entre eux.
Comment se porte la poésie en Italie ?
La poésie en Italie est très individuelle à présent, il n’y a plus de mouvements ou de groupes poétiques importants. Les meilleurs auteurs ne sont pas forcément les plus connus mais bien souvent il faut aller les découvrir. Malheureusement, comme je l’ai dit, l’État italien ne subventionne pas la poésie comme cela se fait, par exemple, en France, en Allemagne ou en Espagne et c’est pourquoi les petites maisons d’édition, les événements et les magazines ont toujours beaucoup de mal à poursuivre leurs activités. Même l’enseignement de la poésie à l’école est souvent marginal et le fait est paradoxal étant donné que, dans l’histoire de la littérature italienne, la poésie est beaucoup plus importante et prestigieuse que la fiction. Si un auteur italien est connu à l’étranger, c’est bien souvent un poète : Dante, Petrarca, Leopardi, Ungaretti, Pasolini, etc. Mais je continue mon activité de poète et d’organisateur de festivals, je ne me laisse certainement pas décourager. La poésie a son propre public, large et spécial, qui n’est pas affecté par les modes.
Votre dernier mot ?
Je suis très heureux de faire du Sénégal l’invité d’honneur de cette édition et que ma collaboration avec le pays de la légendaire Téranga ait pu mener à un événement du genre. Aussi, je souhaite que l’organisation de cette année soit des mieux réussies ; qu’il n’y ait, bien entendu, aucune entrave aux objectifs de réussite que nous nous sommes fixés. Ce serait vraiment notre plus grande récompense.
Propos recueillis par : Demba Thiary NDIAYE (Correspondant particulier en Italie)