LE THEATRE SENEGALAIS ORPHELIN DE SES PIONNIERS
Doura MANE, Daniel Sorano, Djibril Diop Mambety, Douta Seck, Jacqueline Lemoine…
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La Journée mondiale du théâtre, célébrée ce mercredi, nous a servi de prétexte pour revisiter quelque peu le théâtre au Sénégal, notamment les pionniers qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Un article publié sur notre site
Le Sénégal, à l’instar du reste de la communauté internationale, célèbre, ce mercredi, la Journée mondiale du théâtre. Une occasion saisie pour revenir sur l’âge d’or du théâtre sénégalais avec des artistes comédiens qui ont marqué leur époque à travers leurs jeux d’acteur. Il s’agit, entre autres, de feus Doura Mané, Daniel Sorano, Djibril Diop Mambéty, Douta Seck, Jacqueline Lemoine... Le journaliste culturel, Mouhamadou Fadel Lo, a fait la genèse de ce secteur, tout en essayant des pistes de réflexions pour sortir le théâtre de sa situation actuelle plus ou moins reluisante.
Ces grandes pièces classiques qui ont fait la renommée du Sénégal
Rappelant que le premier président de la République du Sénégal, feu Léopold Sédar Senghor, était un homme de culture d’une dimension internationale, il souligne qu’il était aussi un mordu de théâtre et de poésie. «C’est ce qui fait que son magistère qui fut placé sous le sceau de l’enracinement et de l’ouverture, avait laissé une part très importante au théâtre et à la création artistique de manière générale», dit-il. Par ailleurs, il souligne : «C’est certainement ce qui l’a poussé à mettre sur orbite le Théâtre national Daniel Sorano. Un haut-lieu destiné à la promotion des grandes pièces d’ici et d’ailleurs. C’est ainsi que cette salle mythique a servi de tremplin à ces artistes de renom comme Doura Mané, Daniel Sorano, Djibril Diop Mambéty, Douta Seck, Jacqueline Scott Lemoine et tant d’autres». Aussi, il renseigne que cette première cuvée a valu d’innombrables satisfactions au Sénégal. «Ces grands comédiens issus du cycle académique, pour ne pas dire classique, ont représenté le Sénégal un peu partout à travers le monde. C’était l’époque des grandes productions comme la ‘Tragédie du Roi Christophe’, ‘Othello’ et d’autres grandes œuvres issues du répertoire classique», relève-t-il.
L’épopée de la seconde vague de talents
Ainsi, après cette première vague de comédiens aguerris, des jeunes ont pris le relais avec plus ou moins de bonheur. Parmi eux, des acteurs comme feus Omar Seck, Coly Mbaye, Daouda Lam, Charles Foster, Souleymane Ndiaye, Ismaël Cissé, Assy Dieng Ba, Joséphine Zambo, feu Marie Augustine Diatta… «Ces comédiens, pétris de talent, ont eu moins de visibilité et d’opportunités que leurs éminents prédécesseurs, parce que tout simplement, au milieu des années 84, les politiques d’ajustement structurel sont passées par là et le Président Poète avait quitté le pouvoir. Son successeur Abdou Diouf, qui vivait sous la pression des instructions restrictives des institutions internationales, ne disposait pas de tous les atouts en main pour suivre le rythme imprimé par le Président Senghor», note-t-il. Selon lui, «une forme de léthargie s’est installée et a poussé certains comédiens professionnels à prendre le chemin de l’exil et d’autres ont préféré se lancer dans des troupes privées. C’est le cas de Pape Faye qui a créé ‘Zénith Arts’ et feu Macodou Mbengue et ses amis ont mis sur orbite les ‘Gueules Tapées’».
«Le théâtre sénégalais orphelin de ses grandes figures théâtrales»
«Sans doute refroidis par la rareté des grosses productions au niveau national, des comédiens professionnels comme Abdoulaye Diop Danny, Awa Sène Sarr ou encore feu Younouss Diallo, ont choisi la Belgique pour poursuivre leurs carrières. Auparavant, Doura Mané avait aussi choisi d’émigrer, avant sa disparition. L’acteur Nar Sène avait lui aussi choisi de s’établir en France, avant de quitter ce bas-monde», a déclaré M. Lo. D’après lui, les comédiens sont conscients qu’il faut continuer de mettre l’accent sur la formation et surtout de mobiliser des fonds énormes. «C’est seulement de cette manière que le théâtre sénégalais arrivera un jour à retrouver son lustre d’antan. Paradoxalement, tous les acteurs sont conscients de ce fait, mais les solutions peinent à être trouvées». «Toujours est-il que le théâtre sénégalais est vraiment orphelin de ses grandes figures théâtrales issues de tous les milieux, à savoir le circuit académique ou le circuit populaire. On peut citer de manière exhaustive, des figures comme Doura Mané, Douta Seck, Omar Seck, Coly Mbaye, Abou Camara, Makhourédia Guèye, Baye Peulh et tant d’autres. Il faut donc procéder à une introspection profonde pour arriver à remettre notre travail sur les rails du succès…», souhaite-t-il.
L’essor du théâtre populaire
Pendant que le théâtre classique prenait son envol, le théâtre populaire était aussi très dynamique au Sénégal. C’était l’époque de lancement de la radiodiffusion, un médium qui a grandement contribué à populariser les comédiens non issus du cycle de formation académique. «C’était l’âge d’or des grands feuilletons radiophoniques. Feu Ibrahima Mbengue, le père de Sokhna Benga, a été le premier à s’engouffrer dans la brèche. Il a vite fait de créer la fameuse pièce titrée ‘Makhourédia Guèye, chauffeur de taxi’. Cette satire narrait tous les soirs, les aventures de Makhourédia Guèye, un chauffeur de taxi roublard et débonnaire et de son employeur, très radin, avec El Hadji Mor Mbaye. Ce patron qui aimait l’argent pardessus tout, menait la vie dure à son chauffeur. Il avait à ses côtés sa douce moitié ‘Diek Tank’, qui a inspiré le personnage de «Diek» à TT Fons pour les aventures de ‘Goorgoorlu’», indique le journaliste culturel Fadel Lo.
L’âge d’or des feuilletons radiophoniques
Par la suite, dit-il, cette belle réussite a fait des émules. Et à Kaolack, la chaine régionale diffusait «Journaliseraient», les aventures d’Ibra Faty Ndao, un paysan Saloum-Saloum confronté aux pièges de la grande ville. «Cette œuvre écrite et interprétée par le comédien Maguette Ngom a connu un franc-succès jusqu’à être diffusée sur la chaine nationale. A Louga aussi, le ‘Cercle de la Jeunesse de Louga’ trônait vraiment sur le secteur en raflant tous les prix au niveau national, sous la houlette de feu Mademba Diop, le père de Pape Dembélé Diop, le grand bassiste qui a fait les beaux jours du ‘Super Diamono’», informe-t-il. «Après ces succès initiaux, le vieux Abdoulaye Seck a pris le relai avec les fameuses pièces radiophoniques de la troupe ‘Jamonoy Tey’. Une occasion qui a servi à révéler au grand public de grands comédiens comme Cheikh Tidiane Diop, Loulou Diop, Moustapha Diop, Khoy Dima Kounta, Late Déguène Samb, Ken Bougoul et tant d’autres», se rappelle-t-il.
L’irruption des troupes régionales
Fadel Lo confie que, par la suite, il y a eu scission et la troupe «Daaray Kocc» a pris le relai. Plus tard, des troupes comme «Libidoor» de feu Malick Ndiaye Fara Thial Thial a aussi vu le jour. «Deux à trois décennies plus tard, des troupes régionales comme celle de ‘Radio Saint-Louis’, ‘Janxeen’ et ‘Soleil Levant’ de Thiès, ont pris le relai avec plus ou moins de bonheur. De nouveaux noms comme Golbert Diagne, Marie Madeleine Diallo, Daouda Guissé, El Hadji Mansour Seck, Mame Sèye, Serigne Ngagne, Baye Cheikh, Ndèye Sine, Bella, Ngoury, Cheikhou Guèye dit Sanekh, Cheikh Ndiaye, Aziz Niane, et tant d’autres ont fait irruption sur la scène», égrène-t-il. Cependant, M. Lo souligne que cette vitalité a connu un brusque coup d’arrêt à l’entame des années 2000. «Ce qui a poussé le promoteur Guédél Mbodj à créer le ‘Festival du rire’ de Kaolack. Une initiative qui a permis de mettre sur pied l’Association des comédiens du théâtre sénégalais (ARCOTS). Il se trouve que le théâtre filmé a fini par enterrer plus ou moins le théâtre sur scène», confie-t-il.
Les séries télévisées, un mal nécessaire
Avec l’avènement des nombreuses chaînes de télévision au milieu des années 2000, il a fallu concocter un programme et proposer de nouvelles choses au public. «Les producteurs n’ont pas cherché loin pour proposer des séries télévisées à la sauce sénégalaise. La première à connaitre un éclatant succès fut sans doute un ‘Café avec…’, diffusée sur la TFM et produite par Cheikh Yérim Seck, avec l’animateur Boubacar Diallo comme acteur principal», renseigne-t-il. «Il y a eu aussi des créations comme ‘Dina ma nekh’, ‘Wiri-wiri’, ‘Dikoon’ et tant d’autres. Finalement, tout le monde s’est engouffré dans la brèche et les nouvelles productions voient le jour comme de petits pains», explique-t-il, en insistant sur le fait que «cela a forcément un impact sur la qualité de la production». «Au début, beaucoup de comédiens professionnels comme Baye Eli, Lamine Ndiaye ou Pape Faye étaient sceptiques sur cette intrusion de non professionnels. Finalement, devant le succès et la multiplication de ces séries, ils ont été obligés de se fondre dans la moule et de jouer dans ces séries marinées à la sauce sénégalaise. Même si tout n’est pas rose avec certains écarts ou débordements notés et condamnés comme dans la série ‘Pod et Marichou’, force est de constater que le public raffole de ces séries. Il faut donc essayer de tirerle meilleur de cette nouvelle habitude», analyse-t-il.