«LES FEMMES SONT UNE MINE D’OR POUR CHAQUE ECRIVAIN»
Palabre avec… Me Serigne Amadou Mbengue, avocat – écrivain

Avocat au Barreau de Dakar, Me Serigne Amadou Mbengue est également un écrivain à la bibliographie riche de six œuvres dont la dernière, « Gorée Coumba Castel », nous fait découvrir l’île mémoire dans toutes ses facettes à travers ses murs et ses hommes. Dans cet entretien, Me Serigne Amadou Mbengue revient sur son univers littéraire. Entretien…
Vous êtes avocat et écrivain. Y a-t-il un temps pour l'écriture et un autre consacré au barreau ?
Les deux métiers ne sont pas incompatibles. Je reste persuadé que l'écriture peut servir d'appoint à la profession d'avocat. Etre à son service. Tout avocat est un potentiel écrivain. En effet, outre les plaidoiries, il faut bien dire que l'avocat passe le plus clair de son temps à écrire et l'habitude d'écrire peut mener vers la production de livres et de romans. Etant relevé qu'en règle générale, un livre s'impose à son auteur. La littérature qui se définit comme l'ensemble des œuvres produites par les écrivains -en tout cas le travail de l’écrivain- ne saurait être un champ fermé pour quiconque à fortiori pour un avocat, témoin de son temps, dernier rempart de la liberté, défenseur de la veuve et de l'orphelin. Donc, homme nourri par la sève créatrice de l'émotionnel et du réel et vivant toujours avec les pulsations intimes du peuple et de son environnement. L'immixtion des avocats sur la scène littéraire n'est pas nouvelle. Si dans la Grèce antique le métier d'avocat n'existait pas, il y avait en revanche des logographes, c’est-à-dire des personnes qui écrivaient des discours à l'intention des justiciables, discours que ceuxci venaient réciter devant le prétoire. Démosthène en a conçu tant pour des parties demanderesses que défenderesses. De par le monde, on peut citer de nombreux avocats qui ont produit ou publié des romans : Jacques Isorni (Les cas de conscience de l'avocat) René Floriot (Les erreurs judiciaires) le bâtonnier Jacques Charpentier (Remarques sur la parole) Paul Lombard (Mon intime conviction), l'actuel ministre de la justice Eric Dupont-Moretti (Bête noire). Au Sénégal, on peut citer aussi des avocats comme Me Bocar Ly (Histoire de la coupe d'AOF de football) Me Dano (un recueil de nouvelles) Me Alassane Cissé (Les Sanguinaires). Et à dire vrai, le barreau regorge de confrères qui s'illustrent par leur belle plume. Je ne citerai personne de crainte d'en oublier mais on peut penser au Bâtonnier Pape Laïty Ndiaye, Samba Bitèye, Souleymane Diagne, François Sarr, Bamba Cissé entre autres.
Quels sont les moments où vous écrivez ?
Oui, je pense qu’il y a un temps pour l'écriture et un autre pour le barreau. Chaque chose en son temps. L'une procède d'une obligation, l'autre d'une passion. Or, lorsqu'on exerce une passion, on ne sent pas la difficulté. Je puis même dire que l'exercice de cette passion, véritable Violon d'Ingres, nous aide à mieux aborder les tâches professionnelles. Je puis dire aussi que ces deux activités, tout en cheminant dans une « interfertilisation » réciproque, créent une compartimentation et nous permettent de prendre pleine conscience du temps réel qu'on consacre à l'une ou l'autre activité. Je puis dire ine fine que pour l'essentiel, l'écriture est d'essence divine. C'est le Créateur qui inspire l'écrivain. Je veux parler surtout du premier jet. Le reste c'est une affaire de technique et c'est là maintenant qu'intervient le talent qui différencie l'écrivain de l'auteur. Par conséquent, l'inspiration peut venir à tout moment, à tout instant, où vous vous trouvez. Tous ceux qui écrivent à l'ordinaire vous le diront, il est recommandé dès qu'on sent l'inspiration, dès que vous êtes assailli par des idées, de les accoucher aussitôt sur une feuille autrement elles peuvent se volatiliser et disparaître. On peut retenir qu'écrire un livre est un véritable marathon, un chemin de persévérance et chaque jour doit être mis à profit, chaque jour constitue une fraction de cet objectif, ô combien exaltant qui part de la feuille blanche à l’édition.
L'essentiel de votre œuvre épouse les réalités de la société sénégalaise. Est-ce des récits de vies ou bien la somme de votre imagination ?
L'écrivain doit pouvoir appréhender le thermostat de sa nation. Il doit être bien au fait des choses qu'il décrit. Personnellement, avant d'écrire, je recueille des informations sur le sujet, je me rends toujours sur place. Je fais des repérages. Je m'entretiens au besoin avec les personnes concernées. Peut-on pertinemment écrire sur la presse sans parler avec des journalistes ? Il y a, à de certaines moments, des récits de vie, une touche personnelle parce qu'on laisse forcément des traces de soi même dans un roman. Mais pour une très large part, on donne libre cours à l'imagination. Albert Einstein disait que « l'imagination est plus importante que la connaissance». Car la connaissance est limitée tandis que l'imagination englobe le monde entier, stimule le progrès, suscite l'évolution. Donc à maints égards, l’imagination demeure la sève nourricière du roman par cela seul que le roman c'est une possible vérité. Le roman tire sa source du réel que ce soit les personnages, les descriptions, les narrations, les dialogues et même les scènes d'ouverture ; tout part de la réalité. On ne fait pas un roman ex nihilo.
On sent également chez vous cet art de raconter des histoires…
Je laisse cette question à l'appréciation des lecteurs mais je dois dire que je fais des efforts afin que celui qui me lit puisse être dans l'ambiance des scènes décrites.
Dans votre œuvre les femmes sont fortes. C'est l'idée que vous vous faîtes d'elles ?
Je crois pouvoir dire que les femmes sont une mine d'or pour les écrivains. Les femmes ne font –elles pas l'histoire ? Quand j'ai montré mon premier roman à un ami il m'a posé la question : « Pourquoi pas le persévérant ? » Je pense que le titre la persévérante est plus attrayant que celui de persévérant. Il m'est revenu que plusieurs femmes dont les époux avaient acquis ce livre l’ont aimé…. c'est la raison pour laquelle on n'a pas besoin de s'étendre là-dessus. L’ancien académicien André Maurois dans son roman « Climats » fait dire à l'un de ses personnages Solange : « Un homme a une carrière, une femme a beaucoup plus de" possibles" devant –elle. Un homme a une carrière tandis qu'une femme peut vivre la vie de tous les hommes : un officier lui apporte la guerre, un marin l'océan, un diplomate l'intrigue, un écrivain les plaisirs de la création … elle peut avoir les émotions de 10 existences sans l'ennui quotidien de les vivre. Et son interlocuteur lui fera observer qu'on pourrait en dire autant des hommes.
Seriez – vous un partisan de la polygamie ?
Comme vous le savez, mon second roman intitulé « La Rivale » qui est la suite de « La Persévérante » traite de la polygamie, d'un mari qui vit sous le même toit que ses deux épouses et qui, au quotidien, déploie des talents de funambule et d'équilibriste pour les gérer. Ce qu'il convient de retenir, c'est qu'Il faut de tout pour faire un monde. Dans la vie chacun fait son choix personnel. Certains choisissent le célibat, d'autres la monogamie ou la polygamie. Très précisément, la polygamie ressort d’un choix ou d’une option. C'est une affaire personnelle. Il s'agit surtout et autant que faire se peut d'être juste visà-vis de ses épouses. Dans la sourate 4 An - Nissa les femmes, au verset 3 Dieu dit : " Epousez 2, 3, ou 4 femmes. Mais si vous craignez d'être injuste alors prenez une seule." Au demeurant, le Code de la famille dispose qu'en cas de polygamie, chaque femme peut prétendre à une égalité de traitement…
Dans votre roman, « Gorée Coumba Castel », vous dévoilez l’île mémoire sous toutes ses facettes. Mais également la vie des Goréens avec une très bonne mémoire sur les hommes et certains faits ?
Oui, dans Coumba Castel il est question de Gorée sous plusieurs aspects mais aussi de la vie des Goréens, tout cela agrémenté de récits d'anecdotes et de souvenirs. « La mémoire, disait Bachelard, est nécessaire pour toutes les opérations de la raison. » Je rends grâce à Dieu qui m'a doté d'une capacité de mémorisation. En effet bien mémoriser relève d'un don divin. Dieu n'a-t-il pas dit dans la sourate Al Ahla : « Nous t'apprendrons bientôt à réciter le Coran et tu n'oublieras que ce que Dieu veut que tu oublies »
Comment vous est venue l'idée d'écrire ce livre. Tenez-vous un carnet ou c'est le reflux de vos souvenirs ?
Ce livre est le reflux de mes souvenirs. Birago Diop, le père des Lettres sénégalaises, disait : « Quand la mémoire va chercher du bois mort, elle rapporte le fagot qu’il lui plait ». Comment n'aurais-je pas écrit un livre sur Gorée ? Avant d'y habiter, j'avais un certain nombre d'idées reçues. J'entendais parfois des choses énormes. Par la suite, j'ai vécu pendant 10 ans à Gorée. Après cela, je n'ai eu de cesse de me rendre dans l'île mémoire. Cela vous fait plusieurs approches et angles d'attaque et vous engrangez par là même beaucoup de constats, d'anecdotes et de souvenirs. Voilà pourquoi j'ai écrit ce roman qui porte le nom du génie de l’île : Coumba Castel. Il fallait bien qu'un jour que j'accouchasse tout cela, que j'écrivis sur ce thème et que je partageasse le livre y afférent.
On sent également que vous tenez à la précision des faits ?
Réponse affirmative j'ai déjà dit qu'à l'instar du réalisme, je m'évertue à peindre la réalité telle quelle.
Vous avez publié également des poèmes tels Florilèges de souvenirs ?
Florilèges est mon premier recueil de poèmes, préfacé par Alioune Badara Bèye, Président des écrivains du Sénégal. Il s'agit à la fois d'inspiration et de souvenirs. D'une part souvenirs de certaines personnes chères, certains lieux tels : Dakar, Gorée, Rufisque, Saint Louis... Chacun sait que la poésie est expression de sentiments, d'émotions et de vécu. C'est le reflet des états d'âme de l'auteur. D'autre part, il y a une sorte d'inspiration, la poésie étant par définition l'art de la fiction littéraire. Et sous ce rapport, j 'aime à rappeler le mot de David Diop qui considère que la poésie, c'est la fusion harmonieuse du sensible et de l'intelligible, la faculté de réaliser par le son et le sens, par l'image et par le rythme, l'union intime du poète avec le monde qui l'entoure". Le poète ne fait-il pas corps avec son environnement ?
On a beau vous lire, on a l'impression que vous fuyez la prise de position en politique ?
Je ne souhaite pas voir les personnages de mes romans s'emberlificoter dans les dédales de la politique.
Que pensez-vous justement des hommes politiques ?
Ils sont héroïques. J'exècre seulement la démagogie (Toute comparaison avec un homme politique ancien ou contemporain n'engage que celui qui s'y livrera !