LES FRERES TOURE, YOUSSOU NDOUR ET LE MICRO SANS FIL !
Dans un pays aussi pauvre économiquement que le Sénégal, seule la richesse culturelle peut donner la joie de vivre. Et l’enthousiasme de se défouler. D’où l’importance des grandes manifestations sportives et musicales.
Dans un pays aussi pauvre économiquement que le Sénégal, seule la richesse culturelle peut donner la joie de vivre. Et l’enthousiasme de se défouler. D’où l’importance des grandes manifestations sportives et musicales. Jusque dans les années 80 et 90, les concerts des fêtes du 04 avril, de la Tabaski, de la Korité, du 25 décembre et autres 1er janvier ont toujours rythmé notre jeunesse. Et qu’on le veuille ou non, Youssou Ndour et le Super Etoile de Dakar avaient fini par « monopoliser » toutes ces dates à travers des méga-concerts aussi bien au stade Demba Diop qu’au théâtre national Daniel Sorano. Grâce à son sérieux et son professionnalisme, l’artiste planétaire Youssou Ndour, à travers ses rendez-vous annuels de Tabaski ou de Korité — mais aussi de fêtes de fin d’année — constituait le pôle d’attraction et un lieu de convergence pour tous les fêtards et mélomanes du Sénégal. Comme quoi, tout chanteur ou promoteur concurrent qui s’aventurait à jouer une date coïncidant avec celle du roi du Mbalax, allait tout droit vers un…fiasco.
Le groupe TouréKunda a constitué l’exception en ces annéeslà ! La preuve par l’année 1984 où le groupe Touré-Kunda débarqua, un après-midi de Tabaski, au stade de Demba Diop. A la clé, un impressionnant camion-podium rempli de 20 tonnes d’instruments de musique et de matériels de sonorisation. Une logistique ultramoderne que les mélomanes et spectateurs venaient de découvrir pour la première fois à Dakar. De même que les responsables et intendants du stade Demba Diop qui multipliaient les manœuvres acrobatiques pour faire rentrer, sans succès, le camion-podium dans l’enceinte du stade. Ce jour-là, ajoute Sixu, les logisticiens et techniciens français du groupe Touré-Kunda avaient tout essayé jusqu’à dégonfler les pneus, mais ils n’ont pas réussi à faire entrer le camion dans le stade. Il a fallu l’intervention du président Abdou Diouf pour autoriser la démolition d’une partie du portail de Demba Diop trop étroit pour la circonstance. Rien que cette instruction « fuitée » du président de la République suffisait pour faire monter l’engouement et l’effervescence autour de ce concert historique. Voir de près, en chair et en os, les frères Touré qui faisaient vibrer la France et l’Europe, c’était une occasion à ne pas rater ! Pendant ce temps, nous rappelle-t-on, certaines stars et divas de la musique sénégalaise s’activaient dans les coulisses — et jusqu’en basse et haute Casamance ! — pour se faire inviter à ce méga-concert à Demba Diop.
Contrairement à Youssou Ndour qui avait eu l’honneur et le privilège d’être convié sur scène par les frères Touré eux-mêmes. Il vrai que You n’était pas en terrain inconnu dans ce mythique stade pour l’avoir toujours conquis à guichets fermés ! Mais cette fois-là, toutefois, il fallait à notre You national s’adapter aux nouveaux instruments de pointe de la marque «T-K». Et surtout au fameux « micro sans fil » révolutionnaire offrant plus de liberté sur scène. « Micro sans fil » ? Un exercice très difficile pour un Youssou Ndour habitué à chanter et sauter avec un micro doté d’un long fil qu’il trimballait sur l’estrade. Cette Tabaski de l’année 1984-là à Demba Diop, l’auteur, compositeur et interprète du Super Etoile de Dakar avait été mis à l’épreuve de la toute-nouvelle technologie. A chaque fois que You s’élançait sur un refrain avec le « micro sans fil », il tentait par intermittence de se défaire du « fil » qui n’existait que dans son imagination. Un « tic » d’un novice qui, bien que discret, avait fini par provoquer l’hilarité générale d’un public à la fois ébahi et sidéré.
Le grand Youssou Ndour et son « fil » encombrant qu’il essayait de camoufler par des jeux et sauts de scène, c’était là tout un spectacle ! Au finish, la brillante prestation du roi du Mbalax avait eu raison de ce « micro sans fil » insaisissable. Avec un sourire nostalgique, Sixu Tidiane, l’un des frères TouréKunda se souvient de cette anecdote: « Il faut comprendre qu’à l’époque notre ami Youssou Ndour n’avait pas l’habitude des micros sans fil. Mais aujourd’hui, il en connait mieux que nous ! » relativise l’homme aux rastas avant d’ajouter : « D’ailleurs, je profite de l’occasion pour magnifier l’immense talent et le professionnalisme démesuré de Youssou Ndour qui n’a pas encore fini de séduire le monde de la musique ».
Abdou Diouf et les…lettres de créances
Dans les coulisses du sommet FranceAfrique de Vittel (France) en 1983, le président de la République d’alors du Sénégal, Abdou Diouf, avait promis aux frères TouréKunda qu’il allait s’investir pour le succès de leur première tournée africaine baptisée « Paris-Ziguinchor ».
Pour ce faire, durant l’étape de Dakar, il avait donné des instructions fermes aux membres du gouvernement concernés pour que tous les concerts et spectacles du groupe Touré Kunda soient exonérés de taxes. Même les droits de douane et les frais de manutention pour faire sortir le camion-podium du port de Dakar avaient été pris en charge par la présidence de la République » révèle Sixu en guise de reconnaissance à l’endroit de l’ancien chef de l’Etat, Abdou Diouf. Et pour la réussite de cette tournée africaine, le même président avait élevé au rang d’ambassadeurs culturels les frères Touré pour pouvoir les recommander auprès de ses homologues chefs d’Etat africains. « Le président Abdou Diouf nous avait même donné des lettres de recommandation, pour ne pas dire des « lettres de créances » afin de faciliter l’organisation de nos concerts en Gambie, en Côte d’Ivoire, au Mali etc. A travers cette grande tournée africaine, nous avons réussi à prouver à Angélique Kidjo, Salif Keita, Youssou Ndour, Manu Dibango et d’autres stars du continent que c’était possible de s’imposer en France et dans le reste du monde pour le rayonnement de notre patrimoine culturel » commente encore Sixu.
Pour preuve, dès son retour en France fin 1984, le groupe Touré-Kunda croule sous le poids des concerts et spectacles à l’échelle mondiale qui l’ont conduit au Japon, aux Usa, au Mexique, en Chine etc. En 40 ans de carrière, les frères Touré ont animé, à travers le monde, plus de 2.000 concerts et spectacles. Ce sans oublier les prolongations que jouent actuellement Sixu et Ismaïla. « Pas plus tard que l’année dernière (Ndlr 2020), nous avons joué en dehors de la France. Et on continue encore à jouer » indique Sixu sans pour autant reconnaitre que le mythique groupe Touré-Kunda a perdu son lustre d’antan. Après le décès d’Amadou et la « rébellion » d’Ousmane, le parfum de la décadence se fait sentir.
Que de beaux souvenirs !
A l’entame de cette série de concerts sanctionnés par de nombreux prix et distinctions, les célèbres auteurs et compositeurs de « Emma », « Amadou Tilo », « Natalia », « Toubab Bi », « Ninki Nanka », « Salam », « Santhiaba » et autres tubes, ont fait un retour mémorable au terroir des ancêtres, la Casamance. Ce concert tenu au stade Aline Sitoe Diatta semblait avoir pour but non seulement de communier avec leur public mais aussi de bénéficier des prières et de la bénédiction des « anges gardiens » qui ont vu naitre et grandir les frères Touré. Aux premières loges de ce concert, le père Daby Touré ayant à ses cotés les grands notables et dignitaires de Ziguinchor. « Mes frères Ousmane et Ismaila vous le diront, la présence de notre cher Papa au concert reste et demeure un de nos plus beaux souvenirs. En provenance de la mosquée après la prière de Guéwé (nuit), mon père, en compagnie des imams et oulémas du quartier, s’est dirigé vers le stade alors que le concert venait de démarrer. Tout souriant, notre Papa nous avait interpellés pour nous demander d’ouvrir gracieusement les portes du stade aux milliers de sans-tickets. Aussitôt, nous avons accédé favorablement à sa demande. Malgré le manque à gagner, nous nous étions exécutés. Cette autorité dont fit montre notre père ce soir-là marquera à jamais le groupe Touré-Kunda » assure Sixu en exclusivité au « Témoin ».
Sixu, les dreadlocks et le veuvage
Sur scène, Sixu Tidiane se distinguait du reste de la fratrie par ses dreadlocks. « Ah tiens, celui-là, le rastaman c’est Sixu Tidiane! » s’écriaient les fans du groupe Touré-Kunda. Quant à Ismaïla, rien ne permettrait de le confondre avec Sixu. Apparemment, ils ne se ressemblent pas. En tout cas, pas pour certains ! Et pourtant, ils sont presque des « jumeaux » puisque nés, de mères différentes (coépouses) il est vrai mais vingt-deux jours d’intervalle seulement ! Comme signe distinctif, Ismaïla se cache éternellement derrière ses lunettes de vue. Mais aujourd’hui, si Sixu porte des lunettes, on risque de le confondre avec Ismaïla ! Pour cause ? Parce que, tout simplement, Sixu s’est débarrassé de ses dreadlocks. Pourquoi ? « Après le décès mon épouse, mes enfants ne pouvaient plus tolérer que je supporte le fardeau des dreadlocks. Et j’ai coupé les fameuses tresses !
D’ailleurs, votre dirpub Mamadou Oumar Ndiaye et l’ancien ministre Ousmane Ngom connaissaient très bien ma défunte épouse (Ndlr, c’était la fille de l’ancienne ministre socialiste de la Santé, Dr Marie Sarr Mbodj) qui les avait invités à déjeuner lors d’un de leur passage à Paris. Mes deux invités étaient en compagnie de ma tante Ciré Ndiamé, une ancienne militante du Pds. C’était en 1988 au quartier Belle-ville où j’habitais à l’époque. Juste pour dire que seul le décès de mon épouse pouvait me séparer de mes dreadlocks » explique Sixu.
Selon les mauvaises langues, si Ousmane a quitté le groupe, c’est parce que l’ex-manager français Olivier faisait une répartition inéquitable des fonds. Interrogé sur cette rumeur malveillante, l’ex-homme aux rastas répond sans ambages : « C’est faux ! Notre manager Oliver n’est pour rien dans le départ d’Ousmane. C’est un problème entre frères Touré comme il peut en exister dans toutes les familles. D’ailleurs, c’est toujours avec beaucoup de désolation que j’évoque le départ d’Ousmane. Car j’ai tout fait avec insistance pour qu’il revienne dans le groupe mais sans y parvenir, hélas ! C’est toujours regrettable de se séparer d’un frère dans le cadre du travail... » se désole Sixu à propos du clash intervenu entre lui, Ismaïla, d’un côté, et Ousmane Touré de l’autre...