LES MOTEURS DE LA VIOLENCE CONJUGALE
Toutes les six heures, une femme décède sous les coups de son conjoint dans le monde. Des chiffres qui renseignent sur une réalité effarante que vivent les femmes
Toutes les six heures, une femme décède sous les coups de son conjoint dans le monde. Des chiffres qui renseignent sur une réalité effarante que vivent les femmes. A l’occasion du 1er Festival féministe «Jotaay Ji», la discussion a porté sur les mécanismes des violences conjugales. Au Sénégal, force est de constater que la société est souvent complice des bourreaux.
Chaque six heures dans le monde, une femme décède sous les coups de son conjoint. Dans chacun de nos quartiers, il y a une famille dont le chef «bat» sa femme. Il arrive qu’au cœur de la nuit, des cris déchirants s’échappent de cette chaumière. Et très souvent, quand ces cris fusent, beaucoup de ceux qui auraient pu porter secours, choisissent de détourner le regard. Parce que l’on reste encore convaincu qu’un mari a le pouvoir de «corriger» sa femme. Certains se poseront d’abord la question «qu’est-ce qu’elle a fait pour mériter ces coups ?».
Et selon la réponse qu’ils sont prêts à donner, ils prendront parti pour le mari violent ou pour la femme battue. Mais comment les couples basculent dans ce cycle de violence ? La question a été abordée ce dimanche au dernier jour du Festival féministe de Dakar. Layti Fary Ndiaye, Aminata Libain Mbengue et Alima Diallo ont tenu une discussion sur la question. Les trois féministes ont présenté les différentes étapes du cycle de la violence conjugale. Ce cycle que les spécialistes ont étudié et schématisé, tente de dégager les processus répétitifs liés à la violence entre partenaires. Tension, explosion, justification et lune de miel sont des étapes qui se manifestent de diverses façons dans le couple. Mais dans toutes ces étapes, le conjoint violent est toujours à la baguette jouant d’effets psychologiques pour mieux dominer sa victime.
Dans les familles sénégalaises ou le «mougn» et le «soutoura», en clair l’endurance et la culture du secret, sont des règles que l’on rappelle toujours aux épouses et aux filles, les maris violents n’ont pas beaucoup d’efforts à faire pour maintenir leurs victimes sous une cloche. Le terme de «kilifeu» que porte le mari oblige même à se soumettre aux ordres suivant des normes culturelles ou religieuses. «Ce qui se passe entre le couple découle des rapports sociaux», rappelle de ce fait la sociologue Layti Fary Ndiaye.
Dans la phase de tensions, explique-t-elle, la personne violente utilise divers mécanismes. Silence lourd, regard menaçant, irritation, augmentation des conflits, impatience de plus en plus présente, mise en avant des erreurs, etc. Tout cela concourant à saper l’estime et la confiance de la victime qui cherche avant tout à apaiser les tensions. Quand arrive la phase de justification, c’est la même personne qui va chercher à se déresponsabiliser. «Tu ne m’écoute pas quand je parle, j’ai beaucoup de travail» sont autant de manipulations qui vont marcher puisque la victime va elle-même chercher des explications pour justifier les tensions. Entre la phase dite de la lune de miel et la phase de violence proprement dite, les situations se multiplient et la victime perd de plus en plus confiance. Mais toujours, la famille est là pour apaiser et convaincre la femme de redoubler d’efforts. «Il y a une sublimation de la violence féminine et on pense que c’est normal pour une femme de souffrir», évoque une paneliste en citant certains adages qui vont dans le même sens.
La question de la prise en charge
Comment reconnaître et prendre en charge ces victimes de violence ? La question est loin d’être tranchée. Et pour Dr Ndèye Khady Babou, il y a encore un énorme travail à faire sur la détection de ces cas. Elle estime en effet que le personnel médical ne sait pas écouter ou n’a pas été formé à écouter les signes de détresse physique ou psychologique. «Pour le médecin par exemple, c’est de se dire que cette femme, c’est la 3e ou la 5e fois que je la vois. Et chaque fois, ce sont des céphalées alors qu’au niveau physique, il n’y a rien. Peut-être qu’il y a autre chose. Et il prend le temps de l’écouter et de l’examiner, de chercher des blessures de défense qui sont localisées sur certaines parties du corps quand la personne essaie de se protéger des coups». Mais plus globalement, la spécialiste en santé publique estime que le personnel médical doit être formé. «Il y a des victimes qui ont été brutalement abusées et là, il y a des signes physiques.
Pour les victimes sous le coup de violences verbales, psychologiques ou économiques, il y a aussi des choses à faire, pas seulement par le personnel médical, mais par tous les relais communautaires comme les badienou gox, etc.». Le Sénégal a adopté le protocole de prise en charge des violences basées sur le genre défini par l’Organisation mondiale de la santé (Oms) en l’adaptant aux réalités du pays. «Maintenant il faudrait juste démocratiser ça. Ces protocoles doivent pouvoir être fonctionnels pour tout le personnel médical et paramédical. Aujourd’hui, vu le nombre de personnes victimes de violences basées sur le genre, il ne devrait plus seulement s’agir de dire qu’on va former un groupe de personnel et laisser les autres. Cela devrait même être dans le curricula du personnel soignant de manière générale», souligne-t-elle. Le danger étant que quand une personne victime de violence n’est pas prise en charge ou que cette prise en charge est tardive, des dénouements tragiques ne sont pas à exclure. Et ces dernières années, le Sénégal a vécu son lot de féminicides, des femmes tuées par leurs con-joints.
Le festival Jotaay Ji a posé le débat sur un certain nombre de problématiques qui plombent l’épanouissement des femmes dans la société. Mais il ressort de ces discussions que c’est la société sénégalaise elle-même qui doit être refondée. Cela passe par une éducation plus appropriée pour faire comprendre aux jeunes générations qu’homme ou femme, les mêmes règles d’humanité s’appliquent. «Dans cette société, quand les femmes ne doutent pas, les hommes ont un problème», fustige Aminata Libain Mben¬gue.