PERFORMANCE «SUPREME» POUR DORCY RUGAMBA
Une des attractions de cette Biennale 2022, reste la proposition de l’auteur et dramaturge rwandais, Dorcy Rugamba.
Une des attractions de cette Biennale 2022, reste la proposition de l’auteur et dramaturge rwandais, Dorcy Rugamba. Le film «Les restes suprêmes», à mi-chemin entre la performance, l’exposition et la pièce de théâtre, fait foule à chacune de ses représentations.
La scène se passe dans une salle dans ce qui représente un coin de l’Africa Museum, nouveau nom du Musée royal d’Afrique centrale à Tervuren, en Belgique. Dans cet espace, pendent une multitude de bâtons de bambou où sont accrochés des masques. Tous ne sont pas inanimés. Parmi les visages figés, celui de Nathalie Vairac. Immobile d’abord, la comédienne observe et s’anime petit à petit.
D’une voix sculpturale, elle sort du silence pour s’adresser au visiteur venu renouer des liens avec ses ancêtres. Elle se présente comme la gardienne des restes éparpillés et sa voix servira de boussole aussi bien au visiteur qu’aux spectateurs. «Le passé, la vérité de tes ancêtres, leur histoire ne se trouve pas entre les murs de ce musée devenu aujourd’hui un Musée d’art africain qui raconte que l’Africain n’a pas d’histoire», dit-elle. Le ton est donné.
Ce film (Les restes suprêmes) de Dorcy Rugamba est à la fois une pièce de théâtre et une installation. Mais son auteur en parle comme d’une oœuvre plastique et performative, mais aussi déambulatoire. Le public est invité à se joindre à la représentation et passe d’une galerie à une autre. Malang Sonko, qui interprète le rôle du visiteur, découvre aux côtés du masque, les lieux où celui-ci a séjourné, entraînant le spectateur dans une suite de galeries qui dévoilent encore plus la face sombre de cette entreprise de colonisation. Par ces différentes stations, il renouvelle le regard sur cette histoire.
Dans l’antre du savant fou, le personnage est exalté. Son discours est celui de cette Europe du 19e siècle, engoncée dans ses certitudes de supériorité sur les autres races mais pas que. Le savant fou énonce également des théories «grotesques» qui avaient court comme l’idée selon laquelle les femmes de petite vertu auraient des caractéristiques physiques spécifiques. Et c’est pour asseoir ces vérités que des recherches et études ont été effectuées sur des milliers de corps humains venant des pays colonisés et convoyés à bord de bateaux vers la métropole. Ils seront mesurés, pesés et disséqués comme le fut la Venus Hottentote.
Dans la galerie suivante, le spectateur est invité à prendre place dans le cabinet d’un général, amateur de chasse et qui raconte avec le même enthousiasme, ses parties de chasse à l’éléphant et ses razzias dans des villages pour couper des têtes. A la fin de sa quête, Malang arrive dans un 4e espace représentant la terre des ancêtres. Ici, le décor est constitué de cases dont certaines sont brûlées.
Le devenir des masques en question
Cette représentation a servi d’introduction à un panel autour de la question de la restitution des œuvres d’art au continent. Qu’est-ce qui doit être restitué ? Une fois restituées, a qui appartiendront ces œuvres ? Et ou seront-elles conservées ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles les panelistes ont tenté de répondre. Pour le Pr Felwine Sarr, il faut surtout voir la pluralité des dispositifs qui existent déjà sur le continent et à qui on doit donner une égale dignité. «Tant que la question reste celle du musée, on restera encore enfermé», dit-il en donnant l’exemple du Cameroun où les chefferies traditionnelles disposent de leurs propres infrastructures muséales.
Et pour la co-auteure du Rapport sur la restitution des œuvres d’art, Benedicte Savoy, il est faux de dire qu’il n’existe pas de musées en Afrique puisque les explorateurs européens en font mention au 19e siècle. D’ailleurs, le rapport en recense près de 500. Plusieurs questions se posent au moment de ces restitutions, estime le critique d’art, Sylvain Sankalé. «Tous ces masques sont-ils des objets d’art ?», s’interroge-t-il avant de souligner que différentes catégories d’objets sont concernées entre les objets rituels, les objets de prestige et les objets utilitaires.
En outre, il faudrait, selon lui, concilier ces œuvres d’art et le rôle à leur donner, surtout avec l’approche des religions révélées qui prônent leur destruction.