PLAIDOYER POUR LE DROIT AU VOYAGE ET L’ENGAGEMENT POLITIQUE
Le long-métrage documentaire «Doxandéem, les chasseurs de rêves», de Saliou Waa Guendoum Sarr alias Alibéta, retrace l’histoire d’un migrant revenant dans sa communauté pour y trouver sa place et y construire un avenir meilleur
Le long-métrage documentaire «Doxandéem, les chasseurs de rêves», de Saliou Waa Guendoum Sarr alias Alibéta, retraçant l’histoire d’un migrant revenant dans sa communauté pour y trouver sa place et y construire un avenir meilleur, a été projeté ce mercredi au cinéma Pathé Dakar, en avant-première. Pour Alibéta, filmer un documentaire, c’est aussi filmer les relations humaines.
«Les thématiques engagées par ce film sont aujourd’hui centrales dans le débat et le discours que porte la jeunesse du Sénégal. Plus qu’un énième film sur la migration, ce sont les questions du droit au voyage, du retour, de l’épanouissement des rêves individuels, de l’entreprenariat et l’engagement communautaire qu’il pose. Et cette projection, ça marque pour nous, un nouveau temps. Un temps de pouvoir le montrer et le partager avec le public sénégalais» : ce sont les propos de Yanis Gaye, producteur Gorée Island cinéma, quelques minutes avant le début de la projection dans la présentation qu’il faisait du film. D’une durée de 88 minutes, ce film intitulé Doxandéem, les chasseurs de rêves, projeté mercredi dernier à Pathé Dakar, raconte l’histoire d’un homme, Mamadou Dia, qui, après avoir passé huit ans de clandestinité en Espagne, retourne dans son village natal, Gandiol, et s’engage à être une force positive pour sa communauté. Avec sa femme Laura, une Espagnole migrante au Sénégal, et sous le regard bienveillant de Yaaye Khady, sa maman, Mamadou s’active à construire avec sa communauté «l’utopie active» qu’il a exprimée d’ailleurs dans son livre «3052». Un livre qu’il a écrit pendant son périple.
A travers ce récit captivant, le réalisateur Saliou Waa Guendoum Sarr alias Alibéta plonge les spectateurs au cœur des luttes et rêves des jeunes sénégalais et africains en particulier, abordant avec profondeur les questions de l’émigration, du retour et de l’engagement politique avec sa vision artistique unique. Doxandéem, les chasseurs de rêves s’impose comme un puissant récit de résilience et d’espoir. «Ce qui m’intéressait, c’est de questionner ce regard croisé dans le retour qui est un autre voyage. Et fondamentalement, c’est un manifeste pour le droit au voyage, l’engagement dans les communautés et pour toutes les questions que pose la relation à l’Europe. Retourner, ce n’est pas toujours facile. C’est compliqué. On retrouve une société complexe. La société a changé», confie-t-il, soulignant ainsi la complexité des enjeux sociaux et politiques auxquels sont confrontés les migrants de retour dans leur pays d’origine.
Dénoncer les injustices
Loin de glorifier la migration clandestine, Saliou Sarr dénonce les injustices systémiques qui poussent tant de personnes à risquer leur vie pour chercher refuge ailleurs, dans un hypothétique eldorado. Selon Saliou Sarr, Doxandéem, les chasseurs de rêves est la suite logique de son premier film sorti en 2016 et intitulé Life Saaraba illégal. Un film qui retrace le voyage très personnel de deux frères, Aladji et Souley, partis de Niodior, des îles du Saloum, vers l’Espagne. «Et il était important pour moi, de faire un autre film pour continuer cette histoire. Mais un film qui raconte le retour d’un migrant, Mamadou Dia, dans sa communauté à Gandiol, mais qui s’est engagé à devenir une force vive, mais aussi l’immigration de sa femme qui est une Espagnole et migrante au Sénégal», a-t-il justifié à la fin de la projection. Dans sa direction artistique, Doxandéem, les chasseurs de rêves offre une réflexion profonde sur les relations entre l’Europe et l’Afrique, appelant à une décolonisation des mentalités des deux côtés de la Méditerranée. «J’ai l’impression que dans le débat de la migration, on résume tout à la recherche de l’économie. Et on oublie qu’il y a d’autres motivations. On a l’impression que ce droit-là, il n’est pas accordé aux jeunes africains particulièrement, mais que tous les autres ont le droit d’aller où ils veulent sauf nous», constate-t-il.
«Un monde qui ne rêve plus est un monde fini»
Auteur, compositeur et metteur en scène, Saliou Sarr aborde également la question de l’engagement politique, invitant les acteurs de la Société civile du pays et les artistes à prendre leurs responsabilités face aux défis démocratiques et sociaux qui se dressent devant eux. A ses yeux, ce film vient à son heure. «Il montre des jeunes dans une communauté qui s’engagent à construire contre vents et marées, malgré les politiques et critiques de la société. Et je rappelle que la direction historique et politique de ce pays n’appartient pas seulement aux politiciens. Elle appartient aussi aux artistes. Alors, je lance un appel à tous les acteurs culturels de ce pays, de s’organiser et de prendre part. Ce film est fondamentalement politique», proclame-t-il avec conviction, soulignant ainsi le rôle crucial de la culture dans la transformation sociale et politique. Pour Alibéta, il est impératif de construire une nouvelle utopie basée sur le respect mutuel et la reconnaissance de la dignité de chacun. «Il faut une vision pour qu’on puisse construire ce pays. Et on a l’impression que dans ce pays, il n’y a pas de vision», dit-il. On voit en effet tout au long du documentaire, un fou qui semble porter la contradiction aux certitudes de sa communauté. Musicien à la base et compositeur comme il écrit, Alibéta explore cette notion de folie comme catalyseur de changement et de contestation car, dit-il, chaque société a besoin de son fou. «C’est le fou qui permet de connaître la norme et la limite de la norme. Et je pense que Macky Sall a besoin d’avoir un fou à côté de lui. Le fou n’est pas là juste pour dire ce que vous voulez. Mais il parle sans filtre et chaque société a besoin d’avoir son fou. Mais dans le film, le fou, c’est la voix de la communauté», affirme Alibéta. Doxandéem, les chasseurs de rêves est bien plus qu’un film. C’est un appel à l’action, une invitation à rêver et à se battre pour un monde meilleur. «Filmer un documentaire, c’est aussi filmer les relations humaines. On doit veiller sur nos rêves. Un monde qui ne rêve plus est un monde fini. Aujourd’hui, malgré tout ce qui se passe, on rêve encore. On rêve et puis on se lève, on se bat pour construire nos rêves. Donc, je lance un appel pour dire : ne laissez personne piétiner vos rêves», lance-t-il.