MULTIPLE PHOTOSPLONGEE AU CŒUR DES «MASKS»
Exposition - Tampidaro à la Galerie Art Box - «Masks» est une série de toiles que l’artiste sénégalais Tampidaro expose à la Galerie Art Box de Dakar.
«Masks» est une série de toiles que l’artiste sénégalais Tampidaro expose à la Galerie Art Box de Dakar. Connu pour ses panoramas colorés de la capitale sénégalaise, Tampidaro plonge cette fois dans l’univers des masques, mais selon le style bien particulier qu’est le sien. Cet article a été réalisé dans le cadre d’un programme de Noocultures et a été encadré par la critique d’art Hanou Amendah.
Par une rencontre avec le masque africain, Picasso bouleversa le monde de l’art. Sur les pas du maître, Tampidaro, le peintre autodidacte. Mais là où le maître espagnol s’est intéressé à l’esthétique des masques africains, le jeune artiste sénégalais, lui, en fait une interrogation sur la nature profonde de l’homme. La série «Masks» est une réflexion sur l’état psychologique de l’homme. Tampidaro, Ibrahima Bocoum de son vrai nom, pose son regard sur l’homme, la nature et le monde animal. Pour cette exposition à la Galerie Art Box des Almadies (Dakar), il revisite les masques, ces objets singuliers de l’art africain. Et ici, ils prennent des formes inhabituelles comme souvent dans le travail de l’artiste : couleurs vives, figures caricaturées, formes déjantées aux têtes plus carrées que rondes avec des bouches énormes, des visages avec des inscriptions et incrustations à profusion. Forêt enchantée (2023) représente un visage d’homme à la forme triangulaire qui émerge d’une sorte de masque aux contours réguliers. Les yeux, peints en orange, ainsi que la bouche énorme se détachent d’une touffe de cheveux et sont surplombés par une petite tête d’oiseau. Les yeux aux grosses orbites fixent l’horizon. Des plumes grises, striées de noirs, sont enfoncées dans les cheveux de l’homme. Pour comprendre les œuvres de Tampidaro, ses choix esthétiques singuliers ainsi que son attachement à une vision psychologique de son environnement, il faut remonter dans son passé et son parcours de vie.
Artiste autodidacte
Tampidaro est un artiste autodidacte. Dans le quartier de la Médina où il est né, la vie est faite de solidarité et d’entraide. La croissance démographique aidant, la Médina est devenue trop exiguë pour les milliers de gens qui y vivent. Mais les relations humaines en sortent plus renforcées. C’est dans cette atmosphère exaltée, survoltée et totalement désordonnée que Tampidaro grandit au sein d’une famille d’artistes. Son père et ses frères sont artistes, et sa mère teinturière. Aux côtés de cette dernière, naissent les premières tentatives. L’artiste utilise d’abord les matériaux de sa mère pour bricoler ses toiles. Décidé à réussir dans cette passion qui l’a écarté très tôt de l’école, il trouve tout de même le moyen de se former à l’espace «Car Rapide» pendant 7 ans, auprès de Mamadou Sadio, un artiste autodidacte connu pour ses peintures aux couleurs vives et d’inspiration «Pop Art». Entre les journées à l’atelier et la nécessaire recherche d’un travail salarié, il met au point sa technique : une vision de la réalité de son quartier, la Médina, conforme à ses fantasmes d’artiste, ses sentiments et son ressenti. Les routes prennent alors des couleurs vives et les bâtiments semblent danser. Et quand il fait le portrait de ses «Fous», il leur donne les attributs que l’imaginaire collectif leur prête. Des yeux qui voient tout, des bouches qui renferment une sagesse intrinsèque. Loin de rechercher l’exactitude dans la représentation de son environnent urbain, il cherche à exprimer fondamentalement, à la manière de Van Gogh avec The Stary Night (1889), un ressenti, des impressions.
Derrière les couleurs vives et les formes déjantées, Tampidaro pose une véritable réflexion sur l’homme et son interaction avec son environnement. Cette réflexion est le fruit d’une rencontre fortuite avec un malade mental. De cet échange, naissent de vraies interrogations qui ne vont plus le quitter sur la nature profonde de l’être humain, ses motivations et la notion de folie. Sommes-nous plus sains d’esprit que ces malades mentaux qui nous entourent ? Être bien habillé et avoir des aptitudes sociales suffisent-ils pour dire notre humanité ? Ses pinceaux traduisent ces questions sur la toile, ainsi que les réponses qui nourrissent son imaginaire. Avec la série les «Fous» produite en 2022, l’artiste examinait alors la face cachée de l’être humain à travers des portraits aux frontières de l’humanité et de la folie. Chacun des personnages représentés y arbore un sourire énorme, comme pour rire de nos certitudes de mortels qui se disent sains d’esprits. Cette série, où il fait siennes les réflexions que ce malade mental a partagées avec lui, est devenue d’ailleurs l’une des plus populaires de l’artiste et l’a amené à poursuivre l’exploration des facettes cachées de l’être humain. La série avec les masques est une continuation naturelle de cet examen psychologique des humains.
Un miroir révélateur
Les toiles de la série «Masks» sont des portraits pour la plupart. Ils représentent des visages sous des masques. Chez Tampidaro, les masques ne servent ni à cacher ni à occulter. Ils servent plutôt à révéler la nature profonde de l’homme. On est comme face à un miroir révélateur, comme le démontre si bien Forêt enchantée (2023). Derrière le visage souriant des hommes, se cachent souvent les pensées les plus effrayantes. L’âme humaine est capable des pires atrocités, et elles sont commises par l’homme sur ses semblables, mais aussi sur la nature et les animaux. Les squelettes d’animaux évoquent ces innombrables espèces disparues, détruites par la folie de l’homme, ses débordements et excès. L’homme, cet animal qui se transforme en prédateur, n’a pas qu’un seul visage. Et les toiles de Tampidaro sont un voyage au cœur de cette dualité entre l’homme et l’animal. Derrière chaque masque, transparaissent des pulsions bestiales. A l’intérieur de chaque masque, des signes et des symboles sont gravés. Des cercles ou des lignes qui se rejoignent pour former des figures géométriques. Parfois en noir ou en couleurs vives, ces signes pointent vers l’existence d’un monde parallèle que l’artiste explore constamment dans ses œuvres. Esprits du visage (2023) représente un double visage sur lequel le nez est tracé en blanc ainsi que le contour des yeux. Alors que l’un des yeux a une forme normale, l’autre est formé d’un globe énorme, au fond duquel brille un iris orangé. Un deuxième visage pousse dans l’arrière du crâne, avec des excroissances en forme de corne. L’ensemble est certes effrayant, mais l’harmonie des couleurs vient tempérer la peur. Ici, l’humanité semble s’être effacée. Elle a laissé la place à la nature bestiale de l’homme dans son entreprise de prédation.
Lâcheté de l’homme ?
Au-delà de la pure prédation et de la rapacité des hommes, l’artiste s’émeut également de la façon dont les animaux deviennent des objets de négociation spirituels, sacrifiés parfois sur l’autel de l’irresponsabilité des hommes. Le calice présent dans le portrait Forêt enchantée (2023), qui permet de recueillir le sang des bêtes lors de sacrifices rituels ou de séances de libations pour implorer les mânes des ancêtres, indique comment les humains se servent des animaux pour expier leurs fautes ou rejeter toute responsabilité. Quand une série d’accidents survient sur une route, les conducteurs évoquent très souvent la responsabilité des génies et des esprits qui peuplent la brousse. Pour Tampidaro, il s’agit là d’une fuite de responsabilité. «Ce ne sont pas ces choses qui nous font du tort, mais bien le fait que les humains eux-mêmes ne sont pas très éduqués. Ils prennent de l’alcool, ne dorment pas assez, ne prennent pas soin de leurs véhicules. Alors quand il y a un accident, ce ne sont pas les êtres surnaturels. Je veux que les gens comprennent qu’ils sont les responsables de tout ce qui se passe, pas la nature qu’on se plaît à accuser toujours.» Dans l’univers de Tampidaro, les animaux sont très présents et ils crient leurs souffrances face aux mauvais traitements qu’ils subissent. Dans les rues de Dakar, les chiens errent et vivent en bandes sauvages. Ils sont souvent maltraités et chassés à coups de pied. Ces traitements, Tampidaro ne les accepte pas. «Ici au Sénégal, les animaux sont marginalisés. Les chiens et les chats errants sont persécutés alors qu’ils font partie de nous», explique l’artiste.
Peintre du chaos urbain
Le regard sur les animaux de rue à Dakar n’est pas un élément isolé dans les thématiques qu’aborde Tampidaro. De la même façon qu’il étudie avec minutie l’âme humaine, il décortique également les mouvements de la ville. L’artiste est bien connu pour ses représentations du chaos urbain de Dakar, lui donnant une touche artistique unique. Sous sa palette, la ville prend un autre visage. Elle est folle, elle est dynamique, elle est décousue, mais elle déborde de joie. Sous les pinceaux de Tampidaro, les visiteurs découvrent une ville surréaliste où les bâtiments sont penchés, voire courbés, les routes ne sont pas noires, elles arborent des couleurs vives et sont parfois rouges, parfois jaunes ou même vertes. Les personnages sont toujours dessinés dans des proportions exagérées. Ils sont souvent d’un noir profond et portent des vêtements colorés. Leurs bouches énormes sont peintes d’une couleur fluorescente. S’il s’inspire de scènes de rue qu’il observe, son œil d’artiste nous rend les scènes dans une représentation à la fois caricaturale et joyeuse. «Dans la rue, les gens se saluent, partagent les mêmes bancs autour des gargotes», raconte-il. Les personnages de cette ville sont des êtres chaleureux qui rendent ce chaos très attractif. Tampidaro décrit en somme une communauté de citadins qui se donnent la main, s’épaulent et dont la rue, l’espace public, est le lieu de fraternité et de bien-être.
Cette convivialité caractérise fortement le quartier de sa naissance, la Médina, et donne ce ton de joie et de bonne humeur à ses toiles. Tout comme lui, Ndoye Douts, un artiste plasticien récemment décédé et dont l’atelier était installé au cœur de la Médina, s’inspirait beaucoup de l’univers chaotique de la ville dans ses toiles. Mais Ndoye Douts dépeignait surtout le foisonnement des maisons qui se chevauchent et se superposent. Les villes africaines, souvent capturées dans les photos et décrites uniquement sous le signe du chaos, prennent une dimension humaine dans l’œuvre de ces artistes. Ils ne cherchent d’ailleurs jamais à le cacher. Ils en bouleversent le sens, en montrant la vie foisonnante qui en est issue et comment toutes les espèces, humains, animaux et plantes, y trouvent une place.
En peul, sa langue maternelle, Tampidaro signifie «s’arrêter quand on sera fatigué». Alors Tampidaro continue encore et encore de tracer sur ses toiles, les tares de la société et de l’homme. Tampidaro continue de s’inspirer du «Pop Art», en ce sens qu’il produit à l’infini les mêmes scènes de vie quotidienne et les mêmes personnages en utilisant les couleurs les plus violentes et les plus gaies. Qu’il s’agisse de masques ou de représentations de la ville, Tampidaro inscrit son œuvre inlassablement dans l’expression des sentiments, des désirs et des fantasmes cachés.