TIERNO MONÉNEMBO ET LES FANTÔMES DU CAMP B.
Dans son nouveau roman, « Saharienne Indigo », l’auteur revient sur les exactions du régime de Sékou Touré tout en louant la résilience des Guinéennes
Tout commence avec cette image puissante : une adolescente s’enfuyant par la fenêtre après avoir abattu son père. L’explication, Tierno Monénembo nous la donne juste après et sans fard, page 42 :
« – Dis-moi, tant que nous sommes seules : pourquoi as-tu tué ton père ?
– Il m’a violée.
– Ça, c’est une bonne raison, ça ! C’est marrant, tu le dis comme s’il l’avait toujours fait.
– Je l’aurais déjà tué. »
Ainsi débute Saharienne Indigo, le nouveau roman de l’auteur guinéen qui nous entraîne dans le Conakry des années 1990 à travers les yeux de Néné Fatou Oularé, dite Atou, recueillie dans sa fuite par Diaraye Baldé et Yâyé Bamby. Avec angoisse, la jeune fille s’attend à voir débarquer les policiers qui l’emmèneront pour qu’elle réponde de ses actes. Mais ils tardent à venir et la vie reprend ses droits chez les deux femmes qui l’ont cachée. Jusqu’à ce qu’un homme à gueule de flic, vêtu d’une saharienne indigo, vienne rôder dans les parages – et ressuscite les fantômes d’un passé douloureux.
« Diète noire »
Si Saharienne Indigo est un roman débordant de vie, c’est aussi un roman hanté par un épisode tragique remontant aux premières années de l’indépendance du pays et à la présidence d’Ahmed Sékou Touré. Avec subtilité, Tierno Monénembo revient en effet sur l’histoire du camp B. – le camp Mamadou-Boiro – qui, en pleine ville, servit pour l’internement militaire, la torture et la mise à mort entre 1960 et 1984. Quelques 50 000 personnes y auraient été tuées, opposants ou simples citoyens, succombant pour certains à la faim et la soif, une « diète noire » imposée par leurs bourreaux.
« La répression a été si féroce que, depuis longtemps, je me dis que je dois écrire sur ce sujet, confie Tierno Monénembo. Dans mes plus jeunes années, quand je vivais en Guinée, le camp B. n’était pas connu car il n’y a pas plus discrets que les colonels. Pendant longtemps, on n’en a pas entendu parler, on ne savait pas qu’il y avait un camp de torture en pleine ville. Le grand talent des criminels, c’est de savoir effacer les traces de leurs crimes. »
La réalité de ce lieu de mort, l’écrivain l’a découverte à distance, depuis la France, avec la mort en 1977 du premier secrétaire de l’Organisation de l’unité africaine, Diallo Telli, et surtout avec le témoignage d’un ancien membre de l’administration présidentielle, Jean-Paul Alata, dans Prison d’Afrique – un livre interdit dans l’Hexagone entre octobre 1976 et juillet 1982 dans l’idée de préserver les relations de Paris et Conakry.