MENSONGES ET VÉRITÉ AUTOUR DE LA SENELEC
Bientôt un mois que les révélations se suivent sur la gestion de Makhtar Cissé à la Société nationale d’électricité. Arrivé à la tête de cette boite le 26 juin 2015, il y aura passé 4 ans. Mais aussitôt parti, revoilà les problèmes. Décryptage !

Il a fallu une hausse du tarif de l’électricité pour que la situation change radicalement. Pourtant, jusqu’au moment où il rejoint le ministère des Energies, rien dans les indicateurs n’indique un quelconque problème à la Senelec. Les délestages qui ont été à l’origine des émeutes de 2011-2012, font désormais partie des mauvais souvenirs. Révélateur : les groupes électrogènes qui ronronnaient à longueur de nuit dans les quartiers, y compris les plus populaires, disparaissent du commerce, car les performances enregistrées à la Senelec ont enterré le business des groupes électrogènes.
Les états financiers de Société nationale d’électricité, validés par des cabinets dont certains, à l’image de Kpmg, sont des filiales de groupes étrangers, sont bons. Pape Dieng avait déjà amorcé une bonne tendance, en cassant d’avec les pertes. Il annonce, à la cérémonie de passation de service avec Makhtar Cissé, un bénéfice net de 3 milliards. Trois ans plus tard, ce chiffre monte à 30 milliards de francs Cfa. L’ambiance est bonne à la Senelec ; les consommateurs en ressentent les effets et les travailleurs en bénéficient indirectement. Mais l’Etat décide de ne pas communiquer sur ces chiffres, pour éviter que l’opinion ne se braque et indexe la société de bénéfices sur le dos du contribuable.
C’est donc sans surprise que West Africa Rating Agency (Wara), l’une des agences sous-régionales les plus crédibles, a affecté, bien avant que cette polémique n’éclate, précisément le 10 décembre 2018, la notation de long terme de ‘’A-‘’, en grade d’investissement (Investment Grade), tandis que sa notation de court terme est ‘’W-3’’.
Wara : ‘’La perspective ne devrait pas connaître une courbe descendante’’
La perspective attachée à ces notations est stable, précise le communiqué qui ajoute que cette perspective ne devrait pas connaître une courbe descendante, vu ‘’l’équipe de direction très compétente qui a pris la pleine mesure des défis à relever ; une vision stratégique claire appuyée par une très bonne qualité d’exécution ; une amélioration spectaculaire de la rentabilité et des ratios d’endettement’’.
Même le syndicaliste Matar Sarr, Secrétaire général de Syntes affilié à la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts) est catégorique sur la question. ‘’La santé financière de la Senelec se porte bien, mais puisque la société est régulée (Ndlr : Commission nationale de la régulation de l’électricité), on lui dit : voilà là où tu dois t’arrêter ; que tu ne dois pas dépasser tel nombre de milliards avec des formules de calcul des revenus. Or, cette formule a été établie en 2017 et s’arrête en 2020. On change donc de formule de calcul après 2020’’.
Pour lui, c’est là que gît l’explication. ‘’La Senelec a fait beaucoup d’investissements et se bat pour aller le plus loin possible à l’intérieur du pays, dans les prochaines années. Dans tous les cas, en tant que syndicaliste et travailleur, quoi qu’on fasse, il faut se débrouiller pour que la machine ne s’arrête pas et qu’on continue à donner satisfaction aux Sénégalais’’, assène-t-il. Dans tous les cas, Abdoulaye Dia, ancien numéro deux de la Senelec et actuel directeur de cabinet du ministre des Energies, a estimé, après Makhtar Cissé, Directeur général de la Senelec, bien avant même cette crise, qu’avec les importantes découvertes de gaz et de pétrole qui vont sortir en 2022, les choses vont changer. ‘’C’est pourquoi j’appelle à la responsabilité de tout le monde. Chacun doit prendre sa part de responsabilité. Tous les acteurs doivent se mobiliser jusqu’au jour où les choses vont s’améliorer de façon substantielle’’.
Le ‘’truquage’’ des états financiers en question
Dans ces conditions, qui donc peut truquer les états financiers de la Senelec, comme on lit à longueur de colonnes de journaux ? Comment la Senelec peut se fabriquer des chiffres sous le nez et la barbe des agences de notation internationales, les bailleurs de fonds, les actionnaires de la société, du conseil d’administration et des contrôleurs de comptes. Fiction !
La distribution et le transport étant améliorés, alors que les centrales électriques (y compris solaires) sont construites à coups de centaines de milliards de francs Cfa, le discours politique suit. Les voyants sont si verts que le président Sall, dans sa campagne électorale pour la dernière Présidentielle, aligne en bonne place les performances du secteur énergétique. C’est ainsi que la coupure d’électricité est passée de plus de 900 heures en 2011 à 66 heures en 2017, avec un taux de disponibilité de l’électricité de 99 % dans les maisons, soit 5,5 heures de coupure/mois, 1 heure/semaine, 19 minutes/jour sur toute l’étendue du territoire national’’, se plait-on à répéter.
Qu’est-ce qui a changé en si peu de temps, hormis la mesure de l’Etat d’augmentation partielle du coût de l’électricité, à travers la Commission nationale de régulation, pour qu’on passe du vert au rouge ? ‘’Où est l’élément nouveau ?’, s’interroge-t-on dans le secteur.
HAUSSE PRIX ELECTRICITE
Fieldstone dans le circuit de Senelec
La banque d’investissement anglo-américaine Fieldstone est annoncée dans le circuit financier de la Senelec, après une audience au palais, ce mardi. Une bonne nouvelle pour la boite. Les constats de l’Agence de notation ouest-africaine (Wara) sont encourageants et, en même temps renseignent sur le chemin qu’il reste à faire.
L’annonce a été générale, pour dire le moins. ‘‘Le président de la République a reçu, en audience, le directeur général de Fieldstone, une société conseillère financière de la Commission économique des Nations Unies. Les échanges ont porté sur le financement d’actifs de la Senelec pour faire baisser le tarif de l'électricité. L’objectif est de concrétiser cette offre au 1er semestre de l'année 2020’’, pouvait-on lire sur la page Facebook de la présidence de la République.
Quoique lapidaire, elle a suffi pour remuer le microcosme médiatique qui n’a bruit que de cette nouvelle toute l’après-midi d’hier. Effet d’annonce pour calmer la pression qui se fait de plus en plus insistante, au point que les mouvements citoyens menacent de rééditer, ce vendredi, à la place de l’Indépendance, leur grand rassemblement qu’ils ont réussi il y a une semaine ?
Si l’engagement n’est pas encore formalisé, cette nouvelle aura l’insigne mérite de desserrer très légèrement l’étau qui étreignait une Senelec et des autorités dont la mesure d’une hausse de 6 à 10 % sur les factures d’électricité, à compter de ce 1er décembre, a provoqué un grand mécontentement populaire.
Fieldstone est une banque d’investissement indépendante, spécialisée dans l’énergie et les infrastructures. ‘‘Nous réalisons des transactions sur certains des marchés les plus difficiles du monde en développement, une compétence qui a fait de nous un leader du marché en Afrique et une présence croissante en Amérique latine. Grâce à notre présence dans les centres financiers des pays développés, nous travaillons avec des investisseurs éminents et en herbe du secteur, reliant le capital à des produits soigneusement structurés’’, se vante la société dans sa note de présentation sur son site web.
Elle a été fondée en 1990 et a déjà pris part à des transactions d’une valeur de 50 milliards de dollars Us.
En fin août 2019, suite à un appel d’offres international, le gouvernement du Sénégal s’est attaché les services de cette banque d’affaires, pour fournir des services de conseil et de cogestion d’un nouveau fonds d’actions quasi-fonds propres, dette subordonnée pour les énergies vertes. Selon le magazine ‘’Confidentiel Afrique’’, cette grosse opération est parrainée par les pouvoirs publics sénégalais, la Banque africaine de développement et l’Institut global de la croissance verte. Cette même année, Fieldstone a été conseil financier pour l’augmentation de capital pour une turbine à gaz à cycle combiné d’une capacité maximale de 660 mégawatts au Ghana, ainsi que pour la vente d’une centrale éolienne suédoise de 750 mégawatts, dans le cadre du projet Aura. La banque a également mobilisé, sur fonds propres, pour une prise de participation de 25 %, dans un projet de développement éolien de 1 650 mégawatts en Afrique de l’Est, d’une valeur de 10 millions de dollars.
Notation Wara
En plus de cette bonne nouvelle, l’Agence de notation ouest-africaine (Wara) a listé cinq points forts, pour expliquer la note ‘‘A-’’ attribué à Senelec. Une note que l’agence dit être trois crans au-dessus de la note acceptée par le Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (Crepmf) pour émettre des titres obligataires sans garantie. Parmi ceux-ci, il y a le monopole de la distribution du courant pour 1,5 million de personnes que même l'ouverture du segment ''distribution'' n'arrive pas à perturber. Une autre remarque qui va sûrement apporter beaucoup de réconfort à Pape Demba Bitèye, Dg de Senelec, est que ''l'équipe de direction est compétente'', estime Wara. ''Elle a pris la pleine mesure des défis que l'entreprise devra relever. La réorganisation managériale qui a été entreprise, depuis 2016, a marqué un tournant en terme de gouvernance et de stratégie. L'arrivée du nouveau DG Papa Demba Bitèye confirme cette bonne dynamique'', fait relever Omar Ndiaye, le concepteur de la note.
Le rapport de décembre 2019 va même jusqu'à dire qu'avec le Plan Yeesal 2016-2020, la ''vision stratégique est claire, et la qualité de son exécution est très bonne''. Les critiques sur la gestion financière précédente sont vives. L'analyse de Wara prend leur contrepied pourtant. ''Senelec a renoué avec la rentabilité à partir de 2014 et semble avoir franchi un cap depuis 2016'', relève l'analyse. La satisfaction du client à 80 % constitue, d'après l'analyse, le dernier point positif de la tenue de Senelec.
Contraintes
Toutefois, les constats de l’Agence de notation ouest-africaine (Wara) sont pondérés par l’identification de trois contraintes. ‘‘Le fait que l’entreprise est encore à la recherche d’une meilleure efficacité opérationnelle. Une flexibilité financière qui, bien qu’en nette amélioration, reste en deçà des performances de ses pairs notés dans la même catégorie. La mobilisation de ressources externes pour financer la hausse de son activité et les investissements dans le cadre du plan Yeesal, risquent de peser encore un peu plus sur sa rentabilité financière et son niveau d’endettement’’, note l’agence dans l’analyse publiée, récemment.
Créée il y a presque quarante ans, la Senelec est entièrement contrôlée et régulée par l’Etat du Sénégal, en raison de sa mission de service public et de sa position stratégique au sein de l’écosystème socio-économique du pays. Les pouvoirs publics déclarent qu’ils ne peuvent plus continuer à injecter 250 milliards de francs Cfa annuels de subvention à cette société qui assure la production, le transport, la distribution et la vente d’électricité au Sénégal. L’agence est d’avis que la ‘‘détérioration de la notation de la Senelec serait la conséquence du reflux de l’Etat du Sénégal quant à sa politique de soutien au secteur de l’électricité’’.
Mais, s’empresse-t-elle d’ajouter, ce cas de figure parait ‘‘très peu probable à moyen terme, eu égard au calibre des projets en cours de réalisation’’. L’affaiblissement de la performance opérationnelle et/ou financière de Senelec et la perte de parts de marché en production sur son marché national peuvent également être des facteurs de dépréciation, d’après Wara.