PAP NDIAYE DÉRANGE CAR IL INCARNE L'IMAGE DU GRAND REMPLACEMENT
La nomination du nouveau ministre de l’Éducation nationale française a donné lieu à une levée de boucliers au sein de l’extrême droite. Explications du président de SOS Racisme, Dominique Sopo
À peine la nomination de Pap Ndiaye au ministère de l’Éducation nationale avait-elle été annoncée depuis les marches du perron de l’Élysée, que la twittosphère de l’extrême droite française résonnait de commentaires acerbes. Marine Le Pen, Éric Zemmour et leurs affidés ont, sans grande surprise, rivalisé d’outrances pour attaquer l’ancien directeur du musée de l’histoire de l’immigration.
Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une personnalité issue de la diversité occupe de hautes fonctions gouvernementales. Les nominations de Rachida Dati, Christiane Taubira, Fleur Pellerin ou encore Najat Vallaud-Belkacem avaient, en leur temps, donné aussi lieu à des haussements de sourcils courroucés sur les bancs de la droite extrême. Mais jamais le concert de critiques et de violences verbales n’avait atteint un tel niveau, aussi vite. Qu’est-ce qui dérange tant dans le profil du nouvel occupant de la rue de Grenelle ? Pour Dominique Sopo, président de SOS racisme, s’il est évident que les attaques à l’encontre de Pap Ndiaye portent la marque de la xénophobie, d’autres aspects se cachent derrière cette levée de boucliers des réactionnaires.
Jeune Afrique : La nomination de Pape Ndiaye à la tête du ministère de l’Éducation nationale a fait beaucoup réagir. L’extrême droite l’accuse même d’être un « racialiste » et un « indigéniste »…
Dominique Sopo : Quelques secondes après la nomination de Pap Ndiaye, l’extrême droite a ouvert le bal des critiques incendiaires, camouflées en partie derrière une critique intellectuelle de son parcours. Mais ces attaques ne correspondent en rien à la pensée du nouveau ministre. Comme il l’a déclaré très ouvertement dans le passé, il n’est certainement pas un indigéniste, un wokiste ou un racialiste. Ses écrits l’attestent de façon tout à fait évidente. En réalité, il existe une volonté de cibler un homme en lui affectant une pensée qui, soi-disant, représenterait un danger, un risque de délitement de la France. Évidemment, l’association entre cet homme noir et le risque de délitement de la France est quelque chose d’extrêmement raciste.
L’autre aspect qui heurte l’extrême droite est que Pap Ndiaye connaît bien la question du racisme et entend la traiter. Non pas parce qu’il serait un indigéniste ou un racialiste, mais parce qu’en tant qu’historien, il a travaillé sur le racisme.
Est-ce son profil d’universitaire et d’intellectuel reconnu qui a le plus choqué l’extrême droite, selon vous ?
L’extrême-droite identifie Pap Ndiaye comme quelqu’un qui ne baisse pas la tête. Les racistes peuvent apprécier des personnes noires ou arabes si ces dernières expliquent qu’il n’y a pas de problème de racisme en France ou n’ont aucune analyse critique à porter sur la question du passé colonial français.
A contrario, Pap Ndiaye fait partie de ces intellectuels ou militants très régulièrement ciblés par tous ceux qui ont un problème avec la question de la lutte contre le racisme, parce que c’est un Noir, qui a, en plus, l’outrecuidance de poser des questions à la société française. Et cela leur est insupportable. Par ailleurs, que Pap Ndiaye soit un homme et non une femme a été extrêmement peu commenté, bien que ce soit l’un des éléments à relever.
Que voulez-vous dire ?
Régulièrement, depuis 2007, des femmes d’origine maghrébine, d’Afrique sub-saharienne ou d’outre-mer occupent des postes gouvernementaux importants, comme Rachida Dati, Christine Taubira ou Najat Vallaud-Belkacem. Cette situation s’est quasiment installée dans la normalité, même si cela a pu entraîner parfois des violences verbales et symboliques, comme on a pu le voir à l’encontre de Christiane Taubira.
Les hommes issus de la diversité sont, eux, presque absents des gouvernements de la Ve République. Ou alors, quand il y en a – et ils sont rares –, ce sont soit des hommes issus des territoires d’outre-mer – mais sur des postes en lien avec l’outre-mer –, soit des personnes issues de la communauté harkie. Ce qui a un sens très particulier, puisque les harkis sont vus comme ceux qui ont « fait le choix de la France » lorsque s’est posé la question de l’avenir de l’Algérie française.
Quelque part, dans l’imaginaire d’une partie de la France – même si la réalité est évidemment beaucoup plus complexe –, ils sont perçus comme ceux qui ne risquent pas de « trahir », puisqu’ils ont déjà payé le prix du sang pour la France, en essayant d’aider à maintenir l’Algérie française. Pap Ndiaye est la première figure masculine issue de l’immigration maghrébine ou sub-saharienne à entrer dans un gouvernement à un poste important sous la Ve République.