L'AFRIQUE ENTRAVÉE DANS SES AIRS
Entre politiques restrictives des Etats, taxes dissuasives et coûts exorbitants des billets, prendre l'avion sur le continent relève du parcours du combattant. Pire, ces entraves pénalisent aussi le commerce et les échanges économiques
Alors que le transport aérien est un moyen crucial pour le développement économique et les échanges sur le continent africain, de nombreuses barrières limitent encore son essor. C'est ce que révèle une enquête du journal Le Monde et de l'AFP sur les politiques protectionnistes et les taxes qui rendent les voyages aériens en Afrique particulièrement onéreux.
Les "droits de trafic" restreints sont l'une des principales entraves selon les experts. Ces droits, accordés par les Etats de manière parcimonieuse, déterminent le nombre de liaisons directes et la fréquence des vols entre les pays. Or, selon une étude de l'Association du transport aérien international (IATA) menée en 2021 à la demande de l'Union africaine, seuls 19% des 1.431 liaisons possibles entre les 54 pays de l'UA bénéficiaient d'un vol direct hebdomadaire minimum. "Ces restrictions limitent considérablement le maillage du réseau aérien africain", déplore Linden Birns, consultant dans le secteur cité par Le Monde et l'AFP.
Les "mécanismes protectionnistes" mis en place par certains pays pour favoriser leurs compagnies nationales sont également pointés du doigt. "Ils entravent la concurrence et font grimper les prix", selon M. Birns. Résultat, comme le déplore l'analyste aéronautique Guy Leitch dans les colonnes du journal, "le trafic aérien est tellement cher en Afrique qu'il ne se développe pas et que les lignes restent mal desservies".
Pour s'en convaincre, il suffit de comparer le coût d'un trajet en Afrique avec son équivalent européen. Comme le relatait en mars 2024 le consultant Moses Munga, rencontré à l'aéroport de Nairobi alors qu'il attendait son vol pour le Ghana : "Les déplacements en Afrique sont très difficiles (...) Le coût d'un voyage est très élevé". Entre Libreville et Bangui, sur une distance similaire à Paris-Madrid, il faut compter 9 heures de vol et 1.000 dollars, contre 2 heures et cinq fois moins cher en Europe.
Outre ces restrictions, les "taxes très élevées" sur le transport aérien en Afrique et le coût du kérosène, souvent 30% plus cher du fait des capacités de raffinage limitées sur le continent, contribuent à la cherté des billets, souligne Robert Lisinge, de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique. Pourtant, nombre de projets de libéralisation du secteur ont été lancés, à l'image du Marché unique des transports aériens africain (SAATM) en 2018, mais "il reste beaucoup de restrictions", note M. Lisinge.
Cette situation pénalise également le commerce intra-africain selon les experts. Comme le témoignait dans les colonnes du Monde Moses Munga, consultant au BTP, "quand on a trouvé un client et qu’on établit son devis, on doit inclure le coût élevé du voyage. (...) Tout le monde n’est pas en mesure de l’assumer et on doit [parfois] abandonner certains contrats". Or le désenclavement du continent et les échanges économiques nécessitent le développement des liaisons aériennes, dans une Afrique où "les liaisons routières sont relativement mauvaises" et les réseaux ferroviaires peu développés, comme le résume Robert Lisinge.
Une étude de l'IATA de 2014 citée par l'enquête montrait ainsi qu'une libéralisation du transport aérien dans douze pays génèrerait 1,3 milliard de dollars d'activité économique supplémentaire et 155 000 nouveaux emplois. Autant de bénéfices que les entraves actuelles freinent encore.