LE LONG PERIPLE DES ENFANTS GP… KANGOUROUS
Transport aérien express de colis. Agés entre 4 et15 ans, ces ados se font transformer en porte-bagages par leurs parents Gp
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Au moment où les enfants de leur âge du monde entier arpentent les chemins des écoles, ces mômes sénégalais, eux, trimballent des colis et des valises dans différents aéroports du monde. Agés entre 5 et 16 ans environ, ils s’activent dans l’univers des « GP » (Gratuité Partielle) c’est-à-dire ces femmes et hommes spécialisés dans le transport informel express des colis entre Dakar et le reste du globe. Et vice-versa. La plupart de ces enfants « Gp » sont issus de parents « Gp » irresponsables qui profitent de leur vulnérabilité pour les transformer en « kangourous » c’est-à-dire porte-bagages. « Le Témoin » s’est introduit dans les colis de ces jeunes « portefaix » à l’avenir incertain.
En ce début du mois de décembre 2023, nous sommes à l’Aéroport international Blaise-Diagne (Aibd). Il est 20 heures passées dans la zone d’enregistrement où les formalités s’effectuent aux comptoirs des compagnies aériennes. Jusqu’à 3 heures du matin, nous informe-t-on, plus de six vols au départ sont programmés comme l’indiquent d’ailleurs les différents écrans de téléaffichage. Cette nuit-là, il s’agit de ceux d’Air Sénégal, Royal Air Maroc, Air France, Brussels Airlines, Air Algérie et Iberia vers diverses destinations (Paris, Casa, Lisbonne, Bruxelles, Alger, Madrid etc). Deux longues files de passagers serpentent le terminal des départs.
Chaque passager se plie aux procédures d’enregistrement biométrique. Le contrôle est strict. Partir, c’est une corvée fatigante et stressante. La preuve par l’autre file d’attente qui n’avance plus! Les passagers s’accumulent tandis que la colère et l’impatience s’installent. A l’origine du blocage, une passagère ayant son bébé sur le dos s’éternise dans une négociation d’excédent de bagages face à un agent de comptoir qui semble être intransigeant. En dehors du bébé, la dame, âgée d’une quarantaine d’années, est entourée de ses deux autres enfants mineurs dont l’un lui tenant la main. Ils partent en France. En observant de près la scène, on constate qu’il s’agit d’une « petite » famille entière qui vacille sous le poids d’innombrables bagages encombrants composés de sacs à main, valises, trolleys, colis, sachets en plastique (mbouss),sacs à dos, caisses-carton et baluchons. À bien des égards, il ne leur restait que leur armoire puisque les trois chariots qu’ils poussaient ne pouvaient contenir tous leurs bagages. Soudain, un homme, un chef d’escale semble-t-il, fend la foule pour aller décanter la situation. « Encore ces passagers « Gp » qui nous emmerdent avec leurs bagages. A chaque vol, ils sèment le bordel ! » hurle t-il en se dirigeant d’un pas décidé vers la famille de « déménageurs ». Un voyageur en tenue vestimentaire d’ancien combattant y met son grain de sel en commentant : « C’est l’Afrique des Gp qui voyage ! »
Des colis à la place des… cartables scolaires
Dans l’aérogare surpeuplée, les commentaires se multiplient autour de l’univers des passagers « Gp » (Gratuité partielle) et particulièrement sur ces parents qui profitent de la vulnérabilité de leurs enfants pour les transformer en « kangourous » ou porte-bagages. Le plus révoltant, c’est surtout le fait de faire voyager des enfants en pleine année scolaire. En âge d’aller à l’école et et disposant de visas « Schengen » entrées multiples, ces ados dans leurs habits « dépenaillés » se font régulièrement embarquer dans avions par leurs parents « Gp » spécialisés dans le transport informel express de colis entre Dakar et Paris ou le reste du globe. Pour y parvenir, ces « cargos » de l’informel usent et abusent des franchises bagages accordées par les compagnies aériennes à savoir deux valises de 23 kg octroyées à chaque voyageur fut-il un enfant, pour transporter des colis partout dans le monde. Et particulièrement dans des pays abritant de fortes communautés de Sénégalaises comme la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, les Etats-Unis d’Amérique (Usa). A travers des réseaux d’interconnexion et de partenariat « WhatsApp », les Gp sénégalais desservent aussi régulièrement le Brésil, la Gabon, la Chine, la Russie, la Côte d’Ivoire, le Maroc etc…
Au Sénégal, si les parents qui livrent leurs enfants mineurs à la mendicité sont pointés du doigt, il n’en est pas de même pour les parents-Gp qui détournent leurs progénitures du chemin de l’école pour les « convertir » en portefaix. Des mômes sénégalais à l’avenir incertain qui ne font que trimballer des bagages dans les aéroports au moment où les enfants de leur âge, partout dans le monde, sont dans les classes. Une situation préoccupante que déplore H. Dramé, président d’une association sénégalaise de France. « D’abord, permettez-moi de préciser que la plupart des enfants « Gp » sont des Sénégalais ayant des visas Schengen ou disposant de cartes de séjour leur permettant de voyager à tout moment. Parce qu’un enfant mineur français, même d’origine sénégalaise, ne peut sortir du territoire français sans être accompagné de l’un de ses parents muni d’une autorisation de sortie. En pleine année scolaire, l’enfant français ne peut sortir du territoire français pour aller au Sénégal par exemple. Parce qu’en France, aller à l’école est une obligation. Donc, on voit mal comment un enfant sénégalais ayant la nationalité française pourrait échapper la police des frontières pour aller faire du « Gp » entre Paris et Dakar, impossible ! Juste pour vous dire que ces enfants « Gp » sont des sénégalais à part entière ou des sénégalais du Sénégal que leurs parents « Gp » embarquent dans le métier » explique cet émigré sénégalais vivant en France.
Croque-bagages !
Selon un membre de l’équipage d’un vol de la compagnie Air Sénégal, l’univers des passagers « Gp » composé en majorité de femmes est un véritable casse-tête pour les compagnies aériennes. Ce « bien qu’ils n’enfreignent aucune règle. Car ils achètent les billets au même prix que tout le monde. Ils respectent la quantité de bagages et les règles de sécurité imposées par les compagnies aériennes. Le problème c’est que, pour bénéficier d’autres franchises de bagages c’est-à-dire deux valises standard de 23 kg (46), des «Gp » irresponsables n’hésitent pas à faire voyager leurs propres enfants, quitte à les transformer en porte-bagages. Le seul problème que nous avons avec les « Gp », c’est les excédents de bagages. Parce qu’à force de négocier des frais d’excédent de bagages qui s’appliquent lors de l’enregistrement, ils retardent les formalités d’enregistrement et, donc, vols. Pire encore, certains agents d’enregistrement sont trop conciliants avec les passagers « Gp » aux excédents bagages à répétition » déplore notre interlocuteur. Pour finir, il déplore la fatigue physique et la torture psychologique que subissent ces adolescents aux bagages lourds et encombrants.
Au Sénégal, la croissance et la floraison des voyageurs « Gp » ont révolutionné le secteur informel du transport aérien de colis. Car envoyer un smartphone, une paire de chaussures ou un ordinateur de Paris vers Dakar, c’est comme faire du mototaxi « tiak tiak » entre Guédiawaye et Colobane. Donc les « colis Gp » ont pu trouver des solutions aux difficultés des Sénégalais de la diaspora qui avaient du mal à envoyer ou recevoir des bagages ou des documents. Un métier qui nourrit bien son homme — ou sa femme ! — nous dit-on. Et quand les enfants renforcent les franchises-bagages au profit de leurs parents, c’est toute la famille qui fait de bonnes affaires. Mme K. S, caissière d’une agence de voyagessise Sandaga, conforte cette assertion parles chiffres. « Pour confirmer que la plateforme « Gp » rapporte beaucoup aux acteurs, il faut estimer d’abord le prix du billet d’avion Dakar/Paris/Dakar qui coûte par exemple entre 400.000 cfa et 550.000 cfa. Mais il faut surtout souligner que les clients « Gp » bénéficient d’une forte réduction sur le prix des billets sur la base d’une carte de fidélité octroyée par les compagnies aériennes. Muni de son billet, le voyageur « Gp » comme tout autre voyageur a droit à deux valises de 23 kilos comme poids maximum autorisé. En ce qui concerne les bagages en cabine, la limite de poids est de 12 kg. Sans oublier les effets personnels « dissimulés » et portés en bandoulière comme les sacs à main, les smartphones, les ordinateurs et les bijoux à expédier pour le compte de leurs clients. Avec leur méthode de dissimulation et de négociation, un voyageur Gp peut transporter jusqu’à 58 ou 60 kilogrammes de bagages. Pour chaque kilo de bagages livré, il réclame 6500 cfa soit 10 euros. Pour les matériels et autres objets de valeur comme les bijoux, les ordinateurs et les Smartphones etc. les frais d’envoi varient entre 15.000 cfa (25 euros) et 20.000 cfa (30 euros) par pièce. Si vous faites le calcul, un transporteur Gp peut gagner jusqu’à 700.000 cfa à 800.000 cfa par voyage c’est-à-dire à l’aller comme au retour. Multipliez par le nombre d’enfants « Gp » qui les accompagnent pour vous faire une idée de la rentabilité de cette activité pour les familles qui s’y livrent » nous explique cet agent de voyage ayant un large portefeuille de clients Gp parmi lesquels beaucoup s’efforcent de voyager trois fois par semaine.
« Gp » de père en fils…
Dans le cadre de son enquête, « Le Témoin » quotidien s’est fait orienter vers une famille où le métier Gp se transmet de père en fils depuis les années de la défunte multinationale Air Afrique. L’un des membres de la famille indiquée s’appelle Mme M. D. Actuellement à Paris, cette célèbre dame se disant « Gp/toutes destinations » est accusée d’avoir entrainé tousses enfants dans le métier « Gp » au détriment de l’école. N’est-ce pas ? « Au détriment de l’école, vous dites ? Mes concurrents sont passés par là ! Malheureusement, ils ont tout faux ! » réfute telle. Et de s’expliquer. « D’abord, ma fille ainée « Gp » est majeure et vaccinée (sic). Donc classons son cas sans suite. Mes deux autres enfants sont des garçons. L’un va à l’école au Sénégal, l’autre souffre d’un léger retard de croissance mentale. Donc son avenir n’est plus à l’école. Pendant les congés scolaires ou les grandes vacances, ils m’assistent dans les voyages. Ou bien vous voulez que mes enfants fassent du marchand ambulant dans les rues de Sandaga ? N’oubliez surtout pas de dire, en retour, à mes concurrents que nous sommes nés dans une famille Gp » s’emporte-t-elle en ironisant.
Sur l’axe Dakar-Paris, les convoyeurs de colis Gp, pour économiser sur leurs frais et, dong, gagner davantage, s’organisent pour vivre en colocation. Dans le 18e arrondissement de Paris, nous confie-t-on, des femmes « Gp » ont loué un appartement « délabré » devenu à la fois un dortoir, un centre de collecte de bagages et un comptoir de livraison de colis. « Chaque « Gp » paie 10 euros soit 6.500 cfa/nuitée. De même que les enfants « Gp » qui s’entassent sur des matelas. D’ailleurs, on surnomme cet appartement du 18e « Keur Gp-yi » ou la résidence des Gp » nous souffle un compatriote vivant à Paris et qui fait souvent recours aux services de ces convoyeurs.
En embarquant leurs progénitures dans leur activité, les convoyeurs « Gp » sont en passe de fausser le jeu de la concurrence et risquent de provoquer la colère des défenseurs européens des droits de l’enfant. Mais aussi des sociétés de fret !