LES CHEFS D’ETAT AFRICAINS SE SONT ENGAGES A ATTRIBUER AU MOINS 30% DES TERRES AUX FEMMES
Le responsable du programme foncier à l’Initiative Prospective Agricole et rural (IPAR) indique, dans cet entretien, qu’il y a assez de textes règlementaires au Sénégal qui favorisent l’accès au foncier
Le responsable du programme foncier à l’Initiative Prospective Agricole et rural (IPAR) indique, dans cet entretien, qu’il y a assez de textes règlementaires au Sénégal qui favorisent l’accès au foncier. Selon Ndèye Yandé Ndiaye Bodian, les chefs d’Etat africains se sont engagés à attribuer au moins 30% des terres documentées aux femmes.
«L’AS» : Est-ce que la location de terres est admise dans le domaine national?
NDEYE YANDE NDIAYE BODIAN: La loi sur le domaine national a posé des principes d’utilisation des terres et disait que tout membre de la communauté pouvait demander à être affectataire d’une parcelle de terre. Mais il faudrait noter qu’à travers l’article 19 du décret d’application de la loi portant domaine national, l’affectation est à titre individuel. Donc la personne, individuellement, peut bénéficier d’une affectation au même titre qu’un groupe d’individus à travers un GIE. Mais il vient préciser que l’affectation ne peut faire l’objet d’aucune transaction, c’est-à-dire pas de vente, pas de location, pas même d’héritage. Juste que pour l’héritage, il y a des conditions où les héritiers avaient la possibilité d’être ré-affectataires des parcelles du parent défunt.
Qu’en est-il des lois ou règlements au Sénégal ? Favorisent-ils l’accès des femmes à la terre?
En ce qui concerne les droits fonciers des femmes, je pense qu’au Sénégal, il y a énormément de facilitations prévues par les textes. Je rappelle la Constitution de 2001 à travers l’article 15 qui disposait déjà que l’homme et la femme ont également le droit d’accéder à la possession et à la propriété des terres. Donc, il pose un problème d’égalité en matière d’accès au foncier. Il y a aussi la loi sur le domaine national qui pose le principe d’égalité entre hommes et femmes avec comme principal critère d’affectation la capacité de mise en valeur qui n’exclut pas les femmes. Donc, il n’y a pas de distinction entre les sexes. L’autre texte au Sénégal, on peut rappeler la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale promulguée en 2004 qui posait déjà le principe de la parité en matière de droit foncier à travers son article 4 qui disait : «L’Etat assure la parité des droits des hommes et des femmes en milieu rural, en particulier l’exploitation agricole.» En outre, cette loi a même prévu des facilités d’accès au foncier et au crédit pour les femmes. Il faut dire aussi que l’Etat a pris des engagements au niveau international comme la convention pour l’élimination de toutes les formes de violences faites aux femmes qui aussi pose des conditions de facilité d’accès des femmes à la terre. (…) Le Sénégal a aussi signé la déclaration d’engagement des chefs d’Etat africains en 2015 en faveur des droits fonciers des femmes. Et compte tenu de cette déclaration, les chefs d’Etat africains se sont engagés à assurer un accès équitable à la terre pour tous les utilisateurs et renforcer les droits fonciers des femmes, notamment en leur attribuant au moins 30% des terres documentées aux femmes.
30% de terres documentées, qu’est-ce que cela signifie ?
Ce sont toutes les terres dont l’Etat a connaissance sur l’étendue des terres. Je prends l’exemple de terres aménagées, comme c’est le cas dans la vallée du fleuve Sénégal où normalement, on devrait appliquer ce taux de 30% dédiés aux femmes. La Société d’Aménagement et d’Exploitation des Terres du Delta du Fleuve Sénégal (SAED) est en train de faire des efforts pour que les femmes puissent bénéficier de 10% en cas d’aménagement agricole. Aujourd’hui, nous sommes en train de faire un plaidoyer afin qu’on dépasse ce taux de 10% pour arriver à 30% telle que cela a été dit dans la déclaration d’engagement de 2015.
Les collectivités territoriales sont-elles tenues de respecter ce principe des 30% des terres dédiés aux femmes, lorsqu’elles font des délibérations?
Là aussi, je voudrais juste rappeler qu’en termes de délibération, il faut une demande au préalable. Il est souvent dit que les femmes ne font pas la demande. Et le Conseil municipal délibère en fonction des demandes qu’il a reçues. On peut se trouver dans un cas où le Conseil municipal délibère sans qu’il n’y ait aucune demande de femmes. Dans ce cas, le Conseil ne pourrait pas appliquer ce principe des 30%. En plus, pour les demandes, les conditions posées, c’est la disponibilité de la parcelle. Donc, en termes de délibération, les communes ne sont pas obligées de respecter le principe des 30%. Mais nous faisons un plaidoyer à l’endroit des communes pour que toutefois, si les femmes déposent des demandes d’affectation, qu’elles puissent avoir des allègements ou la gratuité en ce qui concerne les frais de bornage.
Que faudrait-il faire pour lever le poids de la tradition qui empêche les femmes d’hériter ou d’être attributaires de parcelles agricoles ?
D’abord, il faudrait que les femmes connaissent leurs droits et qu’elles en soient conscientes. Il faudrait aussi faire des sensibilisations auprès des communautés, notamment les chefs coutumiers qui sont des propriétaires terriens et détenteurs des principes qui discriminent les femmes. Mais il faudrait aussi sensibiliser nos élus locaux et nos conseils municipaux pour qu’au moins ils puissent adopter des politiques de facilitation. Ainsi, les femmes ne seraient pas confrontées aux questions des lenteurs des procédures, de la cherté des frais de bornage. L’autre élément, c’est qu’il faudrait inciter les femmes à faire des demandes d’affectation. Et une fois qu’elles disposent des parcelles, qu’elles les exploitent. Parce que la loi dit que si la personne n’exploite pas la terre au bout de deux ans, la commune a la possibilité de désaffecter la parcelle. Donc, il y a autant d’éléments qui peuvent aller vers la reconnaissance des droits des femmes. Il faut aussi prendre en compte la sensibilité de la question foncière qui change d’une localité à une autre pour orienter un peu le plaidoyer vers les cibles mais aussi les arguments utilisés. C’est important