LES CONTOURS DE LA RIVALITE SINO-TURQUE EN AFRIQUE
«Présences et rivalités sino-turques sur le continent africain» ! tel est l’intitulé du rapport de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), publié le 19 décembre 2024, et qui dessine les contours de la rivalité entre Pékin et Istanb

«Présences et rivalités sino-turques sur le continent africain» ! tel est l’intitulé du rapport de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), publié le 19 décembre 2024, et qui dessine les contours de la rivalité entre Pékin et Istanbul. Dans le document, il est révélé au grand jour comment ces deux puissances se concurrencent dans les domaines des médias, des infrastructures, de l'extraction des ressources, de l’armement et de la sécurité dans le continent.
L’Afrique est le terrain de jeu prisé des puissances économiques. Elles rivalisent dans tous les secteurs en mettant tous les moyens pour arriver à leur fin. Et aujourd’hui, deux acteurs sortent du lot dans cette concurrence économique: la Turquie et la Chine.
C’est ce qu'essaie d’ailleurs de démontrer l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) dans son rapport “Présences et rivalités sinoturques sur le continent africain”.
L’institut soutient ainsi que la concurrence se fait à tous les échelons et dans divers secteurs. D’abord, il attire l’attention sur la présence de médias turcs en Afrique en précisant que ce sont des atouts dans cette compétition pour «les cœurs». Il cite de ce fait l’exemple du journal turc TRT qui publie des contenus en 41 langues dont le swahili, le portugais, le haoussa et le français. Aussi, l’agence de presse Anadolu Agency qui publie dans 13 langues, dont le français, à envie du public africain francophone. Pendant ce temps, soutient l’IRIS dans son rapport, le Parti Communiste Chinois (PCC), dans le cadre de «la guerre de l’opinion publique», a déployé des moyens considérables dans le domaine, à travers ses médias d’État Xinhua et CGTN ou les autorisations accordées au média privé Star Times. Xinhua, apprend-on, fait appel à des collaborateurs africains afin d’affiner ses narratifs et les adapter aux cultures locales, tandis que plus de 1000 journalistes chinois africains furent élus à des programmes de formation en Chine depuis 2014, dans le cadre de la promotion des nouvelles routes de la soie. Dans le secteur technologique, Huawei a par exemple finalisé en janvier 2022 le déploiement au Sénégal du câble SHARE, dans le cadre du projet « Smart Sénégal», grâce à des prêts de la China Eximbank et a participé en 2021 à l’installation d’un Data center à Diamniado destiné à assurer la souveraineté numérique du pays. Cela a incité certains commentateurs à brandir la menace d’une dépendance de fait transférée aux autorités chinoises par le biais de l’entreprise en vertu de la loi de sécurité sur les données gérées par des opérateurs chinois, promulguée en 2017.
INFRASTRUCTURES: LA TURQUIE EN PASSE DE DOUBLER LA CHINE
Autre domaine dans lequel la Chine et la Turquie se bousculent, c’est le BTP. Il constitue un premier terrain de concurrence. Et l'étude révèle que le groupe turc Summa, très lié à l’AKP (parti au pouvoir en Turquie), bien implanté en Libye et dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne à plusieurs titres, a obtenu et mené à bien de nombreux marchés publics, notamment dans le secteur de la construction somptuaire, en réalisant des stades, des hôtels ou des centres commerciaux au Rwanda, au Sénégal ou en Guinée Équatoriale, du fait de sa bonne relation avec les différents dirigeants.
Soutenue par Erdoğan, note le rapport, Summa s’est ainsi imposée face à des concurrents chinois pour des projets prestigieux, comme le Parlement de Guinée Équatoriale, des centres de convention ou Rwanda et en Éthiopie ainsi que des centres commerciaux. Et d’ajouter que Summa et d’autres grandes entreprises turques, telles que le groupe Albayrak, Limak, TAV, ou Yapı Merkezi, obtiennent également des marchés publics assurant à ces entreprises la construction et la gestion d’infrastructures stratégiques, tels que des routes, des chemins de fer, des ports et des aéroports, et en plusieurs occurrences, au détriment d’entreprises d’état chinoises.
Concernant les ports, l’entreprise Albayrak, déjà gestionnaire du port de Mogadishio, a étendu ses activités en Afrique de l’Ouest au détriment de China Harbour Engineering, après avoir obtenu en 2018 le contrat pour l’extension du port de Conakry initialement attribué à ce dernier en 201652.
L’IRIS indique dans la foulée que dans ces différents cas, l’aversion croissante du PCC en matière de prise de risques semble converger avec la volonté des partenaires africains de limiter leur niveau d’endettement envers la Chine.“Mais la qualité du travail turc est également jugée supérieure à celle de leurs concurrents chinois, à coût équivalent, et les premiers font en outre appel à la main d’œuvre locale. Les acteurs turcs, opportunistes et plus enclins au risque, tirent parti des vides chinois en ciblant ces points stratégiques, lesquels donnent accès aux abondantes ressources africaines”, lit-on dans le document
D’IRIS. EXTRACTION DE RESSOURCES; LA TURQUIE, ACTIVE AU MALI ET AU NIGER
Dans le domaine de l’extraction de ressources, il est établi que les entreprises turques, Lydia Madencilik, propriété d’Ahmet Çalık, ou Miller Holding exploitent l’or et le cuivre en République démocratique du Congo, tandis qu’Avesoro, filiale du groupe MAPA, contrôle l’important gisement de Youga, au Burkina Faso, depuis 2017. A en croire l’étude d’IRIS, même si les juntes sahéliennes ont récemment durci le ton envers les groupes miniers venus de Turquie et d’ailleurs, les miniers turcs demeurent actifs au Mali ou au Niger. Si dans ce secteur hautement compétitif, note-ton, la rivalité ne se limite pas au cas sino-turc, le cas du Niger requiert une attention particulière. “Alors que Summa, qui exploite les gisements d’or de Bouli depuis 2018, a mené à bien la construction de deux aéroports et d’une route dans le pays, le ministre de l’Énergie turc Alparslan Bayraktar signait à Niamey au mois de juillet dernier un accord en vue d’accroître la prospection pétrolière et gazière par des entreprises turques au Niger, suivi en octobre d’un autre protocole visant à étendre la «coopération dans le domaine minier à de nouvelles dimensions. Celui-ci pourrait porter sur l’extraction d’uranium du pays”, indique l’IRIS dans son document.
Or, note-t-on, les deux géants chinois de l’énergie CNPC pour le pétrole et CNNC pour l’uranium, possédant plus de 6 milliards de dollars d’investissements cumulés au Niger, pourraient pâtir de cette concurrence, peut-être organisée afin d’augmenter les rentes de l’État perçues auprès des multinationales déjà implantées dans le pays.
CONCURRENCE DANS LE DOMAINE SECURITAIRE
Les deux rivaux semblent profiter du vacillement de la Russie pour placer des pions dans le secteur de l’armement en Afrique. Le rapport indique d’ailleurs que la part de la Chine en matière d’exportations d’armements sur le continent augmente au détriment de la Russie, leader historique sur ce marché. Avec une part de 19% des armes vendues en Afrique subsaharienne, note-t-on, la Chine demeure loin devant la Turquie.
Mais le volume des exportations d’armes turques a néanmoins crû de manière spectaculaire depuis 2020, passant de 82 à 460 millions de dollars entre 2020 et 2021, lit-on dans l’étude de l’IRIS..
L’Institut souligne dans la foulée que suite à la récente vague de coups d’État militaires, les anciennes colonies françaises sont devenues l’objet d’une véritable course aux contrats de défense entre entreprises turques et chinoises. Non sans informer que le chinois Norinco a ouvert un bureau au Sénégal en août 2023, tandis que la société privée turque SADAT, déjà présente selon son dirigeant dans «une dizaine d’États africains de l’OCI», recruterait des agents francophones pour s’imposer en Afrique de l’Ouest à partir de 2025.
“Bien qu’elles revendiquent un autre modèle, SADAT et à présent EKOL peuvent tirer parti des récents revers essuyés par Wagner/Africa Corps face aux Touaregs du Mali, tandis que les ESSD chinoises, telles que DeWe ou COSG, historiquement plus implantées en Afrique de l’Est, suivent à présent les intérêts chinois sur l’ensemble du continent”, lit-on en définitive dans le document.