À QUOI SERT FINALEMENT LA SONACOS ?
Le Sénégal, un pays de paradoxe économique. Un pays qui se glorifie, chaque saison, de battre des records de production arachidière et qui est incapable de fabriquer l’huile qu’il consomme
Le prix de l’huile connait une hausse considérable dans notre pays. De 20.000 frs, la bouteille de 20 litres d’huile de palme est passée à 28.000 frs. Celle de 5 litres, de 5000 à 8000 frs. Le litre coûte maintenant 1600 frs, alors que l’Etat avait fixé son prix à 1.100 frs. Une denrée qui dévoile tout le paradoxe du système agricole et économique de notre pays. Un des plus grands producteurs d’arachides au monde, est incapable de produire de l’huile d’arachide pour ses habitants. Lesquels sont obligés de consommer de l’huile… de palme, de soja ou de tournesol. La société qui devait produire de l’huile pour la consommation nationale, la Sonacos en occurrence, exporte elle-même des graines d’arachide pour financer son fonctionnement et pire importe des huiles végétales pour les vendre aux Sénégalais. Alors, faut-il fermer la Sonacos et se mette au tout-à-l’importation ? Le débat est posé !
Le Sénégal, un pays de paradoxe économique. Un pays qui se glorifie, chaque saison, de battre des records de production arachidière (1.800.000 tonnes en 2021) et qui est incapable de fabriquer l’huile qu’il consomme. Pis, il en est réduit aujourd’hui à exporter l’essentiel de sa production — des graines en l’état — vers la Chine alors même qu’il disposait d’une industrie huilière parmi les plus performantes du monde. C’était dans les années 90. Les besoins nationaux sont estimés mensuellement à 15.000 tonnes. Tant que les importations d’huiles végétales couvraient la demande, ce n’était pas très grave et on pouvait même dire que tout baignait… dans l’huile. Les choses sont devenues plus compliquées suite à la décision de l’Indonésie de suspendre ses exportations de l’huile de palme — une annonce faite le 28 avril dernier. Cette décision a créé une forte tension pour cette denrée.
D’autant que le Sénégal avait un quota avec ce pays asiatique qui lui fournissait entre 2000 à 3000 tonnes d’huile de palme par mois. « Il va falloir chercher ailleurs et cet ailleurs n’existe pas. Des mesures fortes ont été prises par le président de la République et nous savons que les huiles brutes d’arachide ne sont plus exportées. Cela ne suffit pas. Il ne faudra pas se limiter à l’huile d’arachide, il faut voir d’autres matières, notamment l’huile de soja ou huile de Tournesol. Ce qu’il y a lieu de faire, c’est de promouvoir la production locale en dehors de la Sonacos. La Sonacos est notre offre locale. Nous allons veiller à ce que l’huile d’arachide ne soit pas exportée » a expliqué le directeur du Commerce intérieur, M. Oumar Diallo, interrogé par nos confrères de DakarActu. Comment on est arrivé à ce que notre pays soit devenu un grand importateur d’huile après avoir été un important producteur de cette denrée surtout avec un instrument aussi performant que la Sonacos, un sol généreux qui lui permet de réaliser des productions record en arachide au point d’en exporter.
Nos économistes se sont… trituré les méninges pour répondre à cette équation à mille et une inconnues. Pour dire que la Sonacos a failli à sa mission première qui est de permettre aux populations sénégalaises de trouver de l’huile de qualité en quantité suffisante et à des prix accessibles. En réalité, la société dirigée par Modou Diagne Fada s’est transformée en une unité industrielle dévoratrice de milliards sans résultats palpables. Les pauvres paysans et la majeure partie des Sénégalais s’accordent sur cela. L’expert économiste El Hadji Alioune Diouf estime d’emblée qu’il n’y a pas plus paradoxal que d’avoir la Sonacos et de continuer à dépendre des importations d’huile qui nous coûtent plusieurs milliards de francs chaque année. L’ancien directeur du Commerce intérieur n’y va pas allé avec le dos de la cuillère en donnant son sentiment sur ce qui fut jadis un fleuron. Selon lui, l’huilier national a lui-même crée les conditions non pas de sa réussite, mais plutôt de sa faillite.
En effet, rappelle-t-il, « c’est la Sonacos qui a débuté les importations d’huile végétale venant en concurrence à l’huile d’arachide qu’elle produit elle-même ». Une stratégie adoptée tout simplement pour gagner sur tous les tableaux. C’est-à-dire, en plus d’exporter de l’huile d’arachide à l’état brut, la Sonacos importait l’huile végétale à un coût très abordable et la revendait sur le marché sénégalais à un prix élevé par rapport au prix d’achat. Donc, selon l’ancien directeur du Commerce intérieur, « notre chère Sonacos n’a jamais était dans les dispositions de vendre de l’huile d’arachide aux consommateurs sénégalais, mais plutôt, cette société qui se veut nationale a été « Européanisée » à l’état fœtal. C’est justement, ce qui nous permet de comprendre pourquoi l’huiler national a une identité étrangère puisqu’elle travaille pour l’étranger. Comme pour dire aux Sénégalais qu’ils ne sont pas dignes de consommer de l’huile d’arachide mais de l’huile dont on ne sait même plus avec certitude la composition ni la provenance. Conséquences, même les nouveaux nés souffrent de maladies chronique dès la naissance, lesquelles sont liées à une très mauvaise qualité alimentaire ».
Pape Abdoulaye Seck : « La Sonacos n’a jamais répondu à sa vocation première… »
L’économiste enseignant au Centre de formation judiciaire (CFJ), Pape Abdoulaye Seck, rejoint notre premier interlocuteur sur le paradoxe de la Sonacos. « Au Sénégal, nous vivons un paradoxe qui nous interpelle tous depuis plusieurs décennies. Depuis les années 1960, notre pays a toujours été classé parmi les premiers producteurs mondiaux d’arachides. Malheureusement, 62 ans après, notre pays continue à dépendre de l’extérieur pour notre consommation en produits oléagineux notamment l’huile végétale. Ce qui traduit un échec structurel et stratégique de notre Sonacos nationale qui n’a jamais pu répondre à sa vocation première » soutient l’économiste Pape Abdoulaye Seck.
« C’est la Sonacos qui a provoqué sa propre chute en important de l’huile au lieu d’en produire… »
Le professeur en économie internationale à l’Ecole nationale d’administration (ENA), El Hadji Alioune Diouf, note pour sa part que c’est à partir du moment où la Sonacos a mené cette politique d’importation d’huile végétale que les privés se sont lancés eux aussi dans ce business aussi juteux que la vente de l’or en ce sens qu’il rapportait des centaines de milliards de bénéfices combinés aux importateurs privés. « Cependant, en ouvrant cette brèche aux privés nationaux, la Sonacos se tirait une balle dans le pied car, avec la concurrence, son huile d’arachide n’était plus compétitive sur le marché national parce que le marché est inondé d’huile de tournesol, de soja, etc… Surtout que les importateurs s’approvisionnent sur le marché de la sous-région auprès de pays comme la Côte d’ivoire qui leur vendait de l’huile de palme. Résultat, l’huilier national est rattrapé par ses erreurs de gestion. C’est cette situation qui prévaut de nos jours où le marché sénégalais est inondé d’huiles importées plus abordable que celle de la Sonacos qui n’existe presque plus dans les rayons car toute sa production est exportée vers les pays riches.
Le pire est que la Sonacos vend nos graines d’arachide aux étrangers qui la triturent à sa place alors qu’elle a été créée pour justement cela. L’échec de la politique économique de cette société nationale de commercialisation des oléagineux va hélas de mal en pis » se désole l’ancien directeur du Commerce intérieur. Autre difficulté, c’est le fait que la Sonacos ne propose pas un bon prix au kg lors des campagnes arachidières, ce qui fait que les privés étrangers notamment chinois achètent la plus grande partie des récoltes car offrant de meilleurs prix. Conséquence, elle n’a plus la possibilité d’avoir une quantité de graines lui permettant de produire de l’huile au moins pour la consommation intérieure. Selon Modou Diagne Fada, l’explication de cette incapacité à produire de l’huile se trouve dans la cherté du coût de production. Une explication trouvée très légère par notre économiste qui persiste et signe que la Sonacos a failli sur toute la ligne.
Imposer à la Sonacos de se consacrer entièrement à la production d’huile d’arachide
Alors faut-il détruire la Sonacos ? Nos interlocuteurs répondent NON. La Sonacos reste un outil industriel indispensable pour le Sénégal. Mais ils pensent que si cette société a failli à sa mission, c’est parce que sa gouvernance politico-stratégique n’a pas été bien menée par les différents régimes. Ainsi, l’économiste El Hadj Alioune Diouf soutient que c’est au gouvernement de prendre ses responsabilités car il est paradoxal d’avoir un outil comme la Sonacos et ne pas pouvoir prendre en charge la demande en huile des Sénégalais avec une production nationale soutenue. Selon l’ancien directeur du Commerce intérieur, la crise ukrainienne impose au Sénégal de développer de nouveaux paradigmes. Elle impose au gouvernement d’interdire non seulement l’exportation de graines d’arachide, comme le font la Sonacos et les privés, mais aussi cette interdiction doit s’étendre à toute production agricole pour assurer l’approvisionnement du marché intérieur et surtout pour pouvoir disposer des stocks.
Dans le même sillage, El Hadji Alioune Diouf invite les autorités à instruire la Sonacos de produire de l’huile en quantité et d’en stoker pour se préparer à affronter les chocs économiques extérieurs qui s’annoncent. C’est d’ailleurs, selon lui, irréaliste de continuer à exporter des produits quelle que soit leur nature vers l’étranger dans un contexte de crise économique dont on ne sait pas quand est-ce qu’elle va s’arrêter. C’est le même principe d’anticipation qui devrait animer le régime en place « qui doit stoker des produits de base indispensables à la consommation intérieure », sans quoi le Sénégal ne va pas tenir face aux perturbations économiques mondiales. Déjà, le consommateur local commence à ressentir la cherté des denrées surtout de l’huile dont le prix ne cesse de flamber. Il en est de même pour le riz, le sucre, l’oignon, la pomme de terre etc...