UNE COMPAGNIE EN ZONE DE TURBULENCE
Endettée, menacée de saisie et confrontée à des problèmes opérationnels récurrents, la compagnie nationale est au bord du gouffre. Alors que la liaison Dakar-New York est sur le point d'être interrompue, le gouvernement promet un plan de sauvetage
A défaut de paiement d'une dette de 10 millions de dollars envers la société américaine Carlyle Aviation qui a obtenu de la justice américaine une ordonnance immobilisant quatre appareils loués par la compagnie nationale sénégalaise, en passe d’interrompre sa liaison de Dakar-New York (JFK) à compter du 19 septembre 2024, soumis à des retards constants et une qualité de service qui suscite réflexion, Air Sénégal traverse mille et une turbulences. Dans la nasse depuis sa création, le fleuron aérien national tarde à prendre véritablement son envol. Une situation que les nouvelles autorités entendent corriger en adoptant une nouvelle stratégie et un nouveau plan d'affaires, en accord avec leur politique de souveraineté.
Créée en 2016 à la suite de la défunte compagnie Sénégal Airlines, la nouvelle compagnie Air Sénégal est depuis quelque temps confrontée à des ennuis interminables qui sapent l’élan bien enclenché depuis 2018 avec l’acquisition d’une flotte composée de deux ATR72-600. Courant mai 2024, en l’espace de deux semaines, la compagnie Air Sénégal a rencontré des difficultés susceptibles de l’anéantir, voire de la conduire au dépôt de bilan si l’on tient compte de son surendettement, de ses mauvais choix stratégiques et surtout de ses investissements massifs dans des Airbus flambant neufs qui ne sont jamais remplis. À cela, s’ajoutent des retards interminables déplorés par les clients tant pour les vols internes qu’externes, ainsi que les coûts élevés des vols, les détours par divers pays et des escales de plusieurs heures sur le continent africain. Une situation handicapante pour bon nombre de concitoyens qui avaient nourri l’espoir de voir cette énième compagnie sauver l’honneur des nombreuses tentatives précédentes et ainsi sortir définitivement des échecs sans fin.
Pour rappel, dans la nuit du 8 au 9 mai dernier, la compagnie Air Sénégal a frôlé de justesse un crash d’un avion de Trans Air loué par la compagnie, en partance pour Bamako. Quelques jours plus tard seulement, des passagers d’Air Sénégal en provenance de New York à destination de Dakar sont restés bloqués aux États-Unis à cause d’une panne survenue sur la piste de l’aéroport John Fitzgerald Kennedy (JFK).
Là encore, les passagers du vol HC 408 d’Air Sénégal, immatriculé 9HSOL, à destination de Dakar, ont eu une grosse frayeur. Réagissant à cet incident, la compagnie nationale avait indiqué qu’il s’agissait d’une « perturbation opérationnelle » qui serait résolue dans les heures suivantes.
Quand sauver Air Sénégal devient un impératif…
Consulté sur les ennuis d’Air Sénégal, le technicien supérieur et expert aéronautique Al Hassane Hane déplore amèrement la situation que vit la compagnie depuis un certain temps. À l’en croire, « Air Sénégal est notre fleuron national et un outil de souveraineté ». De ce point de vue, « les nouvelles autorités doivent impérativement et dans les meilleurs délais reprendre tout le processus de création de cette compagnie ». Autrement dit, revoir tout le processus du plan d’affaires de mise en place de cette compagnie, à travers un cabinet d’audit avec des experts locaux pour corriger tous les dysfonctionnements y afférents. Et cela « est bien possible », précise l’expert aéronautique
Convaincu que le Sénégal dispose de l’expertise nécessaire, il met en avant l’ancienne compagnie des années 60, 70, 80, 90, voire 2000, dénommée Air Sénégal Sonatra, qui était très compétitive à l’époque d’Air Afrique. À la dissolution d’Air Afrique International, le Sénégal a mis en place, avec le concours du Maroc, une nouvelle compagnie appelée Air Sénégal International (ASI). Cette dernière n’a cependant pas duré. Pour bâtir une compagnie digne de ce nom, l’expert aéronautique conseille aux nouvelles autorités d’adopter une approche graduelle pour monter en puissance. En clair, « la compagnie Air Sénégal doit avancer à petits pas, d’abord couvrir le territoire national, puis la sous-région, la région et enfin l’international. Chacune de ces étapes servira d’expérience pour progresser », a-t-il conseillé.
Un nouveau plan d’affaires en vue pour Air Sénégal
Surendettée à cause de ses mauvais choix stratégiques et de ses investissements massifs dans des Airbus flambant neufs généralement remplis à moitié, la compagnie sénégalaise est aujourd’hui sous menace de saisie de quatre de ses avions pour un défaut de paiement d’une dette de 10 millions de dollars envers la société américaine Carlyle Aviation. À noter que le 22 août 2024 à 16H00, la firme Carlyle Aviation, qui réclame près de 10 Millions USD (environ 6 Milliards CFA) à Air Sénégal, a obtenu de la justice américaine une ordonnance immobilisant quatre appareils loués par la compagnie nationale sénégalaise. Une décision qui intervient alors qu’une mission d’Air Sénégal séjourne actuellement discrètement à Miami, selon Africa Intelligence. D’après certaines sources, Air Sénégal va d’ailleurs interrompre sa liaison de Dakar-New York (JFK), à compter du 19 septembre 2024.
En réponse à cette injonction de paiement, le ministre El Malick Ndiaye a indiqué qu’Air Sénégal n’était pas en bon état comme il a aussi tenu à préciser : « Nous travaillons actuellement sur un plan de sauvetage pour tout revoir, y compris la gestion, et aussi pour changer la stratégie. Nous avons besoin d’une nouvelle stratégie et d’un nouveau plan d’affaires pour la remettre sur pied. »
Se voulant rassurant, le ministre a ajouté qu’il était de son devoir de sauver la compagnie parce qu’il s’agissait de souveraineté nationale, compte tenu des défis auxquels sont confrontées les compagnies africaines, liés aux « coûts très élevés des vols, aux nombreux détours par plusieurs pays et aux escales interminables de plusieurs heures », a-t-il évoqué, non sans souligner que la compagnie aérienne est liée à l’image du pays.