«C’EST SANS DOUTE POUR SECURISER ET PROTEGER LES ELEVES AFIN QU’ILS NE COMBATTENT PAS DANS LA RUE»
Ibrahima Bakhoum se prononce sur la suspension des cours dans les inspections d’académie de Ziguinchor et Sédhiou

Les inspections d’Académie de Ziguinchor et de Sédhiou ont suspendu les cours dans les écoles, établissements et centres de formation professionnelle de ce vendredi 19 mai à partir de 8 heures au jeudi 25 mai 2023 à partir de 8 heures. L’administration considère en effet que la meilleure manière de protéger les enfants, c’est de les laisser entre les mains de leurs parents.
Pour éviter la réédition des arrestations d’élèves suivies de manifestations de leurs camarades pour obtenir leur libération lors du procès ayant opposé le ministre du Tourisme au leader de Pastef, le ministère de l’Education nationale a pris les devants. A travers les inspections d’Académie de Ziguinchor et de Sédhiou, il a décidé de la suspension des cours dans ces deux régions en marge du procès devant opposer cette fois-ci le même leader de Pastef, Ousmane Sonko, à la masseuse Adji Sarr. Un procès prévu mardi prochain au tribunal de Dakar. « Les mesures prises par des inspections d’Académie des régions du Sud sont symptomatiques de ce que nous vivons actuellement. A Ziguinchor, ce qui s’est passé, c’est du concret. Des élèves, des étudiants, des jeunes travailleurs d’autres secteurs ont choisi de ne pas aller à l’école ou dans leur lieu de travail parce qu’ils considèrent qu’ils doivent entrer en résistance pour qu’un homme politique ne soit pas traqué, ne soit pas arrêté, ne soit pas enlevé. Ils disent qu’il n’est question de laisser partir leur maire, leur leader politique, de fait chef de l’opposition dans ces conditions-là parce qu’il serait victime d’une injustice », explique l’analyste politique Ibrahima Bakhoum. Avant d’ajouter : « quand vous dites aux élèves « venez en classe », on ne sait pas ce qui peut leur arriver dans la rue. Entre la maison et l’école, sur le chemin, tout est possible. Donc, c’est une attitude très responsable de la part des autorités lorsqu’elles disent aux élèves de rester à la maison. Pour le vétéran de la presse et membre éminent du groupe « Sud Communication », dans la perception politique, rester à la maison, c’est pour contrôler au moins les tout-petits à qui les parents peuvent dire ‘ne sortez pas dans la rue’. Ça va faire moins de bras, moins de personnes, moins de foule pour combattre dans la rue. Une lecture politique destinée à enlever de la main d’œuvre à ces gens qui sont dans la rue pour des raisons politiques. Pour des raisons d’ordre sécuritaire, l’inspection d’Académie ne veut pas que des enfants en classe soient délogés soit de manière violente dans des situations assez compliquées. Les autorités n’ont pas pris la responsabilité de laisser les élèves dans les classes où il peut y arriver des violences. C’est une lecture politique pour dire qu’on peut empêcher les autres d’avoir de la foule parce que la foule compte. L’administration a pris cette décision puisque la situation est tendue. On ne peut pas prendre le risque de laisser les enfants dans la rue parce qu’entre la maison et l’école, sur le chemin tout est possible. Il faut donc protéger les enfants des grenades lacrymogènes qui pleuvent de partout, des cailloux qui partent de nulle part, et des risques des cocktails Molotov », a poursuivi M. Bakhoum.
« Le Sénégal n’est aussi ignorants des troubles comme nous le vivons actuellement »
« Quand les commerces ferment, ça veut dire que, de la même façon que les élèves, les vendeurs ont peur d’être attaqués, d’être vandalisés dans leurs biens. Ce réflexe et cette crainte deviennent révélateurs de ce que l’insécurité ou l’instabilité peut coûter au pays, à l’économie et à la nation en général. Au pays en termes de réputation, d’image dans le monde. A l’économie avec des investisseurs qui vont commencer à douter, des gens qui ont déjà investi qui voient leurs biens vandalisés, saccagés. Le Sénégal ne gagnerait pas dans des situations d’insécurité où on peut continuer dans une instabilité beaucoup plus pointue, beaucoup plus forte. Tout cela pour dire que la situation politique, telle qu’elle est, nous devront travailler pour en sortir », estime le journaliste Ibrahima Bakhoum. Poursuivant, il explique qu’on arrive dans une situation où l’on voit plus d’enfants dans la rue que d’adultes. « Les luttes politiques au Sénégal, c’est des adultes qui les menaient, c’est des adultes qu’on prenait et c’est des adultes qui étaient en prison. Cette fois-ci, la population a beaucoup rajeuni. C’est beaucoup plus de jeunes qui sont dans la rue. Durant la crise postélectorale de 1988, c’est des militants de parti qui étaient dans la rue. Ce qui se passe aujourd’hui c’est que ce ne sont pas forcément des militants de partis qui sont dans la rue mais, plutôt, des jeunes qui doutent pour leur avenir, des jeunes frustrés, des jeunes qui ne voient pas l’avenir de manière très rassurante et qui ont entendu un nom et qui ont vu une personne qui les rassure », diagnostique encore l’analyste politique. Selon lui, la situation est inédite en termes de symboles. Avant, les gens s’unissaient pour des causes beaucoup plus larges. Ici, c’est surtout derrière une seule personne qu’ils se regroupent. Ce n’est pas la première fois que le Sénégal se retrouve dans des situations violentes. En 1988, un état d’urgence avait même été décrété. Ce qui veut dire « restez chez vous » parce que c’était violent et il y avait beaucoup d’emprisonnements. La différence avec ce qui se fait maintenant, c’est que les acteurs ont changé parce qu’au Sénégal, la population a rajeuni et on trouve à la limite beaucoup d’enfants qui sont embarqués dans les manifestations. Les réseaux sociaux jouent un énorme rôle dans cette mobilisation. Avant, il n’y avait pas ces canaux d’informations et de propagande, de manipulation. Cette image de violence dans notre pays peut faire qu’à l’international les investisseurs vont attendre en avant de venir investir au Sénégal. Cette incertitude ne va pas avec le business et si le risque est élevé au Sénégal, les investisseurs risquent d’aller ailleurs. Même si on a du pétrole, si le pays risque de brûler, les investisseurs ne viendront pas », alerte en conclusion l’un des doyens de la presse, Ibrahima Bakhoum.