ET SI LE PRYTANÉE MILITAIRE DE SAINT-LOUIS AVAIT DÉJA LA VOCATION D’UN LYCÉE NATION ARMÉE
Des voix s'élèvent pour questionner la pertinence de ce projet coûteux et son impact réel sur l'amélioration du système éducatif
Dès la prochaine rentrée des classes, le président de la République Bassirou Diomaye Faye, chef suprême des armées, a décidé de créer des Lycées Nation Armée pour la Qualité et l’Équité (Lynaqe). Ces établissements visent à promouvoir l’excellence académique tout en inculquant des valeurs civiques basées sur l’éthique militaire aux 600 élèves sélectionnés par concours. Une initiative qui prouve tout l’intérêt qu’il porte à l’avenir d’une école sénégalaise inclusive où les élèves s’identifient dans la qualité et l’équité connues jusque-là chez les soldats. Mais la pertinence dans la conception souffre-t-elle de quelques lacunes de nature à modérer les performances du projet ? Et si le Prytanée militaire de Saint-Louis avait cette vocation ? « Le Témoin » a enquêté…
Pur produit de l’école sénégalaise, le président Bassirou Diomaye Faye a très tôt compris le rôle que joue l’éducation dans la société. Et surtout quand il s’agit d’une éducation censée éveiller et développer la conscience civique et les qualités humaines dès le bas âge.
Pour mieux promouvoir l’excellence, le civisme et l’éthique dans une école inclusive, le chef de l’Etat ne pouvait pas ne pas faire recours à la rigueur militaire. D’où la création des Lycées Nation Armée pour la Qualité et l’Équité (Lynaqe) dès la prochaine rentrée des classes 2024-2025. Ces établissements implantés à Sédhiou et à Kaffrine, pour une première étape, accueilleront près de 600 élèves, de la 6ᵉ à la terminale, sélectionnés par voie de concours. Ces lycées visent à promouvoir l’excellence académique tout en inculquant des valeurs civiques solides aux jeunes Sénégalais. Comme indiqué dans le communiqué conjoint du ministre de l’Eduction nationale et de celui des Forces armées, le projet soutenu par le Premier ministre prévoit l’extension du modèle à l’ensemble des 46 départements du pays. « Les Lynaqe se distinguent par leur approche intégrée, combinant l’expertise des Forces armées en matière de discipline et de civisme avec un encadrement pédagogique de haute qualité assuré par le ministère de l’Éducation nationale. Ces lycées auront également une orientation marquée vers les sciences, les technologies et le numérique. Les infrastructures de ces établissements incluront des campus pédagogiques modernes avec des salles spécialisées, des dortoirs séparés pour filles et garçons, ainsi que des installations sportives et éducatives. De plus, une architecture bioclimatique innovante, incluant l’utilisation de briques de terre crue et de panneaux solaires rendra ces lycées autonomes et durables » font savoir les deux ministres de tutelle. A les en croire, l’initiative des établissements « Lynaqe » s’inscrit dans la volonté du gouvernement de redynamiser l’école sénégalaise en la rendant plus inclusive et en l’adaptant aux défis contemporains du numérique et du développement durable tout en renforçant les valeurs de civisme, de discipline, et de citoyenneté.
Retour à l’éducation de base !
Il est vrai que si la démocratie,signifie le pouvoir au peuple, elle n’est effective que si l’école a le rôle de diffuser voire de vulgariser l’excellence, la qualité et l’équité pour préparer les citoyens de demain à être plus conscients que ceux d’aujourd’hui. Ce qui ne saurait faire convenablement une école sénégalaise désenchantée dans une société en crise de valeurs humaines. Le vieux El Hadj M. Diagne, ancien proviseur de lycée, tient d’abord à magnifier la vision du président de la République Bassirou Diomaye Faye pour la création de ces lycées combinant éducation académique et valeurs civiques. « Pour mieux motiverson projet, le chef de l’Etat a fait appel à l’Armée connue pour sa discipline basée sur l’obéissance entière, la soumission totale, l’ordre et la rigueur dans le travail. Malheureusement certains observateurs font la confusion entre la discipline militaire, le civisme et l’équité. L’équité est trop loin de la discipline militaire. Car l’homme le plus discipliné au monde peut souffrir d’un grave déficit d’équité et de qualité, sinon de morale. Juste pour dire que la création des milliers de lycées n’est pas une solution. Mieux, on ne pourra jamais vulgariser l’excellence. C’est d’ailleurs une définition antinomique ! » estime cet ancien inspecteur de l’éducation. Selon lui, « l’Etat devrait plutôt réformer l’éducation de base qui est la clé de voute d’une société. Pour ce faire, l’accès à l’école doit être obligatoire pour tout citoyen. Parce que c’est à l’école de base que l’on apprend à l’enfant l’estime de soi, pour avoir confiance en soi, le partage équitable sur la base des goûters partagés, le civisme etc. Donc il est temps que l’école de base ait une longueur d’avance sur la société sénégalaise moyenne » pense notre doyen de l’éducation. Selon un ancien commandant du Prytanée militaire de Saint-Louis, ces lycées à connotation militaire mais relevant d’un statut civil, à l’opposé du Prytanée, existent un peu partout, notamment dans les pays voisins. « Mais cela n’a pas changé les mentalités voire les comportements chez certains de nos proches voisins. Avec la création de ces Lynaq, il convient de se demander d’ailleurs si l’Armée pourra encadrer autant de lycées ? Et comment des encadreurs militaires pourront-ils se faire obéir par des civils ? Encore, comment des proviseurs civils peuvent-ils diriger des militaires ? A mon avis, le concept même pose problème en soi. Certes, l’Armée peut offrir un concept Armée-Nation pour montrer un exemple de son intégration dans la Nation, mais pas la Nation vers l’Armée. Donc les objectifs recherchés risquent de ne pas être atteints. A mon avis, l’analyse des objectifs déclinés montre qu’il y a plus de slogan que de volonté. Et qu’une étude approfondie n’a pas été faite préalablement à la mise en pratique. D’ailleurs, le Prytanée militaire de Saint-Louis a déjà cette vocation que veulent promouvoir les nouvelles autorités avec les Lynaqe c’est-à-dire former de futurs cadres militaires et civils imprégnés de civisme et d’équité. Dans ce sens, le Prytanée militaire a fait ses preuves. Au-delà de l’Excellence académique, les anciens élèves se sont distingués dans les valeurs humaines » se félicite cet ancien officier qui a eu à commander le Prytanée militaire de Saint-Louis.