LE DRAME SOCIAL DES MÈRES CÉLIBATAIRES
Le supplice des mères célibataires est une réalité dans bien des communautés au Sénégal, à cause du regard porté sur elles, des pesanteurs sociales et religieuses, du refus de paternité…
Au début du mois de décembre 2022, le juge de la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar a condamné Nicole Faye, présentée comme une activiste, à cinq ans de réclusion criminelle. Elle a été reconnue coupable de crime d’infanticide. Ce récit tragique est des plus courants dans les chroniques sociales. Dans une bonne partie de la société sénégalaise, c’est une forme de « transgression des interdits », une manière de tomber dans le déshonneur. C’est pourquoi certains expliquent le nombre important d’infanticides par ce regard porté par la société sur les mères célibataires et le refus de paternité. Elles supportent le rejet de leur famille et essuient les dédains de la communauté, dont elles ont « transgressé les interdits ». Les grossesses hors mariage ou les naissances dites illégitimes, dans un certain entendement social et religieux, conduisent au supplice dans bien des cas. Elles sont condamnées, quelquefois, à l’isolement.
Jeune et innocente à l’époque, M. D voyait la vie en rose jusqu’au jour où tout a basculé. Un « accident d’un soir » l’a plongée dans la détresse, bouleversant sa vie. Aujourd’hui, mère de deux enfants de pères différents, son récit de vie est des plus douloureux : « j’étais encore très jeune quand je suis tombée enceinte pour la première fois. Le père de mon premier enfant n’était pas assez mature pour prendre ses responsabilités. D’ailleurs, il n’a jamais voulu les assumer envers son fils qui a neuf ans aujourd’hui. Je lui ai même proposé de faire un test Adn, mais il n’a jamais accepté. À cette époque, nous étions tous les deux très jeunes. J’ai vécu des moments difficiles. Ce n’était pas évident à mon âge. Il arrive parfois que mon fils me demande des nouvelles de son géniteur ».
Un autre « accident d’un soir » survient ensuite, un deuxième garçon qui aura bientôt quatre ans. Lui, au moins, son père l’a reconnu. Mais, il ne l’a plus revu « depuis le jour de son baptême ». Se souvient-elle encore, le visage crispé, des nuits blanches, noyée dans son chagrin. Malgré le soutien de sa mère, la pilule est dure à avaler. Les promesses d’amour étaient trompeuses. « Les géniteurs se sont débinés », confie-t-elle, triste.
Le temps n’a pas réussi à briser le cycle infernal de ses tourments, car « c’était compliqué ». Et ce n’est pas fini. « Il ne voulait rien entendre, se disant que c’était impossible. Nous l’avions fait. Et une seule fois », dit-elle, cherchant le réconfort dans cette « seule fois ». Ses souvenirs sont amers. Cette erreur de jeunesse lui a volé une grande partie de sa vie. Une mémoire qui l’affecte toujours : « ce sont des choses qui ne s’oublient pas du jour au lendemain. Les gens seront toujours là à te rappeler que tu as mis au monde un enfant hors mariage. Un enfant qui, en plus, n’est pas reconnu par son père ».
« Je ne suis pas une femme facile »
Une autre dame, préférant garder l’anonymat, a vécu la même mésaventure. Cette dernière, malgré la pression sociale, a su trouver la force et le courage d’élever et de garder ses trois enfants qui n’ont pas été conçus dans les liens du mariage. Âgée de 30 ans, elle raconte son calvaire en des termes touchants : « j’ai eu trois grossesses successives. Pour la première fois, le père de mon enfant a préféré se marier avec une autre fille. Il l’avait engrossée en même temps que moi. Toutefois, mes deux derniers enfants sont du même père. Celui-ci m’avait promis le mariage, mais il n’a pas respecté son engagement. Je n’ai même plus de ses nouvelles ». Mais le regard porté sur les mères célibataires l’incommode davantage, surtout celui-là, inquisiteur et les esprits pervers qui en font des « femmes faciles ».
Épouse apparemment épanouie, Adja n’est pas non plus une « femme facile ». Après avoir « trébuché », comme elle plait à appeler sa grossesse hors mariage, elle a refait sa vie avec un autre homme. « Quand ce dernier m’a épousée, ma mère s’est proposé de garder mon fils obtenu hors des liens du mariage. C’était, pour elle, plus convenant surtout vis-à-vis de ma belle-famille. Mais j’ai dit niet. J’ai fait une erreur, ce n’est pas pour autant que je suis mauvaise », dit-elle, heureuse de ce choix.
Salif Ba, un homme de 43 ans, s’est beaucoup ému du sort d’une de ses vieilles connaissances qui a vu sa vie détruite à cause d’une grossesse hors mariage. Issue d’une famille attachée à la pratique religieuse, son amie n’a pas survécu au matraquage psychologique de ses proches. « Son père ne lui adressait plus la parole. Sa mère, honteuse devant sa coépouse, n’arrêtait pas de lui répéter l’opprobre dont elle l’a couverte. Elle a fini par dépérir et perdre goût à la vie. L’homme qui l’a mise enceinte voulait l’épouser, mais, pour des considérations religieuses, son père s’y est opposé au grand dam de sa fille, laissée à elle-même. Son amoureux a fini par se lasser et est allé chercher son bonheur ailleurs », se rappelle Salif. Elle ne s’est plus jamais relevée jusqu’à sa mort à l’âge de 27 ans. Triste fin.