NOUS DEVONS DÉSAPPRENDRE LE SEXISME QU'ON NOUS A INCULQUÉ
Dans un recueil de quinze entretiens avec des militantes de tout le continent, la chercheuse sénégalaise Rama Salla Dieng se fait l’écho des discours et des récits féministes des Sud - ENTRETIEN
Que signifie être féministe aujourd’hui en Afrique ? L’universitaire et écrivaine sénégalaise Rama Salla Dieng tente de répondre à la question dans le recueil d’entretiens Féministes africaines. Une histoire décoloniale (Présence africaine, 2021). Sa compatriote Mame-Fatou Ndiang, réalisatrice du documentaire Marianne noires, la militante égyptienne des droits humains Yara Sallam, Amal Bint Nadia, modératrice du mouvement #EnaZeda (Me Too tunisien), ou encore la Ghanéenne Nana Darkoa, cofondatrice du blog sur la sexualité « Adventures from the bedrooms of African women » y exposent leurs engagements et se confient sur leurs combats de tous les instants.
Il aura fallu plusieurs allers-retours pour fixer définitivement un rendez-vous avec Rama Salla Dieng, elle-même militante. Des contretemps qui illustrent, selon cette maitresse de conférence en développement international et études africaines à l’université d’Edimbourg (Écosse), la charge mentale qui pèse de plus en plus lourdement sur les femmes depuis l’arrivée du Covid-19.
Jeune Afrique : Peut-on estimer à quand remonte l’émergence du féminisme en Afrique ?
Rama Salla Dieng : Les féminismes africains sont aussi anciens que le continent lui-même, ils existaient avant même l’apparition de ce terme. Il y a toujours eu des femmes et des hommes qui ont voulu faire bouger les lignes, œuvrer pour les droits des femmes. La première université du monde a par exemple été créée par une femme africaine, la Marocaine Fatima al-Fihriya.
Mais souvent, l’attention s’est focalisée sur des personnalités qui appartenaient à l’élite et avaient la possibilité de faire entendre leur voix, et cette autre forme de domination se faisait au détriment d’autres femmes, qui n’étaient pas de rang noble, qui n’étaient parfois pas instruites.
Vous soulignez le besoin d’historiciser les mouvements féministes africains. Est-ce cette nécessité qui a motivé votre démarche ?
L’objectif était d’aller vers les féministes africaines et de les laisser réaliser elles-mêmes une historiographie féministe du continent et de sa diaspora. Ce n’est pas que les voix de femmes n’existaient pas jusqu’ici, c’est qu’elles ont été contraintes au silence par une manière de dire l’histoire qui mettait délibérément en avant la voix des hommes – tout simplement parce que la plupart des historiens étaient des hommes.