IMAM DICKO, L'AYATOLLAH DE BAMAKO
Décrit comme celui qui fait trembler le palais de Koulouba, il a réussi à s’imposer comme le véritable leader de l’opposition malienne. Retour sur la trajectoire d’un wahhabite aux confluents de la religion et de la politique
Décrit comme celui qui fait trembler le palais de Koulouba, l’imam Mahmoud Dicko a réussi à s’imposer comme le véritable leader de l’opposition malienne, dont le principal chef de file, Soumaila Cissé, est porté disparu depuis plusieurs mois. Retour sur la trajectoire d’un wahhabite aux confluents de la religion et de la politique.
‘’Je voudrais vous dire très sincèrement : nous sommes un peuple debout, nous ne sommes pas un peuple soumis ou résigné. Moi, je le dis : je préfère mourir en martyr que de mourir en traître’’. Ainsi s’est exprimé l’imam Mahmoud Dicko, à la sortie de sa rencontre, jeudi, avec la délégation de très haut niveau de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) composée de cinq chefs d’Etat dont le président Macky Sall. Sans langue de bois. La figure de proue du Mouvement du 5 juin a dit tout haut ce que nombre de négociateurs politiques auraient pensé tout bas.
Comme assommé au sortir de son face-à-face avec les émissaires de l’organisation sous-régionale, la terreur de Koulouba peste : ‘’Rien n’a bougé, pour le moment. On ne nous a rien dit que je puisse comprendre. Les jeunes gens qui ont perdu leur vie ne l’ont pas perdue pour rien. Si vraiment ce qu’on s’est dit c’est pour cela qu’ils se sont réunis, je pense que rien n’a été fait pour le moment.’’
Pendant que des spécialistes cogitent sur la forme peu avenante du discours, les partisans du charismatique imam, eux, s’en réjouissent et louent son ‘’honnêteté’’, son ‘’patriotisme’’ et un discours de vérité… Sur la page Facebook ‘’Les amis d’imam Dicko’’, ils s’enflamment. ‘’Ceux qui soupçonnaient l’imam Dicko de traître, êtes-vous sûrs maintenant de son honnêteté ?’’, commente Nouhoun Traoré, lançant le débat. Comme on pouvait s’y attendre devant une communauté totalement acquise à la cause de l’imam malien, les réponses sont plus qu’élogieuses, parfois dithyrambiques.
Il est ‘’sage, honnête et très exemplaire’’, s’exclame Bakary Mintin. ‘’Un musulman pieux comme Dicko ne va jamais trahir’’, crie, pour sa part, Kaoufounekone. ‘’Walay, j’avais des doutes, mais vu ses propos d’aujourd’hui, il m’a vraiment donné de l’espoir’’, soupir un autre sympathisant.
Entre Dicko et la politique, l’idylle remonte à 2009. Il était en croisade contre le projet de nouveau Code de la famille. Censé, selon le gouvernement d’Amadou Toumani Touré, apporter des ‘’avancées majeures’’ aux usages matrimoniaux, familiaux et successoraux, ce code a été combattu par l’imam qui y décelait plutôt des réformes ‘’inadaptées aux valeurs maliennes’’. Lesquelles étaient, d’après lui, fabriquées par une ‘’prétendue société civile financée par les Occidentaux’’. Le moins que l’on puisse dire est que son combat a été sanctionné par un succès éclatant. En mobilisant, cette année-là, 50 000 personnes au stade du 26 Mars, il parvint à faire fléchir le régime d’alors qui commençait à vaciller.
Ascension politique fulgurante
C’était le début d’une ascension politique fulgurante. Depuis lors, l’imam a été presque de tous les rendez-vous majeurs de la vie politique au Mali. En 2013, sur plusieurs candidats, le religieux jette son dévolu sur Ibrahim Boubacar Keita. Encore une fois, son engagement est positivement sanctionné par le peuple malien. Après un compagnonnage serein de quelques années, les deux hommes se séparent. L’une des premières contradictions publiques concerne le projet d’introduction d’un manuel scolaire dans le système éducatif malien. L’imam enfile encore sa tenue de combat et livre sa première grande bataille contre IBK.
Selon les détracteurs du projet, le nouveau manuel vise à promouvoir la débauche, l’homosexualité. Là également, l’imam sort vainqueur de son combat. Il était encore président du Haut conseil islamique du Mali, poste qu’il occupe depuis 2007.
Quelques mois plus tard, le religieux quitte ce poste stratégique, interface entre le pouvoir temporel et la communauté musulmane. Dans la foulée, au mois de septembre, il lance en grande pompe la CMAS (Coordination des mouvements, associations et sympathisants) de l’imam Mahmoud Dicko, un mouvement hétéroclite qui réunit des politiques, des religieux et des gens de la société civile.
Les masques sont ainsi tombés, pour beaucoup d’observateurs. L’imam sonne sa grande rentrée politique. Malgré ses dénégations.
Originaire de la région de Tombouctou, où il a été élevé par un grand-père kadi, l’imam de 66 ans a été formé dans les madrasas mauritaniennes (à Boutilimit et à Néma), informait ‘’Jeune Afrique’’ dans un article publié en 2010. Polygame, père de 10 enfants au minimum, il est ensuite passé par Médine, en Arabie saoudite, où il a parachevé sa formation. Simple imam à ses débuts dans les années 1980, l’homme est, aujourd’hui, incontournable sur la scène politique malienne. Alors qu’on lui prête beaucoup d’ambitions, celui qui est défini comme un wahhabite aime rappeler : ‘’Je dirige la prière depuis 40 ans ; je ne sais faire que ça.’’