LE GRAND RÉCIT QUE LA FRANCE ÉLUDE
Alors que d'autres pays ont su réinterroger leur passé colonial dans des lieux ouverts au débat, la France fait encore figure d'exception par son incapacité à ériger le musée fédérateur réclamé de longue date
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La création d'un musée consacré aux colonisations en France est une vieille idée qui revient régulièrement dans le débat public. Portée depuis plusieurs années par des historiens comme Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, cette proposition trouve un écho renouvelé dans un article du Monde du 30 octobre dernier. Selon les deux chercheurs, un tel musée permettrait de faire avancer la réflexion collective sur cet épisode crucial de l'histoire de France, qui reste encore largement occulté dans l'espace public.
Pourtant, l'histoire coloniale est de plus en plus présente dans les travaux académiques et les débats de société. Mais les positions restent polarisées entre partisans d'une vision nostalgique du passé et tenants d'une lecture décoloniale radicale. "Plus personne ne conteste aujourd'hui l'importance de cette histoire longue de cinq siècles", souligne le quotidien. Mais dans le même temps, la France fait figure de mauvais élève par rapport à ses voisins européens sur la préservation et la transmission de cette mémoire complexe.
Belgique, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas... De nombreuses anciennes puissances coloniales se sont dotées ces dernières années de structures muséales et de commissions historiques pour explorer ce pan méconnu de leur identité nationale. En France, malgré le discours d'Emmanuel Macron qualifiant la colonisation de "crime contre l'humanité", peu de choses ont concrètement évolué. Si des rapports ont été produits sur des épisodes particuliers, aucun grand musée d'envergure n'a vu le jour pour mettre en perspective l'ensemble de cette histoire multiséculaire.
Pire, le débat public sur la nécessité ou non d'un tel projet fait défaut, contrairement aux autres pays. "Notre pays est ainsi désormais à la traîne des initiatives des autres ex-métropoles coloniales en ce domaine", relève Le Monde. Pourtant, des millions de Français ont un lien direct avec cette période, qu'ils soient rapatriés, harkis, originaires des outre-mer ou issus de l'immigration postcoloniale. Autant de mémoires et d'identités longtemps minorées.
Pour les historiens, ériger un musée des colonisations permettrait de "relativiser les mémoires antagonistes" et d'éviter la "polarisation entre nostalgiques et décoloniaux radicaux". Il s'agirait aussi d'"intégrer à l'histoire les millions de personnes qui s'en sentent exclues". Plus largement, un tel projet contribuerait à "repenser notre roman national" à l'aune de cette page longtemps occultée. En ouvrant le débat avec l'ensemble des acteurs concernés, il s'inscrirait dans une démarche pédagogique et fédératrice.
Reste à savoir si la France sera enfin prête à relever ce défi mémoriel et historique, à l'heure où s'ouvre la Cité internationale de la langue française. Pour l'instant, malgré les discours, le tabou persiste sur ce pan du passé national. Pourtant, conclut l'article, "si nous sommes capables d’édifier cette cité, nous devons imaginer ce musée. Sinon, la page coloniale ne pourra être tournée."