L'HOMMAGE RATÉ DE LA FRANCE AUX TIRAILLEURS
La cérémonie du 80e anniversaire du débarquement de Provence a révélé un fossé grandissant entre Paris et ses anciennes colonies, avec notamment l'absence notable de nombreux pays pourtant invités, à l'instar du Sénégal
(SenePlus) - L'absence constatée du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye à la commémoration du 80e anniversaire du débarquement de Provence, le 15 août 2024, est symptomatique des tensions croissantes entre la France et ses anciennes colonies africaines. Cette défection d'un pays dont les tirailleurs ont joué un rôle crucial dans la libération de la France en 1944, illustre les défis auxquels est confrontée la politique africaine d'Emmanuel Macron.
Selon les informations rapportées par Le Monde, l'absence du chef d'État sénégalais pourrait être liée à une polémique récente. Fin juillet, la France avait décidé de reconnaître comme "morts pour la France" six tirailleurs tués lors du massacre de Thiaroye en 1944. Cette décision unilatérale avait provoqué l'ire du Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, qui avait déclaré sur les réseaux sociaux : "Ce n'est pas à la France de fixer unilatéralement le nombre d'Africains trahis et assassinés après qu'ils ont contribué à la sauver."
Cette tension avec Dakar n'est que la partie émergée de l'iceberg. La cérémonie à Boulouris-sur-Mer, dans le Var, a révélé un net recul de la participation africaine par rapport au 70e anniversaire. En 2014, douze présidents africains avaient fait le déplacement aux côtés de François Hollande. Cette année, seuls cinq chefs d'État africains étaient présents : Paul Biya du Cameroun, Azali Assoumani des Comores, Faure Gnassingbé du Togo, Faustin-Archange Touadéra de la République centrafricaine, et le général Brice Oligui Nguema du Gabon.
L'Élysée avait pourtant souhaité afficher une "participation africaine de très haut niveau" pour célébrer la contribution de quelque 250 000 soldats, majoritairement issus des colonies, qui ont participé à cette opération baptisée "Dragoon". Mais les tensions diplomatiques ont eu raison de ces ambitions.
Parmi les grands absents, on note également l'Algérie, qui a récemment rappelé son ambassadeur en France suite au soutien de Paris au plan d'autonomie marocain pour le Sahara occidental. Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger, qui ont expulsé les forces françaises de leur territoire, ont également brillé par leur absence.
Le Tchad, dernier allié sécuritaire de poids de la France au Sahel, a lui aussi décliné l'invitation. Une source gouvernementale à N'Djamena a confié au Monde : "Même si nos relations bilatérales restent excellentes, on n'a pas trop apprécié l'épisode des costumes", faisant référence à une récente enquête du Parquet national financier sur des achats somptuaires du président tchadien en France.
Malgré ces absences notables, la cérémonie a tout de même rendu hommage à la contribution cruciale des tirailleurs africains à la libération de la France. Paul Biya, doyen des chefs d'État présents, a prononcé un discours au nom de ses pairs africains. Emmanuel Macron a également remis la Légion d'honneur à Larbi Jawa, un vétéran marocain de 98 ans, ainsi qu'à deux résistants français.
Dans un geste symbolique, cinq lycéens de Thiaroye, descendants de tirailleurs sénégalais, étaient présents à la cérémonie. Leur présence souligne la complexité de la situation : malgré les tensions politiques, les liens historiques et humains entre la France et l'Afrique restent forts.
Cette commémoration en demi-teinte met en lumière les défis auxquels la France est confrontée dans sa politique africaine. La vague souverainiste qui déferle sur le continent, alimentée par une contestation croissante de l'influence française, met à mal les efforts d'Emmanuel Macron en matière de réconciliation mémorielle.
Comme le conclut Le Monde, "les actes du chef de l'État – d'humilité, à ses yeux –, posés pour souligner que la France regarde enfin son histoire coloniale africaine en face, ont même parfois provoqué des turbulences."