COUR SUPRÊME
Sous le magistère de Macky SALL, les décisions de la Cour ne sont pas irrévocables
On a envie de rire sous cape, en écoutant un Avocat de l’Etat (Maître Yérim THIAM) clamer sous tous les cieux que les décisions de la Cour suprême sont irrévocables et définitives. Pour savoir à quel point l’autorité de la Cour suprême s’est affaissée, sous le magistère de Macky SALL, il faut retourner 3 ans en arrière, en 2015, avec l’affaire des 690 élèves-maîtres qui constitue l’un des plus grands scandales de la République.
Un scandale qui prouve à quel point le Sénégal a basculé dans l’insécurité juridique.
LES FAITS
Par délibération en date du 11 mars 2014, le jury du concours de recrutement des Elèves-Maîtres a déclaré admis 2545 candidats. Estimant que 690 élèves-maîtres ne disposaient pas du niveau requis, et concluant que leur admission a été obtenue de manière frauduleuse par la falsification des notes, en complicité avec des agents du système éducatif, le Ministre de l’éducation nationale, a annulé le 24 juillet 2014, sans aucune
base légale, l’admission des mis en cause.
La portée de l’arrêt de la Cour suprême n°061 du 23 septembre 2015
Saisi d’un recours en annulation par l’avocat des élèves-maîtres, pour excès de pouvoir, la chambre administrative de la Cour suprême, par l’arrêt n°061 du 23 septembre 2015, a prononcé l’annulation de la décision ministérielle n°00003816, dont les termes sont sans équivoque :
L’incompétence du Ministre : « Aucun texte, ni aucun texte interministériel ne conférait au Ministre de l’éducation nationale le pouvoir d’annuler les admissions résultant des travaux de la commission de délibération »,
La souveraineté du jury : « dans l’organisation des concours et examens publics, seul le Jury est compétent pour tirer les conséquences des erreurs commises »,
La violation des droits de la défense : la mesure prise sans que les élèves-maîtres incriminés aient été mis à même de se défendre porte gravement atteinte à chaque situation individuelle.
Avec l’arrêt précité, la Cour suprême a sacralisé, le principe du droit acquis et l’intangibilité des effets individuels de l’acte administratif en ces termes :« L’admission des élèves maîtres incriminés et leur formation pendant 5 mois dans les centres régionaux de formation des personnels de l’éducation (CRFPE) leur ont conféré des droits, notamment ceux relatifs à une formation certificative d’un an, à une bourse mensuelle et le droit de se présenter à l’examen de fin de formation ; que les admissions décriées fussent-elles entachées d’irrégularité ne pouvaient être remises en cause au sens de l’article 5 de la loi du 06 février 1970 modifiée…».
Au final, tout en admettant l’éventualité d’irrégularités, ou de « fraudes » liées aux admissions des incriminés, la Cour suprême a totalement cassé la décision du Ministre (Il ne s’agit pas d’une cassation partielle, mais d’une cassation totale). Pour comprendre la portée de l’arrêt n°61 du 23/09/15, il faut se référer à l’article du Directeur du Service de documentation et d’études de la Cour suprême, Souleymane Kane, intitulé « La rédaction et la portée des arrêts de la cour suprême » publié au bulletin d’informations N°9 et 10, en février 2017. Dans son analyse, M. KANE s’est attaché à définir tous les types de cassation (partielle ou totale). Le magistrat est formel : lorsque la Cour examine un moyen, et casse en mentionnant « sans qu’il ait lieu de statuer sur les autres moyens », cela signifie que la Cour suprême a jugé que la cassation sur ce moyen entraîne l’annulation des autres dispositions non expressément rejetées. M.KANE fait partie des 5 magistrats qui ont annulé la décision du Ministre de l’Education et qui ont précisé « que la requête en annulation des élèves-maîtres est fondée au point qu’il n’y ait pas lieu de statuer sur les autres moyens ».
Dans l’affaire des élèves-maîtres, la conclusion de la Cour est sans appel « Par ces motifs, annule la décision n°00003816 du 24 juillet 2014 du Ministre de l’éducation nationale ». La cassation entraîne de plein droit, l’annulation de tous les actes et décisions qui sont la suite ou l’exécution de la décision annulée ou qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire. Avec une telle motivation qui ne laisse place à aucune ambiguïté, n’importe quel Juriste, Professeur ou professionnel du Droit se dit que la messe est dite. C’était sans compter avec le régime de Macky SALL, capable de modifier n’importe quelle décision de justice, en sa faveur, de réécrire et de réinventer sans cesse, le Droit.
En vérité, l’affaire des élèves-maîtres confirme que la séparation des pouvoirs (Exécutif, législatif et judiciaire) est une fiction au Sénégal. L’offensive contre la Cour suprême a été lancée par le Président, Macky SALL, himself qui a témoigné publiquement son soutien au Ministre, Serigne Mbaye Thiam.
Un acte d’une extrême gravité, car au Brésil, en Corée du Sud ou aux Etats-Unis d’Amérique (procédure impeachment), le Président Macky SALL serait destitué pour violation de la Constitution (cf. article 88 sur la séparation des pouvoirs). Plus grave, l’Assemblée nationale, a voté en décembre 2015, une résolution de soutien au Ministre de l’éducation sans aucune valeur juridique, puisque ladite résolution ne peut en aucun cas « invalider » la décision de la Cour suprême qui bénéficie de l’autorité de la chose jugée. A l’époque, les attaques contre la Cour suprême étaient d’une telle violence que le fantasque parlementaire Moustapha Cissé Lô, s’est permis de défier l’institution judiciaire, déclarant en substance « Ce que les juges de la Cour suprême ont dit ne nous intéresse pas ».
Le Ministre de l’Education est allé plus loin, contestant ouvertement l’arrêt de la Cour suprême, et refusant la réintégration des élèves incriminés (violant la loi). Le PV du Jury du 27 janvier 2016 confirmant l’exclusion des 690 élèves-maîtres n’a aucune incidence sur la décision de la Cour suprême du 23 septembre 2015, car « l’autorité administrative ne pouvait agir que dans le délai de recours pour excès de pouvoir ». Or le délai de 2 mois est forclos. Par conséquent, le communiqué du 22 février 2016 précisant que le Ministère de l’Education s’est conformé à l’arrêt de la Cour suprême est un FAKE NEWS. Il n’appartient pas à un Jury d’examen de se substituer à la Cour suprême, et de dire le Droit. Cette forfaiture soutenue par Macky Sall, porte gravement atteinte à l’autorité des arrêts de la Juridiction (une insécurité juridique sans précédent).
Mais, il n’y a pas qu’un Jury d’examen qui puisse remettre en cause une décision de la Cour suprême (chambre administrative). Dans l’affaire Karim WADE (chambre criminelle), le Procureur Général près le Cour suprême, Badio CAMARA a abusé de sa position, en introduisant une requête en rabat d’arrêt, pour « invalider » un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour suprême en date du 06 février 2014, qui déclarait recevable, le recours de Karim Wade contre l’ordonnance de la commission d’instruction de la Cour de Répression de l’enrichissement illicite du 17 Mars 2013. L’arrêt du 06 février 2014 rendu par des magistrats courageux, dont Cheikh Tidiane Coulibaly, a été qualifié de jurisprudence révolutionnaire et salué unanimement par tous les partisans des droits de l’homme, non pas parce qu’il se prononçait sur la culpabilité ou non de Karim WADE, mais parce qu’il consacrait les droits de la défense, et particulièrement le droit au recours pour un justiciable (qu’il se nomme Karim WADE ou pas).
L’avocat Maître Assane Dioma N’DIAYE se félicitait d’une jurisprudence révolutionnaire en matière de protection des droits fondamentaux au Sénégal, précisant qu’avec l’arrêt du 06 février 2014, « le juge suprême sénégalais rappelait au législateur qu’il pouvait adopter des règles de procédure différentes mais ne saurait en aucun cas porter atteinte aux droits fondamentaux garantis aux citoyens par la Constitution et les Conventions Internationales ratifiées ». Que s’est-il passé entre temps pour qu’il y ait un rabat ?
Si l’affaire Karim WADE a atterri au Comité des droits de l’homme et conduit à la condamnation du Sénégal (malgré les dénégations du régime en place), c’est parce que le Procureur Général près la Cour suprême a neutralisé l’arrêt du 06 février 2014, qui lui ouvrait la possibilité d’un recours au niveau des juridictions internes. Pour avoir été l’initiateur du rabat d’arrêt, M. Badio CAMARA porte une énorme responsabilité dans le fait que le Sénégal ait été vilipendé par les organismes des droits de l’homme (Comité des droits de l’homme). Précisons qu’un rabat d’arrêt est défini comme la mise à néant, par la juridiction, de la décision qu’elle a rendue, lorsque celle-ci est entachée d’une erreur manifeste, résultant dans la procédure, non imputable aux parties, et ayant affecté surtout la décision rendue par le juge. De hauts magistrats de la haute juridiction se seraient « fourvoyés », en déclarant le recours de Karim WADE recevable. Qui peut croire une seule seconde à cette farce grotesque ?
Ces 2 exemples (affaire des élèves-maîtres et affaire Karim WADE), démontrent, contrairement aux affirmations des avocats de l’Etat, que les décisions de la Cour suprême ne sont ni irrévocables, ni définitives avec le régime actuel. Selon qu’elles servent le Prince et ses intérêts politiques du moment, les décisions de la Cour suprême peuvent être modifiées, dans le sens voulu. Entre un Président qui s’immisce illégalement dans les affaires de la Justice, un Ministre de l’éducation qui conteste une décision de justice au motif que l’arrêt n°61 n’est pas définitif; une Assemblée nationale qui se dresse contre les lois de la République, par le vote d’une résolution de soutien à Serigne M’Baye THIAM ; et le Procureur Général Près la Cour suprême qui viole impunément les droits de la défense ; le Sénégal donne une piètre image d’un pays qui s’est écarté de tous les principes qui fondent un Etat de Droit. Un pays, où désormais, l’insécurité juridique (falsification des règles de droit), la force et le banditisme d’Etat règnent en maître.
Le 27 janvier 2016, au Sénégal, un PV d’un jury d’examen a annulé un arrêt de la Cour suprême, dont les termes sont sans équivoque : l’admission des 690 élèves-maîtres, même entachée d’irrégularités ne peut être remise en cause, en vertu de l’article 5 de la loi du 06 février 1970 ». Au vu de tout ce qui précède, Macky SALL acceptera t’il le verdict des 7 « Sages », en cas de défaite en 2019 ? Pas sûr !