VIDEOLA SOUVERAINETÉ VOLÉE DES NATIONS D’AFRIQUE FRANCOPHONES
Derrière les cérémonies d'indépendance se cache un arrangement anticonstitutionnel. L'économiste Ndongo Samba Sylla démontre comment le contrôle de la monnaie par la France a transformé une indépendance de façade en une dépendance structurelle qui perdure

Selon l'économiste Ndongo Samba Sylla, la décolonisation des pays d'Afrique francophone cache une réalité méconnue : elle s'est déroulée de manière anticonstitutionnelle. Dans une analyse détaillée présentée lors d'une conférence sur l'indépendance économique, il révèle que la France, prise de court par le mouvement d'indépendance après le départ de la Guinée en 1958, a contourné l'exigence constitutionnelle d'un référendum pour libérer les territoires du régime de la communauté franco-africaine.
"C'est une histoire qu'on ne raconte jamais", souligne l'économiste. "Nos États sont même nés anticonstitutionnels, ce qui explique certaines tares qu'on retrouve dans les pays d'Afrique francophone."
L'élément central de cette indépendance de façade reste le franc CFA. Initialement "Franc des Colonies Françaises d'Afrique", rebaptisé plus tard "Franc de la Communauté Financière Africaine" en Afrique de l'Ouest, cette monnaie représente selon Sylla "l'exemple le plus vivide du fait que nous ne sommes pas indépendants".
Contrairement aux autres zones monétaires coloniales (sterling, portugaise, belge) qui ont été démantelées après les indépendances, permettant aux nouveaux États de battre leur propre monnaie, la zone franc a perduré jusqu'à aujourd'hui. Les accords de coopération signés par Michel Debré avec les homologues africains stipulaient clairement : "Vous aurez l'indépendance politique, mais sans souveraineté."
Des documents historiques cités par l'économiste montrent que ce système était conçu sciemment pour préserver les intérêts français. Pierre Moussa, administrateur au ministère des Finances français, écrivait déjà dans les années 1950 que la France avait besoin de ses colonies pour "acheter des matières premières sans dépenser de dollars" et utiliser leurs surplus commerciaux pour son propre développement.
Le philosophe Raymond Aron confirmait en 1959 que "ce qui compte, c'est le maintien de la zone franc" et que les relations économiques entre la métropole et ses colonies étaient comparables à celles "entre Paris et Marseille".
Plus troublant encore, un rapport américain de 1963 commandé par John F. Kennedy qualifiait ce système de "néocolonial" et "totalement anachronique", prédisant sa disparition prochaine. Même d'anciens économistes en chef de la Banque mondiale ont reconnu en privé que "le CFA pénalise le développement économique de ces pays".
L'économiste explique le cercle vicieux entretenu par ce système : le franc CFA, surrévalué, favorise les importations plutôt que les exportations. Pour créer du CFA, ces pays doivent d'abord accumuler des devises étrangères, mais étant structurellement déficitaires en raison même de ce système monétaire, ils doivent les emprunter.
"Un pays qui ne peut pas ordonner à sa propre banque centrale de créditer le compte d'État a le statut d'une colonie ou d'une collectivité locale", rappelle Sylla, citant l'économiste britannique Win Godley.
Pour Ndongo Samba Sylla, la solution est claire : "Il est impossible de développer un pays dans le cadre du système CFA." Il préconise l'établissement de monnaies nationales souveraines, rappelant qu'"aucun État ne peut jamais manquer de sa propre monnaie" et que "tout ce qu'un pays peut faire lui-même, il peut le financer lui-même".
Cette souveraineté monétaire devrait s'accompagner d'un contrôle effectif des ressources naturelles pour financer les importations nécessaires et d'une diplomatie économique permettant des échanges dans les monnaies nationales.
"La monnaie c'est important, mais ce n'est pas suffisant", conclut-il. "Ce qui compte, c'est la planification économique, le projet social derrière. Le franc CFA a été élaboré pour l'économie coloniale. Si vous voulez une économie diversifiée, si vous voulez mobiliser votre créativité, il faut vous débarrasser du franc CFA."