LE PHILOSOPHE DERRIÈRE TRUMP
L'intellectuel influent de la contre-révolution trumpiste, expose sa théorie politique qu'il qualifie d'"aristotélicienne". Pour lui, l'administration Trump-Vance marque le retour d'une "énergie monarchique" nécessaire

(SenePlus) - Dans un entretien exclusif accordé au Grand Continent, l'intellectuel américain Curtis Yarvin, considéré comme l'un des penseurs clés de la nouvelle administration Trump, développe sa vision politique et analyse les conditions qui ont selon lui rendu possible ce qu'il qualifie de "moment monarchique" aux États-Unis.
Cet entretien fleuve, réalisé début avril 2025 dans le Quartier latin à Paris, constitue le premier volet d'une série en trois parties publiée par Le Grand Continent. Yarvin y explique notamment l'influence de ses théories auprès de l'administration Trump et particulièrement auprès de J.D. Vance, qu'il affirme "rencontrer plusieurs fois".
Lorsqu'on l'interroge sur sa théorie politique, Yarvin commence par la replacer dans une perspective historique : "Ma théorie n'est pas très différente de celle d'Aristote. La question intéressante n'est pas de savoir comment ces nouvelles théories sont devenues influentes, mais plutôt comment elles ont pu être perdues au cours des 250 dernières années."
Pour Yarvin, les trois formes classiques de gouvernement - monarchie, aristocratie et démocratie - doivent être réinterprétées dans le contexte contemporain. "Si vous voulez comprendre le triptyque 'monarchie, démocratie, oligarchie' aujourd'hui, il faut prendre le mot oligarchie et le transformer en 'méritocratie', 'société civile', 'institutions', ou 'classe professionnelle-managériale'", explique-t-il.
Dans sa vision, la monarchie représente "l'énergie qui provient d'un unique point" et constitue la seule force véritablement efficace. Il cite en exemples historiques Napoléon et Cromwell, qui n'étaient pas de lignée royale mais incarnaient cette "énergie monarchique".
L'intellectuel développe une lecture cyclique de l'histoire américaine, où le pays redevient "de fait une monarchie à peu près tous les 75 ou 80 ans". Il cite George Washington, Abraham Lincoln et Franklin D. Roosevelt comme trois incarnations historiques du "chef exécutif" présidentiel.
"La Constitution dit seulement qu'il y a trois pouvoirs - elle ne dit pas lequel est le plus fort", analyse Yarvin, qui voit dans l'administration Trump-Vance un retour à cette présidence "jupitérienne" où le président exerce pleinement son pouvoir exécutif.
Selon Yarvin, la pandémie de Covid-19 a joué un rôle déterminant dans ce qu'il perçoit comme une révolution culturelle en cours aux États-Unis. "En 2019, en Chine, quelqu'un a fait tomber un tube à essai. Et le monde entier a changé", affirme-t-il de façon provocante, faisant référence à la théorie d'une fuite de laboratoire.
"La pandémie est un moment si marquant que l'une des choses les plus remarquables pour moi à propos des élections de 2024 est que personne ne parle du Covid-19, non pas parce que c'est trop insignifiant - mais parce que c'est trop important", analyse-t-il.
Pour l'intellectuel, la crise sanitaire a mis en lumière les dysfonctionnements d'un système où "les virologues régentent la virologie", créant selon lui un conflit d'intérêts fondamental. Il développe longuement une critique de la recherche sur les coronavirus, mentionnant notamment le programme DEFUSE et accusant les chercheurs d'avoir créé le problème qu'ils prétendaient résoudre.
Yarvin situe également le moment actuel dans une perspective historique plus large concernant l'évolution de la gauche américaine. Il distingue la "Old Left" communiste des années 1930 de la "New Left" des années 1960, puis du mouvement "woke" contemporain.
Selon lui, la pandémie a inauguré "la phase terminale de la gauche", dont l'hégémonie culturelle serait devenue sa propre faiblesse. "Quand tout le monde en Ohio a un panneau Black Lives Matter sur sa pelouse - Black Lives Matter est mort", théorise-t-il.
Yarvin souligne également le rôle croissant de la Silicon Valley dans cette nouvelle configuration politique. "Il y a huit ans, Elon Musk était un centriste libéral", rappelle-t-il, suggérant une évolution idéologique majeure chez les entrepreneurs technologiques.
Pour lui, ces nouveaux acteurs forment une élite montante qui ressent "non seulement le droit de gouverner mais - comme la gauche jadis - le devoir de gouverner". Il cite spécifiquement Elon Musk comme exemple contemporain d'énergie "monarchique".
L'intellectuel conclut sur un constat qui l'étonne : l'absence de résistance significative face aux transformations en cours. "L'une des choses les plus incroyables à propos du phénomène Trump-Vance, c'est qu'il a lieu sans aucune confrontation", observe-t-il, contrastant avec les protestations massives qui avaient marqué le premier mandat de Trump.
"Plus on agit avec résolution - pas avec plus de violence, mais avec plus de résolution - plus la résistance est faible", théorise-t-il, comparant cette dynamique à celle de "bons parents" qui "sont fermes et clairs et qui savent où ils vont".
Selon Yarvin, "après la pandémie, le monde était mûr : le moment était venu pour la monarchie. Nous avions besoin d'un monarque."