SENGHOR A POSÉ LES BASES DES ALTERNANCES DÉMOCRATIQUES AU SÉNÉGAL
L'ancien président aura marqué durablement le monde francophone des idées et de la culture, ainsi que l’édification de la démocratie dans son pays. Le journaliste Ibou Fall, qui lui consacre une biographie, revient sur cet homme d’État atypique
Décédé le 20 décembre 2001, le président Léopold Sédar Senghor aura marqué durablement le monde francophone des idées et de la culture, ainsi que l’édification de la démocratie dans son pays. Le journaliste Ibou Fall, qui lui consacre une biographie, revient sur cet homme d’État atypique, qui aura renoncé de lui-même au pouvoir en cours de mandat.
Sur un continent abonné aux mandats présidentiels illimités et autres coups d’État à répétition, l’exemple que Léopold Sédar Senghor a légué reste emblématique. Le 31 décembre 1980, alors que son cinquième mandat courait jusqu’en 1983, le président sénégalais annonce sa démission après avoir exercé le pouvoir depuis l’indépendance, en avril 1960.
Son Premier ministre de l’époque, Abdou Diouf, le remplace jusqu’à la fin de son mandat. Senghor fait ses valises et rejoint la France, où il passera en Normandie – région d’où est originaire la famille de son épouse française, Colette – les vingt dernières années de sa vie. C’est là, à Verson (Calvados), qu’il s’est éteint le 20 décembre 2001, il y a tout juste vingt ans, avant d’être inhumé à Dakar, au cimetière catholique de Bel-Air.
Chantre de la négritude aux côtés, notamment, d’Aimé Césaire et de Léon-Gontran Damas, avec qui il fonda en 1935 la revue contestataire L’Étudiant noir, Léopold Sedar Senghor s’illustrera ensuite par sa francophilie assumée, à l’heure des indépendances, désireux de conserver un lien privilégié avec l’ancienne puissance coloniale plutôt que de couper franchement le cordon ombilical. Au point de déporter dans un bagne du Sénégal oriental, pendant plusieurs années, son Premier ministre Mamadou Dia, adepte d’une vision intransigeante de l’indépendance, mâtinée de socialisme, et trois autres de ses ministres.
Une posture qui lui vaut une réputation mitigée sur le continent et dans la diaspora où, du fait de son approche fort conciliante avec Paris, il écoperait sans doute aujourd’hui du surnom péjoratif de « Bounty » (Noir à l’extérieur, Blanc à l’intérieur).
Vieux briscard de la presse sénégalaise – notamment satirique -, Ibou Fall vient de consacrer un ouvrage à cet homme complexe, à la fois despote éclairé (durant les années qui ont suivi l’indépendance) et père fondateur de la démocratie sénégalaise (du parti unique au multipartisme intégral), poète enraciné dans la culture sénégalaise et africaine, mais aussi académicien français à partir de 1983, militant de la négritude et Normand d’adoption, président catholique d’un pays à 90 % musulman…
Si Senghor : sa nègre attitude (Forte impression SA, Dakar) n’élude pas les zones d’ombre du personnage, Ibou Fall se montre plutôt favorable à ce monument de l’histoire sénégalaise, à la fois culturelle et politique. Il revient pour Jeune Afrique sur la trajectoire ambivalente du président-poète.
Jeune Afrique : Êtes-vous parvenu à faire la part des choses entre Senghor l’Africain, chantre de la négritude, et Senghor le francophile, régulièrement accusé d’être demeuré le vassal de l’ancien colonisateur ?
Ibou Fall : Selon moi, Senghor avait raison quant à la démarche à adopter par rapport à la décolonisation et aux liens qu’il souhaitait maintenir avec la France. Il avait compris que nous avions des lacunes en ce qui concerne notre stature dans l’histoire et qu’une alternative se posait à nous à l’heure de la décolonisation : soit nous adoptions une posture guerrière en nous démarquant complètement de ce que la France avait pu nous apporter ; soit nous en faisions une rencontre, une forme de métissage. Senghor a choisi de retenir ce que la France avait pu apporter au Sénégal, afin d’en faire un atout plutôt qu’un handicap.