LES ANALYSTES «DIVISES»
MAINTIEN OU IMPLOSION DE BENNO SUITE AUX INVESTITURES FORTEMENT DECRIEES PAR LES ALLIES
Les investitures au sein de Benno Bokk Yakaar, qui ont suscité une levée de boucliers de la part de certains responsables ou militants de partis alliés, et même de l’Alliance pour la République (Apr), n’en finissent pas de faire couler beaucoup de salive. Cependant, les analystes politiques ne semblent pas s’accorder sur les conséquences réelles, sur le compagnonnage dans Benno, que pourrait engendrer cette attitude du chef de la coalition présidentielle, Macky Sall, qui s’est quasiment adjugé la quasi-totalité des sièges de la coalition. Dr Momar Thiam, spécialiste de la communication politique, trouve que cette démarche du Président Macky Sall est purement stratégique, visant notamment à renforcer sa base politique pour structurer son parti. Et pense que ladite coalition va voler en éclat. Cela, explique-t-il, dans la mesure où «les coalitions ne résistent pas aux ambitions personnelles». A contrario, son collègue journaliste, analyste politique, Momar Diongue, soutient le contraire. Pour lui, ladite alliance tiendra tant que les ténors comme le Président Macky Sall, le Secrétaire général du Ps, Ousmane Tanor Dieng, sans oublier le leader de l’Afp, Moustapha Niasse, resteront à la tête de la coalition. Qui plus est, révèle-t-il, «tant que Khalifa Sall constituera un danger réel pour Macky Sall» son alliance avec Tanor résistera.
DR MOMAR THIAM, SPECIALISTE DE LA COMMUNICATION POLITIQUE : « Les coalitions ne résistent pas aux ambitions personnelles »
Comment comprendre cette attitude du président de la République qui s’est taillé la part du lion dans les investitures au niveau de la liste de Benno Bokk Yakaar ?
«J’ai deux niveaux d’analyse par rapport à cela. Le premier est strictement politique, en ce sens que pour reprendre les propos d’un grand chroniqueur, en la personne de Pape Alé, que j’ai écouté ce matin, «les partis qui sont coalisés dans Benno Bokk Yakaar, ce sont des formations qui ont donné corps et âme au président de l’Apr». C’est eux qui ont donné carte blanche au premier des Sénégalais pour la confection des listes. Quand vous donnez carte blanche à quelqu’un, vous devez accepter et les avantages et les inconvénients. Si vous ne vous retrouvez pas sur la liste, vous devez vous en contenter d’autant plus qu’il s’agit d’élections législatives et un parti au pouvoir a toujours besoin de renforcer ses avantages dans l’hémicycle parlementaire.
Le second niveau d’analyse est purement stratégique. Parce que vous n’êtes pas sans savoir que l’Apr n’est pas un parti structuré. Et pour qu’un parti soit structuré, il faut qu’il ait de bonnes bases, dans les chambres parlementaires que ce soit au Sénat, qui n’existe plus, soit à l’Assemblée nationale, soit même au Haut conseil des collectivités territoriales. Pour cela, il faut mettre en avant ceux qui font vivre ce parti-là, c’est-à-dire les têtes de gondoles. Du point de vue stratégique, il n’est pas bon pour l’Apr d’investir des gens qui ne sont pas de l’Apr. Parce que l’Apr est au pouvoir, même si c’est dans le cadre d’une coalition, le président de la République est le président de l’Apr. Rappelons un tout petit peu quand Wade est arrivé au pouvoir en 2000, avec la Coalition 2000 des partis de Gauche. Dès qu’il a gagné la présidentielle, c’est Moustapha Niasse qui était élu Premier ministre. Il est donc le chef du gouvernement. Si à l’époque, Moustapha Niasse était pendant 2 ou 3 années Premier ministre, il serait légitimement en train de placer, excusez moi du mot, les membres de l’Afp au cœur du pouvoir. Qu’est-ce que Wade a fait ? Au bout de 9 mois, il l’a défénestré pour placer les têtes de gondoles, pour reprendre cette terminologie marketing, pour placer le Pds au cœur du pouvoir. C’est pour montrer que le pouvoir, c’est d’abord le pouvoir du Président de la République, parce qu’on est dans un régime présidentiel. Le président est le chef du parti au pouvoir, et donc le parti qui doit être bien représenté.
Est-ce que cela ne sonnerait pas le début de la fin du compagnonnage dans Benno Bokk Yakaar ?
Vous savez, les compagnonnages politiques sont faits en général pour exploser en vol. Regardez aujourd’hui ce qui se passe en France avec l’élection de Macron. Son premier allié, c’est François Beyrou du Modem. Aujourd’hui, il a gagné la présidentielle, il a quelque part réconforté le Modem qui était en perdition dans le paysage politique français. Avec les élections législatives, le Modem risque d’avoir aujourd’hui, plus de 60 députés. Donc, avoir un groupe parlementaire dans l’hémicycle. Cela veut dire que le Modem peut constituer une force de frappe. Qu’est-ce que François Beyrou a fait ? Il a utilisé, il l’a même dit hier, sa liberté de ton pour intervenir dans les médias, jusqu’à être recadré par le Premier ministre qui parle de solidarité gouvernementale. Il a répliqué pour dire, si j’ai quelque chose à dire, je le dirais. Donc, aujourd’hui, en France, on est en train de dire que cette coalition va voler en éclat. Ce sera la même chose au Sénégal. Pour la bonne et simple raison que les coalitions ne résistent pas aux ambitions personnelles. Vous aurez Moustapha Niasse qui ne dit point mot parce qu’il est dans l’hémicycle. Vous aurez Ousmane Tanor Dieng qui ne dit point mot parce qu’on lui a servi le fromage du Hcct. Mais, par contre leur base, qui espérait un réconfort politique dans ces investitures pour les élections législatives, ne se retrouveront pas.
Aujourd’hui, que devrait être l’attitude des alliés qui se sont donnés corps et âme au chef de l’Etat, Macky Sall ?
Je vous l’ai dit. A partir du moment qu’on donne corps et âme au chef du parti au pouvoir, vous ne ferez que subir. Vous ne serez plus des acteurs, vous n’êtes que des réceptacles de la chose politique et des décisions du chef de l’Etat. Demain, les observateurs ou même l’opinion va se dire : «mais, ces gens là ont donné corps et âme et soutiennent sans réserve». L’Afp est allé jusqu’à dire : «on soutient le président de la République pour l’élection présidentielle de 2019». Ça veut dire que l’Afp n’aura pas de candidat. Si on est capable de dire qu’on soutient le président pour 2019, mais forcément pour une élection intermédiaire comme les législatives, on a rien à dire s’il ne vous investit pas. Demain, je vous dis, la marmite va commencer à bouillir à la base. Il ne faut pas exclure qu’une partie à la base, puisse s’adonner à un vote sanction, pour faire comprendre son mécontentement.
Je trouve même que, si cela a lieu, simple scénario, ça peut être une bonne chose pour faire réfléchir davantage les états-majors politiques pour leur faire comprendre que la donne politique de l’opinion par rapport à la chose politique a changé. On ne suit pas plus un parti politique parce qu’il y a un homme devant et on est derrière cet homme. Il y a un idéal, un projet de société qui nous fait avancer. C’est autour de ce projet de société où on inscrit nos perspectives et nos ambitions politiques. C’est ça qui va être la rampe de lancement, pour faire changer la configuration des partis politiques au Sénégal et des hommes politiques qui les dirigent».
MOMAR DIONGUE JOURNALISTE ANALYSTE POLITIQUE : «Tant que ce trident, Apr, Afp et Ps, restera à la tête de Benno, il me semble que l’alliance tiendra»
Les militants de l’Alliance pour la République (Apr) sont beaucoup plus présents sur les listes d’investiture de la coalition Benno Bokk Yakaar au détriment des alliés. Comment l’analyser ?
«Il faut d’abord s’attendre à ce que ces investitures soient particulièrement difficiles, pour le président de la République, en raison du caractère très hétéroclite de la coalition. Il y a l’Apr à satisfaire, les alliés de Macky 2012, Benno Bokk Yakaar, notamment ses principales composantes Parti socialiste et Alliance des forces du progrès à satisfaire, sans oublier les alliés de la 25ième heure qui ont rejoint la coalition présidentielle et qui ne se reconnaissent ni dans Macky 2012, ni dans Benno, ni dans l’Apr et qui veulent être servis. Tout cela a rendu particulièrement compliquée la situation au président de la République.
Maintenant, on peut comprendre qu’en même temps qu’il ait servi davantage son parti que d’autres. D’abord, pour une raison bien simple, le Président Macky Sall n’a plus de responsabilité à partager au-delà de ces législatives jusqu’à la présidentielle de 2019. L’Assemblée va être constituée et c’est pour cette raison que beaucoup d’apéristes jouent leur va-tout et se disent que s’ils n’ont pas de responsabilités à l’occasion de ces législatives, c’est clair qu’ils n’en n’aura pas d’ici la présidentielle. Parce que, le Hcct a été mis en place avec 150 membres, le Cese l’a été aussi avec 150 places. On a vu également que tous les postes de Direction générale, de président de conseil d’administration, ont été distribués à des militants apéristes et à des alliés. Comme l’a dit le président de la République, à l’intention des syndicalistes, tout le monde ne peut pas avoir une part au gâteau que l’on partage. Donc, vous voyez un peu qu’il y a des gens qui jouent leur va-tout. Qui se disent que voici la dernière occasion qui le reste, s’ils veulent se retrouver avec des responsabilités ou un titre sous le régime de Macky Sall. Beaucoup de responsables apéristes jouent leur va-tout et mettent la pression sur le Président Macky Sall.
Mais, si l’Apr s’adjuge la quasi-totalité des postes de député, ne va-t-on pas droit vers l’implosion de la coalition Benno Bokk Yakaar ?
Non, je ne le crois pas pour deux raisons. C’est-à-dire que dans Benno, il faut reconnaître qu’il y a trois composantes, tout le reste fait quasiment de la figuration. Il y a principalement l’Apr, le Ps, l’Afp. Tant que ce trident restera à la tête de Benno, il me semble que l’alliance tiendra. Or, aujourd’hui, l’Alliance tient entre Tanor et Macky Sall, tout simplement, à cause de la rivalité qu’il y a entre Khalifa Sall et Macky Sall. C’est-à-dire, tant que Khalifa Sall constituera un danger réel pour Macky Sall, tant qu’il se positionnera comme un challenger redoutable pour Macky Sall, tant que Macky Sall se rendra compte qu’il y a des pans entiers du Ps qui pourraient se retrouver derrière Khalifa Sall, son alliance avec Tanor tiendra. Et, c’est pour cette raison qu’il n’a pas hésité à consolider cette alliance avec Tanor, qui était jusque là un singleton quasiment, il lui a donné une responsabilité et il lui a élevé au grade de président d’une Institution, le Hcct. Donc, je crois qu’il l’a fait tout simplement pour consolider l’alliance qu’il y a entre lui et le Ps parce que Khalifa Sall constitue une menace. De la même manière qu’on s’est rendu compte dans le partage des sièges au niveau de la future Assemblée, il a accordé une très grande part au Ps contrairement à l’Afp. Il l’a fait tout simplement dans le souci d’affaiblir Khalifa Sall et son camp. Il s’est rendu compte que, plus il donnera des postes à Tanor et à sa tendance, plus il affaiblira Khalifa Sall. Donc, c’est la même logique qui a prévalu. Tant que Khalifa Sall constituera un danger pour Macky Sall, Macky tiendra absolument à son alliance avec Ousmane Tanor Dieng. Il fera tout pour que cette alliance tienne.
Pour ce qui est maintenant de l’Afp, là aussi je ne crois pas que, malgré les cris de protestation de certains progressistes, qui estiment qu’on leur a donné la portion congrue, l’alliance va casser pour autant. Parce que tout simplement, là aussi Macky Sall tant qu’il donnera à Moustapha Niasse la possibilité d’être au perchoir de l’Assemblée nationale, l’alliance tiendra. C’est une question d’honneur pour Moustapha Niasse. C’est une question de prestige, surtout dans la rivalité qui l’a toujours opposé au Ps, et notamment à Tanor, de pouvoir être aussi élevé au rang de président d’une Institution, et surtout de deuxième personnalité de l’Etat.
Aujourd’hui, quelles peuvent être les menaces qui peuvent planer sur cette alliance de Benno au sortir des législatives ?
Moi, je pense que la seule menace qui peut planer sur cette coalition Benno, c’est le réveil de la vieille rivalité entre socio-démocrates. C’est-à-dire tous ceux qui sont sortis du Parti socialiste originel, en l’occurrence Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, et Djibo Leyti Ka. Ces personnes là qui ont été pouponnés au Ps, qui ont fait leurs armes et leurs places, à un moment donné ont été opposées par une forte rivalité. Ce qui a conduit d’ailleurs à la chute du Ps du pouvoir quand Moustapha Niasse et Djibo se sont retirés du parti. Cette vieille rivalité pourrait resurgir au sein de la coalition Benno. Macky Sall avait réussi, jusque-là, et même Djibo Leyti Ka avait dit que c’était ça la prouesse de Macky Sall d’avoir réussi à garder des ténors de la trempe de Moustapha Niasse, de Tanor et de lui-même dans la même alliance sans que rien ne bouge et que tout se fasse en harmonie. Maintenant, c’est cette harmonie qui risque d’être menacée avec les frustrations nées des investitures. Parce que figurez-vous, même si Moustapha Niasse sera Président de l’Assemblée, il pourrait se retrouver avec seulement 6 députés, contre 20 du Ps. Est-ce que vous pensez que Moustapha Niasse, même s’il voudra tenir à son honneur de président de l’Assemblée nationale que tous les progressistes vont se ranger derrière ça ? Je pense que cette frustration là sera très difficile à surmonter. Voyez aussi le cas de Djibo Leyti Ka de l’Urd, qui pourrait se retrouver avec zéro député, alors que dans toute l’histoire de ce parti-là, ça n’a jamais été le cas. Vous voyez donc que la part belle qui a été faite au Ps, avec une vingtaine de députés possible, parce que Macky Sall a un point de mire tout simplement la guerre avec Khalifa Sall et voudrait renforcer le Ps parmi ses alliés, vue la partie congrue qui sera réservée à l’Afp, que 6 députés, et le zéro pointé de l’Urd. Ecoutez les gens pourraient commencer maintenant à se regarder en chiens faïence entre ces trois composantes de Benno et qui sont originaire du Ps, en l’occurrence l’Urd, l’Afp, le Ps. C’est la seule menace que je vois planer sur la coalition Benno Bokk Yakaar.