LES FEMMES COMME LES HOMMES !
TAXI-SISTERS, POLICIÈRES, MÉCANICIENNES, MENUISIÈRES...

La division sociale des tâches a pris un sacré coup avec l’incursion progressive des femmes dans des métiers jadis exercés par les hommes. Taxis-sisters, policières, mécaniciennes, menuisières, font leur apparition dans une société sénégalaise phallocratique.
27 ans, mariée, Saly Sarr exerce le métier de policière depuis six ans. Cette jeune dame au teint noir et aux rondeurs remarquables, est une ancienne handballeuse. Saly a choisi ce métier « d’hommes » pour aider sa famille, nous dit-elle, même si cela a toujours été son rêve. « J’ai grandi dans une famille policière et, toute petite, j’admirais les hommes en tenue », lance-t-elle. Et de poursuivre : « j’étais avant tout une sportive. Tout ce que je faisais sans effort physique ne me plaisait pas. J’adorais sentir que je suis apte physiquement. Cette aptitude naturelle m’a grandement facilité la tâche ».
Grâce à son endurance aux épreuves physiques, Saly n’a pas rencontré de difficultés au concours de la police. Elle réussit les tests aux 100 et 6OO mètres, avec une aisance déconcertante. Titulaire d’un baccalauréat série L1, elle a fait montre de ses aptitudes aux examens écrits. Aujourd’hui, cette jeune femme fait partie de la petite cinquantaine choisie sur plus de 2.000 candidates : « Quand j’ai réussi l’épreuve physique, je me suis dit : pourquoi pas celle orale ? ». Deux mois d’attente, Ouf ! Les résultats définitifs tombent, elle est admise. « C’était le plus beau jour de ma vie », confiet- elle.
Cinq mois après, la jeune femme intègre l’Ecole nationale de police. Elle y subit pratiquement deux années de formation physique, avec un apprentissage aux disciplines militaires : « le plus difficile était la privation de liberté et les problèmes d’adaptation. Il fallait aussi se départir de certaines habitudes de civile, comme la coquetterie. On était tout le temps en équipement, ou tout simplement en tenue ». Elle ajoute : « On était bien forgées. J’ai subi une sévère formation durant 6 mois. Ce qui m’a le plus marquée, c’est l’entente entre camarades de promotion, le sens du partage, l’esprit de d’équipe. Surtout le partage ». Maniement des armes, protection des Vip, garde rapprochée, tir au pistolet automatique, figurent parmi les aptitudes qu’elle a acquises lors de sa rude formation.
Cependant, le métier de femme policière n’est pas encore bien vu dans une société sénégalaise, engluée dans une tradition où la femme n’est bonne qu’à accomplir les travaux ménagers. Elles sont victimes de mépris, d’une part ou d’admiration, d’autre part. La policière dit avoir la capacité de faire face à toutes sortes de situations. « On s’efforce de gérer », assure-t-elle. Et d’ajouter : « certains nous disent : Madame, tu es belle dans la tenue ; tandis que d’autres nous regardent d’un air méprisant ».
De son avis, la femme est toujours sous-estimée dans notre société phallocrate. Assignée qu’elle est à des tâches inférieures. Dans son métier, Saly se souvient de quelques mésaventures qui lui rappellent sans cesse son appartenance au sexe dit faible. « Un jour on procédait à une rafle, un homme en moto qui n’avait pas de permis m’a manqué de respect, tout simplement parce que je suis femme. Il m’a dit qu’il ne me donnerait, sous aucun prétexte, son permis même sil l’avait. ‘’Mane djiguéne douma yapp’’ ! (NDRL : une femme ne prend pas l’ascendant sur moi) », raconte-t-elle. La policière confie que ce genre de situation est très fréquent dans leur métier.
« Les gens n’arrivent toujours pas à nous accepter. Quelquefois on fait signe à une voiture de s’arrêter et le chauffeur nous dépasse à vive allure, sans s’arrêter. Et c’est simplement parce qu’on est femme », se plaint-elle. Elle estime : « c’est la tenue qui les dérange, je crois. Mais on ne peut pas faire l’unanimité ». D’autre part, une femme policière n’est pas très accessible. Beaucoup d’admirateurs se résignent, de peur d’une réaction violente.
Saly, quant à elle, a la chance d’avoir épousé un collègue. De ce fait, son travail affecte peu son ménage : « il est policier lui aussi, Il y a une compréhension mutuelle entre nous. Parfois même, c’est lui qui vient me prendre après le travail ou me dépose à l’aube », dit la femme de tenue. Elle ajoute : mais il y a beaucoup de contraintes qui influent forcément sur mon couple. En garde rapprochée, on peut passer une semaine dans un hôtel avec une autorité, loin de sa famille. Si le mari est jaloux, il y a forcément problème ». Il s’y ajoute qu’une épouse policière n’a pas de temps pour la cuisine, ni pour les autres cajoleries qu’un homme attend de son épouse. « Je regrette de ne pouvoir déjeuner avec mon homme tous les jours.
Du lundi au vendredi, je suis au boulot. C’est la gouvernante qui s’occupe de tout. Si mon mari souligne un repas mal fait, c’est en réalité mon travail qu’il critique ». Pour sauver son couple, Saly fournit de grands efforts pour lui faire plaisir. « Après le service, malgré la fatigue et le sommeil, j’essaie de tenir le coup, lui prépare son plat préféré et, parée, je le lui sers en vraie femme, avec de hauts talons, à l’image de la coquetterie sénégalaise ». Elle poursuit : « mes collègues qui ont des enfants font aussi des efforts surhumains pour s’en sortir. 24 heures sans voir son nourrisson, ou le trouver endormi à la descente, c’est à la limite infernal ».
Toutefois, notre femme policière assure avoir la capacité de concilier ménage et travail malgré les nombreuses contraintes. Le métier de policier, elle l’a choisi par amour et se dit prête à affronter coutumes et us pour l’exercer. « Si c’était à refaire, je choisirais encore ce travail, je n’éprouve aucun regret », affirme-t-elle. AMINATA, LA MéCANICIENNE Autre femme qui exerce un travail requérant force, Aminata Mané. La trentaine, voilée, teint noir, elle exerce le métier de mécanicienne depuis 2008.
MÉCANICIENNE
Trouvée à « Femme auto », dans le quartier de liberté 6, Aminata est en pleine besogne au milieu d’une vingtaine de voitures en panne. Sa tenue noircie de taches d’huile ou de graisse ne dissout guère sa féminité. La mécanicienne n’a rien d’un garçon manqué, comme on aurait pu l’imaginer. Un maquillage discret orne son visage ovale entouré d’un voile noir. Son penchant pour ce métier provient de son plaisir à fréquenter les garages depuis qu’elle est toute petite : « Ce métier m’a tout de suite plu quant j’ai commencé à côtoyer des amis mécaniciens ; et, avec l’influence de ma mère et mon style de sportive, je l’ai choisi », déclare-t-elle. Après un stage de 6 mois dans un garage de rue où elle a bien appris la mécanique, Aminata a enfin rejoint « Femme auto ». Elle a la capacité de détecter toute panne de voiture après un diagnostic, avant de faire le devis.
Et après, commence le changement de pièces. La jeune femme arrive au garage tous les jours à 8 h 30 et ne rentre chez elle qu’à 18 h. « Je passe la journée ici », déclare-t-elle. Seules quelques rares femmes font le métier de mécanicienne. Aminata s’y plaît et dit avoir la capacité d’effectuer ce travail. « La mécanique n’est pas simplement un travail de force, cela fait aussi appel à l’intelligence. Avec de la concentration et un bon travail collectif, on s’en sort ».
En plus de son dur labeur, Aminata est aussi accablée par les travaux domestiques. N’ayant que des frères, elle aide sa maman à la maison. Comme autres activités, la mécanicienne assure les travaux ménagers. « Tôt le matin, je fais le ménage chez moi, lave la vaisselle, avant d’affronter le long trajet qui mène à mon lieu de travail », confie-t-elle.
En effet, la mécanicienne habite à Sips, sur la route de Rufisque. Elle descend généralement de travail vers 18 heures pour regagner la demeure familiale vers 21 heures. « Ma famille prend toujours la peine de m’attendre pour le dîner », dit-elle. Et de regretter : « si j’ai un dépannage qui me retarde davantage, je me sens mal à l’aise, bien que je les appelle pour prévenir ». A l’image de Saly la policière, son métier est également mal vu par la société. « Un jour, une cliente nous a lancé des propos très racistes. Elle a avoué son manque de confiance en la femme mécanicienne.
Mais, c’est la pub de l’entreprise qui l’a trompée. Or, sa voiture avait une panne différente de celle signalée. Enervée, elle nous a traitées de tous les noms d’oiseaux. Cette attitude venant d’une femme, on n’en revient toujours pas », déplore-t-elle. Malgré son métier, Aminata est très coquette et prend toujours soin d’elle. « Ce matin même, je suis venue en tenue traditionnelle, mon uniforme de travail bien rangé dans le sac. Etre mécanicienne ne m’empêche pas de me parer comme une reine ».
TAXI-SISTERS
Une jeune femme au volant d’un taxi. La scène était insolite. Au début, les passants, interloqués, se tordaient de rire à la vue de cette mutation se déroulant sous leurs yeux. Normal dans un pays où le métier de chauffeur de taxi était jadis exclusivement réservé aux hommes. Au fil des années, les Sénégalais se sont habitués à ce changement, qui fait désormais partie intégrante du décor.
C’est en septembre 2007 que le visage du secteur des transports urbains a connu une évolution profonde, avec l’arrivée des Taxi-sisters. Introduite par le président Wade, à travers un projet d’entreprenariat féminin, cette initiative a pour but de permettre à 2000 femmes de devenir chauffeurs de taxi. Ce projet est né de la collaboration du Ministère de la Femme, de la Famille, du Développement familial et de l’Entreprenariat féminin, dirigé à l’époque par Aïda Mbodj, et de l’entreprise privée « Espace auto » du groupe Ccbm. « Nous avions prévu un programme de deux volets.
Au début, nous avons attribué dix véhicules. Certaines avaient des permis de conduire, d’autres qui n’en avaient pas ont été formées à la conduite. Au second programme, « Espace auto » a donné 35 voitures. L’objectif est de leur trouver de l’emploi et favoriser l’insertion des femmes dans le tissu socio-économique. Elles payent seulement la redevance journalière et non l’entretien des véhicules », précise Malang Faty, chargé du programme. Ces taxi-sisters étaient nombreuses.
Aujourd’hui, il n’en reste que cinq à sillonner les rues de Dakar. Elles sont rarement aperçues dans les artères de la capitale. « Beaucoup sont parties à l’étranger. C’est pourquoi on les voit rarement dans la circulation », justifie M. Faty.
Dans cette aventure, certains n’ont pas l’esprit tranquille, pour des raisons de sécurité. « D’un côté, il est bon de le souligner, du fait qu’on parle de parité celle-ci doit se prouver dans tous les domaines d’activité. Elles ont des besoins comme les hommes. Elles veulent avoir du travail pour subvenir à leurs besoins, nourrir leurs familles et éviter de toujours tendre la main », soutient Ousmane Sow, étudiant en troisième année de droit. Mais il n’en demeure pas moins inquiet pour la sécurité de ces dames exposées à des risques importants. Leurs collègues mâles font souvent les frais de leur hardiesse. A fortiori elles. « Je crains pour leur sécurité, à cause des risques d’agression. Les bandits s’attaquent couramment aux chauffeurs de taxi pour les dépouiller de leurs biens.
On entend souvent des cas de taximen sauvagement agressés. Mais, n’empêche, il faut les encourager et augmenter le nombre, parce qu’on les voit très rarement dans la circulation, elles ne sont pas nombreuses », estime-t-il. Pour d’autres, l’incursion des femmes dans le secteur des taxis ne doit pas être approuvée. Pour le vigile Bidji Bâ, ce métier exigeant n’est pas fait pour les femmes. « C’est un métier qui ne doit pas être exercé par les femmes. Car, il y a trop de peines à endurer et des risques liés à l’insécurité qui sévit actuellement partout dans la capitale. Même les hommes rencontrent des difficultés. Elles doivent trouver d’autres jobs. Elles ne sont pas censées savoir si le client qui monte dans leur véhicule est de bonne foi.
Et, à chaque fois qu’il y a un accident dans la circulation, on constate que les femmes au volant manquent de courage et de sérénité. Elles prennent facilement peur ! », argumente-t-il. Contrairement à M. Bâ, le garagiste Momar Ndiaye trouve l’expérience des Taxi-sisters palpitante. « Dans tous les métiers, il y a des hommes et des femmes qui s’y activent. Par exemple, dans les banques, marchés, hôpitaux, écoles… Il n’y a pas de mal à ce que la femme veuille travailler à bord d’un taxi ou d’un camion. Elles doivent s’affirmer, comme en Europe où l’on voit des conductrices de camions et de bus.
Pourquoi pas dans le milieu du transport ? », s’interroge-t-il. Et de poursuivre : « il y a des risques partout. Je leur conseille seulement de travailler du matin au soir - du fait que la plupart des agressions faites aux taximen se produisent la nuit - et de ne pas prendre les clients qui ont beaucoup de bagages. Comme je le fais moi-même ». Toujours dans la même lancée, Momar soutient que si sa fille souhaite être Taxi-sister, il l’encouragera à embrasser ce métier. « Le seul souci que l’on ne peut maîtriser est lié au chantage des hommes.
Un homme peut payer beaucoup pour les draguer, mais ça ne peut pas les empêcher d’être des femmes de bonnes moeurs ». Certains éprouvent des sentiments de compassion envers elles. C’est le cas de Bounama Sall. « C’est très facile d’avoir une confrontation avec les hommes. Mais avec les filles, tel n’est pas le cas. Si j’ai beaucoup de bagages, je ne les prends pas parce que je n’aime pas les fatiguer », dit-il. La conciliation du métier de chauffeur et des tâches ménagères est une entreprise difficile.
C’est le cas de Ousmane Sow, qui préconise le sens de l’organisation pour se tirer d’affaire. « Même si elles sont mariées, cela ne doit pas les empêcher de devenir des chauffeurs de taxi. Il y a beaucoup de femmes mariées qui travaillent dans les bureaux. Elles peuvent s’organiser de telle sorte qu’il n’y ait pas de problèmes dans leurs ménages. Je veux seulement qu’elles arrêtent leur job avant la nuit, pour aller s’occuper de leurs hommes ».
L’EMANCIPATION DANS LA SÉCURITÉ
Un autre métier étant jusque-là sous le monopole des hommes et qui voit aujourd’hui la présence des femmes, est le domaine de la sécurité. Devant une école de formation se trouve Ndèye Ndiaye, une jeune concierge libérée de l’armée et âgée d’une trentaine d’années. « J’exerce ce métier depuis presque deux ans. J’étais au chômage. C’est pourquoi j’ai intégré l’armée pour aider mes parents. Depuis que j’ai quitté le service militaire, je m’y suis engagée pour être indépendante. Je suis chargée de m’assurer que les étudiants ont bien porté leurs uniformes et bien noué leurs cravates », explique N. Ndiaye, célibataire sans enfant.
Interrogée sur la perception que les gens ont de son activité, elle livre ses secrets : « C’est difficilement acceptable pour certains. Mais c’est à nous de changer les mentalités, d’améliorer la condition et la perception de l’emploi féminin. Je discute avec des étudiants, qui m’encouragent. Ils saluent ce que je fais, car ils disent que je pouvais me livrer à la facilité en m’introduisant dans un métier très déplorable. D’autres me souhaitent un autre travail », avoue Ndèye Ndiaye. En dépit du fait que toutes les réactions ne sont pas encourageantes, Ndèye a toujours le goût de son métier qu’elle exerce avec enthousiasme. « Certaines critiquent, d’autres fustigent sans réserve, mais il y en a des gens qui nous encouragent ».