L'UNIVERS DES PREMIÈRES DAMES D'AFRIQUE
L'épouse du président ne doit pas se limiter au rôle de personnage médiatique, depostiche, dont le mari bénéficie du capital sympathie engendré par ses parures originales et par sa beauté, supposée
Le sujet d’aujourd’hui est tout aussi sérieux que ceux que nous avons précédemment abordés sur ce forum, même si nous ne vous parlerons pas de santé cette fois-ci. Nous vous parlerons néanmoins de genre, une question non moins importante, et de l’avenir de notre cher continent. Rien de moins ! Pour une fois, ce sont nos Premières dames et non les Présidents qui sont à l’honneur. Vous l’avez compris, aujourd’hui nous nous proposons d’écrire une chronique sur le rôle des Premières dames en Afrique.
L’épouse d’un Président Africain doit-elle se contenter d’être une conseillère avisée, discrète et efficace ? Doit-elle s’investir en priorité dans les activités caritatives (et représenter la société civile), vêtue de robes sobres et élégantes ? Doit-elle plutôt occuper les devants de la scène, prendre les rênes du pouvoir et se transformer ainsi en ‘super vice-président’ avec force folklore ? Doit-elle se contenter de faire briller son Président de mari au cours de toutes les rencontres officielles par son audace esthétique? A ce sujet, chacune a son style.
Il serait utile de nous intéresser à ce qu’il en est de par le monde. Si, aux Etats-Unis, les Premières dames sont plutôt occupées à défendre une cause, il arrive que certaines soient très écoutées par leurs maris. Michelle Obama par exemple a défendu la cause de la lutte contre l’obésité, problème majeur de santé dans son pays, et a également participé de façon prépondérante à l’élection de Barack Obama au poste de Président de la République. La France, quant à elle, est actuellement sans Première dame, constat étonnant pour l’opinion publique Africaine.
Cela nous ramène à cette question importante et existentielle : qu’attendent les Africains de leurs premières dames ?
Même si la position de Première dame ne comporte aucune tâche officielle et ne comprend-officiellement- aucun salaire, les épouses des Présidents ont une position visible en Afrique.
En dehors de l’attribution qui consiste à paraître aux côtés de son époux lors de ses multiples déplacements, la Première dame africaine doit aussi jouer de multiples fonctions que nous tenterons de définir dans notre réflexion.
Quel intérêt de l’opinion publique Africaine pour les Premières dames ?
Si les Premières dames en Afrique évoluent vers la possession d’un bureau au palais présidentiel, elles n’en restent pas moins pour la plupart, enfermées dans leurs rôles traditionnels. De ce fait, il est coutume d’entendre que l’opinion publique africaine ne s’intéresse qu’à la toilette -parfois pleine de folklore- des Premières dames. Force est de constater néanmoins que de plus en plus, d’autres éléments décisifs entrent en première ligne dans le capital sympathie d’une épouse de chef d’Etat sur notre continent. Parmi ces facteurs, les actions caritatives occupent une place importante. Par ailleurs, la formation académique et le niveau d’instruction tendent à revêtir une importance certaine.
Parmi les activités caritatives, les Premières dames ont pour coutume d’être présentes sur le front de la santé, mais aussi de l’action sociale (projets et programmes en faveur des handicapés, des plus démunis, des victimes de guerre par exemple) et de l’éducation (programmes de scolarisation des filles, campagnes d’alphabétisation, etc.). N’oublions pas que la générosité sur le plan social de la Première dame est aussi bénéfique pour le Président…
Ainsi, parmi les dix Premières dames d’Afrique les plus instruites, figure la Docteure Lalla Malika Issoufou, épouse du Président du Niger et médecin, qui s’intéresse beaucoup aux questions de santé publique et de violence domestique dans son pays. Ensuite, viennent Grace Mugabe du Zimbabwe, titulaire d’un Doctorat en philosophie et la Première dame de la République du Nigéria, Aisha Buhari, titulaire d’un Bachelor en art et en administration publique et aussi d’un Master en affaires internationales et stratégie.
Quant à Dominique Ouattara, Première dame de Côte d’Ivoire, Présidente de la fondation Children of Africa, elle s’est illustrée par de nombreuses actions caritatives dans le domaine de la santé, de l’éducation des filles et de la lutte contre la traite des enfants. Forte de sa formation qualifiante en administration de biens et en expertise de l’immobilier en France, entre autres, Madame Dominique Ouattara est par ailleurs un chef d’entreprise avisé. Elle fut primée meilleure femme d’affaire de l’année 2000 au niveau mondial.
Henriette Konan Bédié a aussi longtemps œuvré pour sa fondation Servir en faveur des personnes en difficultés, des malades des reins notamment, pour laquelle elle a sillonné la Côte d’Ivoire de long en large ; elle était appréciée pour sa nature spontanée et son côté « proche du peuple ».
Simone Gbagbo, elle, était une syndicaliste, une femme politique au sens plein du terme, doublée d’une intellectuelle, et elle bénéficiait de l’admiration de son époux pour son militantisme chevronné. Qu’on adhère ou pas aux idées de ce couple présidentiel, l’on doit reconnaître que Simone Gbagbo a révolutionné la fonction de Première dame en Côte d’Ivoire, même si certains diront que cela s’est fait au détriment de la loi…
Cependant, l’histoire de l’Afrique est aussi faite de Premières dames non instruites, qui n’en ont pas moins été braves par leurs actions aux côtés de leurs Présidents de maris. N’oublions pas que les Premières dames peuvent jouer, entre autres, le rôle de diplomates de par les relations qu’elles entretiennent avec leurs collègues, en marge des rencontres, des sommets.
Ces différents rôles suffisent-ils cependant à satisfaire l’opinion publique africaine ?
Faire évoluer le statut…
Comment donner plus de place à la femme du Président d’une République africaine sans-trop- sortir du rôle que nos sociétés traditionnelles lui reconnaissent, afin que cette place soit pleinement reconnue? Il faut effectivement éviter d’outrepasser les limites de la loi au niveau des rôles et fonctions de l’épouse du chef de l’Etat. Il est important de tenir compte des nouvelles donnes, dont la personnalisation du pouvoir, le capitalisme mondialisé et les dérégulations des appareils des Etats, sans toutefois percuter nos repères sociaux et moraux, ce qui nous ferait perdre notre identité-et notre dignité.
En effet, il est encore de règle, dans nos républiques du vingt et unième siècle, que la Première dame joue le rôle qui lui était dévolu dans les sociétés traditionnelles: une conseillère avisée et écoutée, à condition qu’elle reste discrète. L’exemple de femmes de pouvoir restées néanmoins dans l’ombre est régulièrement cité dans notre histoire ; il s’agit de compagnes consolidant leur pouvoir par la ruse et la diplomatie, dans les échanges privilégiés qu’elles ont avec les Présidents, qui se trouvent être par ailleurs leurs maris.
L’épouse du Président Houphouët Boigny savait très bien être médiatrice par exemple entre les femmes d’Ivoiriens au chômage et le Président dans le but de l’obtention d’emploi par ceux-ci. Qui ne connait pas les longues files d’attentes pour accéder à une audience avec la Première dame d’un pays Africain ? Ce personnage de la République qu’est l’épouse du Président devient donc dans ce schéma « celle qui chuchote à l’oreille du Président ».
Peut-on attendre une place-et un rôle- différents pour la Première dame en Afrique ? En effet, loin des fantasmes des harems où la femme n’était choisie que pour assouvir les désirs les plus enfouis du chef, ce dans l’anonymat le plus total, l’épouse du chef de l’Etat peut jouer un rôle important pour la nation, sans excès au regard de la loi. Il est important de relever que la « complicité intellectuelle et politique » d’un couple présidentiel apparaît de plus en plus acceptable pour l’opinion publique Africaine.
Cependant, quand une Première dame se positionne comme un « adjoint », de façon fort visible, au chef de l’Etat, cela suscite une problématique. Cette attitude remet en cause le positionnement que la société tout entière délègue à la femme dans son couple et la manière dont ce positionnement est perçu quand il est ainsi transféré dans la gestion de l’Etat, dans nos sociétés machistes. Lorsque la Première dame devient omniprésente par sa participation aux plus grandes décisions politiques, cela entraine bien souvent la réprobation de l’opinion publique –et l’agacement des autres personnages de l’Etat. En effet, il s’observe dans ce cas de figure une confusion quant aux attributions de chacun.
En guise de proposition, les Premières dames peuvent jouer un rôle plus politique à travers la promotion des droits de la femme, à l’instar de l’ex Première dame du Ghana Nana Konadou Agyeman Rawlings. Elles peuvent aussi jouer un rôle de premier plan pour l’élection-et la gestion des affaires- de leurs maris à l’instar de la First lady Américaine. Elles peuvent également apporter un réseau féminin à leurs maris.
Ainsi, il serait souhaitable que le rôle des Premières dames ne se limite plus à « l’inauguration des pouponnières », qu’il évolue, sans toutefois basculer vers un bicéphalisme à la tête de l’Etat, car c’est bien le Président qui est élu, et non son épouse. Trouver le bon équilibre…
En résumé, la Première dame ne doit pas se limiter au rôle de personnage médiatique, depostiche, dont le mari bénéficie du capital sympathie engendré par ses parures originales et par sa beauté, supposée. En tant que femme, cet acteur majeur de la scène politique nationale gagnerait à voir évoluer ses « domaines de compétence » et à mettre à profit ses potentialités (intellectuelles et politiques entre autres) ainsi que ses réseaux, dans la gouvernance. Tel a déjà été le cas de plusieurs Premières dames dont Patience Goodluck Jonathan, ex Première dame du Nigéria et Présidente de la mission de paix des Premières dames d’alors, qui a soutenu l’UIT dans la lutte contre la cybercriminalité au Nigéria. S’investir pour une cause humanitaire est tout aussi noble et cette attribution, à notre sens, ne devrait pas être abandonnée, quand on sait les réseaux, la capacité de conviction et les moyens dont disposent nos Premières dames.
Nous ne vous parlerons pas aujourd’hui de l’audace esthétique de certaines Premières dames, malgré notre titre, au risque de voir cette contribution classée parmi les ‘papiers’ de presse people. Une autre fois peut-être, si nous avons le cœur à parler de légèretés. Ce sujet sérieux qu’est le rôle que nos Premières dames peuvent jouer pour l’avenir du continent mérite donc la mobilisation de toute notre capacité d’analyse, afin d’énoncer des propositions concrètes et efficaces. Quand on sait l’importance que nos sociétés attribuent à ‘la femme du chef’, on ne peut tomber dans la tentation de décrire ce qui pourrait être une satire, au vu du burlesque de certaines situations…non. Nous nous limiterons à affirmer que le rôle d’une Première dame à savoir celui d’être le soutien psychologique et le conseiller du chef de l’Etat, peut être rehaussé par d’autres fonctions majeures telles que l’engagement pour une grande cause, l’action diplomatique-même si cette action n’est pas officielle- comme cela est déjà observé concernant un certain nombre de Premières Dames. L’épouse du Chef de l’Etat peut aussi être un soutien politique de façon plus marquée pour ce dernier. Ceci, dans le respect de la loi cependant. Ainsi, dans ce schéma, elle ne se limitera pas à un rôle de « postiche apprêtée » dans lequel certaines ont été longtemps cantonnées dans nos jeunes ‘démocraties’. Ne dit-on pas en effet que la femme est la ceinture qui tient le pantalon de l’homme ?