LE CUAD IMMORTALISE UN PATRIMOINE MENACÉ DU FOUTA
Présentation «Matam : constructions en terre, un patrimoine intemporel»
Dans la moyenne vallée du Sénégal, la terre argileuse sert de terreau pour l’édification de demeures à l’épreuve des conditions climatiques extrêmes.
Ces constructions traditionnelles qui ont longtemps défié le temps, disparaissent aujourd’hui petit à petit, laissant la place au ciment. Le Collège universitaire d’architecture de Dakar (Cuad), qui célèbre cette année ses 10 ans, est allé à la rencontre de ces constructions pour préserver cette technique ancienne. Les résultats de ces travaux ont été publiés sous la forme d’un livre d’art intitulé : «Matam : constructions en terre, un patrimoine intemporel.»
C’est une vieille maison traditionnelle en plein cœur du quartier des pêcheurs à Matam. La maison des Diom comme on l’appelle, surplombe les berges du fleuve depuis 89 ans années maintenant. Cette maison est une des dernières maisons à présenter l’architecture typique de cette région du fleuve.
Construite en terre, elle servait de fort pour prévenir les habitants des razzias des guerriers maures venus de l’autre rive du fleuve, confie un des descendants du Diom, Saydou Ba. En d’autres moments, elle était le palais où siégeait le chef et où se tenaient les assemblées coutumières durant la période pré-indépendance.
Aujourd’hui, ces maisons traditionnelles disparaissent les unes après les autres. L’architecte Mamadou Jean Charles Tall , président du Conseil d’administration du Collège d’architecture de Dakar (Cuad), explique qu’elles ne sont plus qu’au nombre de 13.
Et entre le moment où le Cuad a consacré une recherche à ce sujet et aujourd’hui, deux maisons sont déjà tombées. C’est cette situation qui prévaut dans la région de la moyenne vallée du fleuve Sénégal où petit à petit, ces constructions en terre, laissent la place au béton.
Perçues comme un signe de pauvreté par certains, les maisons en terre disparaissent les unes après les autres. Pourtant, si elles ont bravé le cours du temps, c’est parce que l’argile qui est la matière première de ces maisons, présente des qualités thermiques exceptionnelles qui en font un matériau de construction très adapté aux fortes chaleurs de cette région de la bande sahélienne.
Régulateurs thermiques par excellence, ces maisons conservent une température fraîche en saison chaude et distillent de la chaleur en période froide. Comment expliquer alors le désamour dont elles font l’objet aujourd’hui. Pour l’architecte et enseignante du Cuad, Annie Jouga, il y a avant tout une barrière psychologique. «Ça fait 40 ans que je suis architecte.
J’ai essayé de faire en sorte qu’on construise en terre et quand je me suis adressée à des populations comme en Casamance ou ailleurs au Sénégal où on construit traditionnellement en terre, les gens me disent : «Pourquoi moi je vais construire comme mon grand-père ou mon arrière-grand-père ?» Cela veut dire que psychologiquement, il y a une barrière.» Pour le professeur de philosophie et écrivain, Abdoulaye Elimane Kane, ces maisons en terre sont un patrimoine immatériel parce que représentant plus que des murs et un toit.
Le Pr Kane, qui a produit des textes pour ce livre, témoigne de la beauté de ce style architectural qu’il a découvert à l’âge de 12 ans aux côtés de son père. «Ces bâtiments qui donnent l’impression, quand on les regarde, d’être du bricolage, répondent à des normes que les populations connaissent et savent respecter. Ce livre va permettre aux architectes et au public de savoir que la terre, les matériaux locaux recèlent des qualités extraordinaires pour réaliser des bâtiments de la vie moderne. Ce ne sont pas seulement des bâtiments tournés vers le passé.
La tradition peut servir à innover, à créer une manière d’habiter le monde de façon moderne», constate le patriarche.
Il y a des siècles, des monuments importants étaient sortis de terre. Dans la boucle du Niger, les cités historiques de Djenné, Gao, Tombouctou ou Mopti renferment des patrimoines inestimables, des bâtiments en terre qui continuent de défier le temps. «Il y a quelque chose à faire pour préserver notre culture», constate Jean Charles Tall. Avec Cheikh Hamidou Kane et Abdoulaye Elimane Kane comme préfaciers, le livre contribue à immortaliser un patrimoine menacé.