À QUI REVIENT LA PLACE DE CHEF DE L'OPPOSITION?
Pas tout à fait opposants, pas encore au pouvoir. Les quatre challengers malheureux face à Macky Sall lors de la présidentielle du 24 février pèchent peut-être par l’ambigüité de leur stratégie, en décidant de ne pas introduire un recours en contestation
Pas tout à fait opposants, pas encore au pouvoir. Les quatre challengers malheureux face à Macky Sall lors de la présidentielle du 24 février pèchent peut-être par l’ambigüité de leur stratégie. En décidant de ne pas introduire un recours en contestation du scrutin devant le Conseil constitutionnel, ils valident la victoire écrasante du président sortant. En la rejetant formellement, ils se placent de fait dans l’opposition. Au lendemain de la réélection de Macky Sall, la nouvelle bataille semble se résoudre à une question: qui sera le chef de file de l’opposition?
Une union sacrée formée avec célérité. Ce jeudi 28 février, à peine une heure après que le juge Demba Kandji, le président de la Commission nationale de recensement des votes (CNRV), a fini d'égrener les résultats provisoires de la présidentielle, les quatre prétendants au fauteuil de Macky Sall signaient un communiqué commun.
Réunis dans les jardins de la villa d'Idrissa Seck au quartier résidentiel du Point E à Dakar, Ousmane Sonko, El Hadj Issa Sall et Madické Niang apposent leur signature au bas du document qui rejette sans réserve les résultats annonçant la victoire dès le premier tour de Macky Sall. Pourtant, ils ne la contesteront pas devant le Conseil constitutionnel.
Un costume sur mesure pour Idrissa Seck
«Ils ne savent pas peut-être mais ils viennent de tailler, sur mesure le costume de chef de l'opposition pour Idrissa Seck qui semble les mener à la baguette», métaphorise un commentateur assidu de la politique sénégalaise. Arrivé deuxième du scrutin avec 20,50% des suffrages, cet ancien Premier ministre d'Abdoulaye Wade se voit propulser chef de l'opposition, si l'on suit la logique du classement par score
«C'est une simple déduction de commentateurs qui veut que le candidat arrivé second soit automatiquement le chef de l'opposition mais cette question n'a pas encore été abordée en interne au sein de la coalition», coupe Souleymane Soumaré, membre de la cellule de communication de la «Coalition Idy 2019», joint au téléphone par La Tribune Afrique. «Nous maintenons les termes de la déclaration conjointe qui rejette des résultats provisoires qui ne restituent pas la volonté populaire exprimée». Malgré cela, le temps presse.
Sans recours formé dans les soixante douze heures suivant la proclamation des résultats provisoires, Pape Oumar Sakho, le président du Conseil constitutionnel peut encoller un blanc-seing définitif sur la victoire de Macky Sall. «Ce n'est pas la peine d'introduire un recours, ce régime [de Macky Sall] a remporté tous les procès au niveau national avec une justice aux ordres. Même à l'international, il n'a pas respecté les décisions qui lui étaient défavorables même celles d'institutions sous-régionales comme la Cedeao», soupire un taulier de l'opposition.
Dans un camp comme dans un autre, l'on sait que la flamme de la contestation ne saurait être entretenue plus longtemps. Pris dans le piège de la contestation du «coup KO» de Macky Sall, sans en activer les leviers légaux, les candidats malheureux se retrouvent désormais confiner dans la posture d'une opposition contrainte de désigner un chef de file. Qui en sera la tête d'affiche entre Idrissa Seck et Ousmane Sonko, ces deux figures les plus en vues?
Flou juridique
Au niveau juridique, c'est le flou qui persiste sur ce statut du chef de l'opposition. Depuis la constitution de 2001, Abdoulaye Wade qui a connu 26 ans d'opposition avant d'arriver au pouvoir, a tenté d'y prévoir un piédestal pour le chef de l'opposition, sans jamais aller jusqu'au bout de son idée. Avec la révision de la constitution en 2016, ce statut y est prévu mais elle reste suspendue à l'adoption d'une loi organique pour en organiser les prérogatives et... les avantages!
Un flou juridique à l'avantage d'Ousmane Sonko. «S'il y avait eu un second tour, on serait parti sur un ticket Idrissa Seck-Ousmane Sonko, deux candidats que tout oppose. L'un est un pur produit de l'administration sénégalaise dont il a occupé plusieurs fonctions. L'autre se définit comme un anti-système, partisan d'une souveraineté économique», analyse Maurice Foudieck Dione, Docteur en Sciences politiques et enseignant-chercheur à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis. «Cela arrange peut-être Ousmane Sonko qu'il n'y ait pas un second tour. Il va pouvoir capter un électorat plus large qui n'était pas forcément le sien. Il faudra donc compter avec lui».
Dans la course au statut d'opposant numéro un, Ousmane Sonko peut passer outre la logique des scores qui le place derrière Idrissa Seck avec ses 15,67% plus qu'honorable pour la première participation d'un candidat sans expérience politique antérieure. A 44 ans, il sait que sa constance de poil à gratter du régime de Macky Sall est un de ses meilleurs atouts. Il en joue allègrement.
«Nous n'avons pas attendu cette élection pour assumer un statut d'opposant. Ce qui est sorti de l'élection n'est que la conclusion, l'aboutissement d'une posture et d'une position ces cinq dernières années. C'est tout à fait naturel que nous aspirons, que nous assumions un statut d'opposant et d'acteur politique de premier rang au Sénégal, à côté des autres acteurs politiques», énonce Ousmane Sonko, ce vendredi 1er mars lors d'une déclaration à la presse.
En attendant la loi...
En face, dans le camp d'Idrissa Seck, on a un avis tranché. «Nous ne sommes pas dans une logique de chef de l'opposition, nous sommes dans une dynamique d'exercice du pouvoir», clame Yankhoba Diattara, le secrétaire national de Rewmi, le parti d'Idrissa Seck. Pourtant en coulisses, se profile bien une bataille de leadership entre Ousmane Sonko et Idrissa Seck pour le premier de cordée d'une opposition avec qui Macky Sall sera contraint de dialoguer.
Au sein de la coalition autour d'Idrissa Seck, réunissant plusieurs recalés-pour motifs judiciaires ou parrainage-, on réfléchit à une stratégie commune pour apporter une riposte politique au régime. «Tous les schémas sont envisageables. Nous sommes en train de réfléchir à voir comment articuler notre stratégie avec tous ceux qui nous soutiennent», floute Yankhoba Diattara.
Parmi les pistes envisagées, la formation d'un «shaddow-cabinet», une sorte de «gouvernement alternatif» chargé de contrôler et de prouver l'impertinence du programme de gouvernance du pouvoir. En attendant une loi pour organiser son statut, Idrissa Seck se verrait conforter dans son rôle de chef de file de l'opposition: la stratégie du fait accompli !
« Pour l'heure, c'est plutôt mal parti pour faire voter la loi organisant le statut de chef de file de l'opposition. Le climat politique ne permet pas un dialogue serein. Il y a aussi des questions politiques qui bloqueraient le vote de cette loi», relève encore Maurice Foudieck Dione. Avant de conclure: «Il faudra attendre que la tension retombe».