A LA CROISEE DES MELODIES ET DE L’ENVOUTEMENT
Après une percée fantastique sur la scène musicale nationale durant les années 70, la troupe de Médina Sabakh connaît aujourd’hui la traversée du désert. Elle a perdu beaucoup de son talent et de sa popularité.
L’on se souvient encore des morceaux mythiques comme «Mamadou Bitigué», «Mbassa», «Ndaga Ndiaye», «Chéri Coco», etc… qui ont fait la célébrité du Ngoyane et les beaux jours de cette fameuse troupe dirigée par la grande cantatrice feue Adja Seynabou Dieng.
A chaque contrée son identité, sa particularité et sa musique aussi. Le Ngoyane, genre musical né dans le Saloum, est devenu avec le temps un air national appréciée de tous les Sénégalais. C’est quoi le Ngoyane ? A ce qu’on sache, il n’a pas de signification exacte en wolof, mais il symbolise le grand édifice dénommé «Taata» et qui servait de refuge au roi du Rip durant les conflits. Pour certains, le Ngoyane peut signifier tout ce qui est bon. En tout cas, c’est à travers les louanges et les gloires chantées à l’endroit du roi qu’est né le nom «Ngoyane». Avant tout, le Ngoyaane fut un village et un chef de lieu de canton. Mais le premier et véritable nom de ce village est Sanghatte. La musique éponyme a vu le jour sous l’initiative de Goumbo Touré, chef de canton de Sabakh, à son retour de la deuxième guerre. Après son glorieux retour au bercail, Goumbo Touré a appelé les griots des villages environnants, plus particulièrement la jeune Seynabou Dieng, la cantatrice à la voix d’or, et un certain Ali Moussa Socé qui était le griot de sa famille, pour créer de l’ambiance dans la bourgade. D’autant que la contrée connaissait une certaine morosité. Il fallait donc donner une certaine vie à la cité. Le principe était simple : le matin tout le monde va au travail, le soir place aux veillées nocturnes. C’est ainsi que la musique Ngoyaane a vu le jour. Mais selon le vieux Mamad Socé, originaire de Passy dans le Rip, dont la famille a beaucoup contribué dans propagation et l’expansion de cette musique, il existe une différence entre le Xawaaré et le Ndaga. Le Xaawaré ou Ngonnal s’organisait la nuit dans une cour, après un diner copieux à l’honneur des hôtes de marque. Parés de leurs plus beaux atours, les gens, nobles comme griots, se réunissaient dans une cour. Les griots, experts en matière de musique traditionnelle, harmonisaient leurs chansons avec les belles mélodies du Xaalam accompagnées des battements de calebasses retournées par les femmes. C’est au cours de ces soirées que le Ngoyanne se jouait. Pendant les «xaawaré», on ne battait pas le tam-tam, on ne dansait pas non plus. Tout se faisait dans la noblesse. Les morceaux fétiches que chantaient les femmes pendant cette soirée étaient «Mariama Dianké», «Taara», «Ndaga Ndiaye Aly Seynabou», «Doubbo Sosso», «Nianing Bagn na», «Manka Yira», «Mamadou Bitigué». Tandis que le Ndaga, c’est une grande fête où l’on installe chaises et bancs. On battait le tam-tam et tout le monde était convié. Il se tenait dans une place publique.
MEDINA SABAKH, LA OU L’HISTOIRE A DEMARRE
Médina Sabakh, ce nom réveille bien des mythes et du merveilleux dans l’esprit des Sénégalais. Médina Sabakh, appelé autrefois Médina Mounnawar ou Keur Ndeury, a été fondée en 1898 par Ndeury Kany Toure. Du fait de son folklore et du mode de vie de ses populations, le village est entouré de beaucoup de mythes. Beaucoup apprécient sa musique rendue célèbre par le «Ndaga Ndiaye Ali Seynabou», une chanson composée par Sacko Dieng et Birame Lobé Dieng, mais chantée par la célèbre troupe de Médina Sabakh dirigée à l’époque par la grande cantatrice Seynabou Dieng. Cette est la première personne à interpréter ce genre musical. Ce morceau fait le tour du pays. La mythique troupe est composée de Seynabou Dieng, Lobé Ndiaye, Lissa Dieng, Seyba Sy et Saly Mbaye, ainsi que le talentueux et populaire Saloum Dieng. A cette époque, le «Xaalam» (Ndlr : instrument musical à cordes) était joué par Birame Lobé Dieng et Sacko Dieng. Il faut préciser que Seynabou Dieng, Sacko Dieng, Birame Lobé Dieng et Saloum Dieng sont des enfants de Saloum Hanthia Dieng. Au Ndoucoumane aussi, il y avait la grande chanteuse Marième Kéwé aussi talentueuse que les membres de la troupe de Médina Sabakh. Les Sénégalais se demandent toujours ce qui a fait la réputation de ce village. Selon le vieux Mamad Socé, Médina Sabakh constitue une université. Pour être un bon chanteur ou un bon joueur de Xaalam, il faut passer par cette localité. Mais le Ngoyanne est chanté à Ndoffane, au Ndoucomane, à Passy, à Koungheul. Dans ces contrées, on retrouve des personnes très douées et qui maitrisent parfaitement cette musique. Dans toutes ces villes, on retrouve presque la grande famille de Médina Sabakh. Pour bon nombre de Sénégalais, Médina Sabakh représente un paradis sur terre. Ce «havre» de bonheur, enfoui quelque part dans les imaginations. Le plateau d’un théâtre fait de chants et de danses. Cette contrée des grands «xaawaré» ou la tournée des grands ducs. L’on raconte aussi que le Ngoyane constitue la hantise des mères de famille qui ne souhaitaient pas que leurs enfants soient affectés à Médina Sabakh. Parce que, d’après la rumeur, ce village suce jusqu’au sang les fonctionnaires qui se retrouvent comme pris dans un carcan. Histoires du Chauffeur avec le camion de riz et du fraudeur qui avait «sucré» tout un puits Potion magique qu’on fait absorber à une personne aimée, le «Niam Diodo» serait, dit-on, à la base de l’attachement des fonctionnaires et autres étrangers pour Médina Sabakh. La même rumeur laisse entendre que Keur Ndeury est peuplé de griots passés maîtres dans l’art de vous faire vivre quelques heures de bonheur intégral avec leur répertoire inépuisable de chants, leurs «xaalam» magiques et surtout l’attachement dont on vous couvre. On raconte encore avec humour, l’histoire du chauffeur qui, pour retourner la balle à une famille qui l’avait honoré, a vidé ses poches, vendu le chargement de riz qu’il transportait, démonté les pneus du camion, avant de s’enfuir au bout d’un mois, laissant derrière lui une dulcinée et une carcasse de véhicule.
La légende de «Mamadou Bitigué» est aussi connue des Sénégalais. Elle raconte l’histoire d’un riche et généreux commerçant qui s’était installé à Médina Sabakh. Là, les griots ne l’ont pas épargné. Tous les jours, les griots venaient devant sa boutique le chanter. Après avoir tout offert aux griots, il «s’est donné» à eux. La légende dit que les griots l’ont amené. Personne ne sait si ces derniers l’ont vendu comme esclave ou ont fait de lui leur serviteur ou esclave. Mais après sa faillite, les chanteuses de Ngoyane, soutient-on, ont interprété en son honneur cette belle chanson, connue de tous, et qui s’intitule «Mamadou Bitigué». L’histoire ne s’arrête pas là. L’on raconte aussi qu’un fraudeur qui avait une fois passé la nuit à Medina Sabakh, bercé par les belles mélodies des griots, a voulu «sucrer» tout un puits avec le chargement du camion de sucre qu’il conduisait. Un autre commerçant, après avoir vidé ses poches pour choyer les griots, a cherché à apparaître comme un donateur de luxe. C’est ainsi qu’il coupa une de ses oreilles pour l’offrir à ceux qui chantaient ses louanges.
DE LA BELLE EPOPEE AUX OUBLIETTES
Si le Ngoyanne a connu ses lettres de noblesse entre les années 1970 et 2000, force est de reconnaître qu’elle est en déclin. Pour le vieux Mamad Socé, gardien de la tradition authentique du Saloum, cette situation est due à plusieurs facteurs Parmi ceux-ci, il cite la paresse des nouveaux chanteurs de Ngoyanne qui refusent de faire le travail d’investigation nécessaire à la création de nouvelles compositions. Selon lui, la jeune génération est obnubilée par le succès et le gain rapide. «Ils ne font que les reprises des premiers morceaux composés par la troupe de Médina Sabakh, ou par Saloum Dieng (icône du Ngoyanne décédé le 3mars dernier). Les jeunes ont honte aussi de revenir à la source, c’est-àdire dans les villages où tout a commencé, pour demander conseils aux anciens». Pour le vieux Socé, personne ne peut réussir dans cette musique sans revenir aux sources. Les anciens détiennent des secrets, et des compositions qui ne sont jamais passées dans les médias. Ils sont disposés à les donner généreusement à tout jeune qui les consulte». Un autre problème qui freine l’avancement de cette musique, c’est que les jeunes sont plus bercés par les sonorités extérieures que par celles qu’on chante ici pour la plupart. Un autre souci, ce sont les endroits pour jouer le Ngoyanne qui se font de plus en plus rares, de même que les spectacles dignes de ce nom. A Dakar, peu de gens savent où se tiennent régulièrement les soirées Ngoyanne. Sinon à Thiès, on trouve des événements de Ngoyanne, ou dans quelques villages du Saloum qui sont très attachés à la sauvegarde de leur patrimoine culturel. Les médias aussi ne facilitent pas la connaissance de cette musique aux plus jeunes. A Médina Sabakh, c’est Diakhou Ndiaye, fille de Saly Mbaye qui essaie de maintenir difficilement le flambeau.
TERRE DE PAIX
Il faut relever que Médina Sabakh constitue bel et bien un mythe pour les Sénégalais. Un mythe et certaines croyances entourent le village. Même si la localité s’est forgée, depuis des temps immémoriaux, une solide réputation de paix, d’accueil et d’hospitalité. Ses habitants soutiennent que cette téranga est liée à la personnalité du fondateur du village, Ndeury Kany Touré, qui avait émis le vœu de voir les habitants partager toujours leurs biens avec les étrangers. C’est ce vœu exaucé, ces leçons apprises et ancrées dans les mœurs, qui ont façonné les populations de Sabakh qui cherchent toujours à faire plaisir aux étrangers, en les mettant dans de bonnes conditions de cohabitation. L’histoire du chauffeur n’est pas vraie, selon certaines personnes. En effet, selon le vieux Mamad Socé qui a vécu à Médina Sabakh, «la musique et la danse s’imbriquent merveilleusement, de manière à vous faire perdre la tête. Nos belles chanteuses, avec leurs voix douces, savent toucher la corde sensible de tout mélomane et l’amener à dépenser. Mais elles le font sans tricherie. Un noble, dès qu’on chante ses louanges, fait toujours ce qui est au dessus de ses moyens, car c’est son honneur qui est touché». Pour l’histoire de «Mamadou Bitigué», peu de gens dans le village acceptent d’aborder ce sujet qui relève de la légende. Avec Goumbo Touré, le village était toujours en fête. On y organisait des xaawarés qui attiraient des milliers et des milliers de personnes venues d’horizons divers. C’est depuis cette période que Medina Sabakh a bâti sa réputation de ville de téranga. Keur Ndeury, ou Médina Sabakh, c’est le folklore, la téranga et l’hospitalité ; mais c’est aussi et surtout une population très réceptive et engagée pour le changement. Même si le Ngoyanne reste toujours une musique locale et peine à s’internationaliser comme le Mbalax, le niveau culturel est très élevé du fait de la rencontre à Keur Ndeury de différentes ethnies provenant de divers horizons.