POPENGUINE, LÀ OÙ DES AMAZONES DÉFENDENT L'ÉCOLOGIE
Connue pour sa Vierge noire, auprès de laquelle les fidèles catholiques se rendent en pèlerinage, la ville est aussi le lieu d'une réserve naturelle reboisée et préservée depuis 1986 par des femmes pas comme les autres
Au cœur de Popenguine trône la plus vieille église chrétienne du Sénégal. Sa renommée s'est construite tout particulièrement autour de la Vierge noire, que le pape en personne est venu bénir et auprès de laquelle, depuis cent trente ans, les pèlerins se pressent le lundi de Pentecôte. En dehors de cela, le petit village, situé sur la Petite Côte, au sud de Dakar, semble tout à fait ordinaire. Avec ses échoppes en bord de la route, ses vendeurs à la sauvette, ses rues en terre battue, Popenguine ne se distingue pas des autres bourgades autour.
C'est en s'approchant de l'océan Atlantique qui la borde avec ses vagues roulantes que l'on découvre une de ses particularités : une falaise dans les tons ocre, unique en son genre dans la région. C'est là, perchée au-dessus, que s'étend sa réserve naturelle, un espace unique tiré de la déshérence par une initiative de femmes. C'est là un véritable trésor pour Popenguine, un trésor qui s'est bâti petit à petit contre la logique de décennies de déforestation provoquée par des habitants à la recherche de bois de chauffe. De quoi se rappeler cet épisode de la fin des années 1980, quand des femmes du village se sont levées pour initier une autre dynamique.
Quand Popenguine renoue avec son histoire marquée par des femmes
Toute l'histoire de Popenguine s'est construite autour de ses figures féminines. Sa Vierge noire, d'abord, sa figure protectrice surnommée « génie » Coumba Cupaam, qui aurait même donné son nom au village : Popenguine viendrait de « bopp » et « jinn » en wolof, qui signifie tête et, par extension, visage de génie. Aujourd'hui, c'est autour de sa réserve naturelle prise en charge en 1986 que les femmes marquent le village de leur empreinte.
Katy Ndione, actuelle cheffe de la zone protégée, se souvient : « Un jour de 1986, en allant chercher de l'eau avec un groupe de femmes, nous sommes tombées sur des agents des parcs nationaux dans la forêt de Popenguine. On leur a demandé ce qu'ils faisaient. Ils nous ont répondu On plante des arbres. Alors, nous leur avons dit : Pourquoi pas nous ? »
Et de reprendre en expliquant le contexte, et ce triste constat : « On s'était déjà rendu compte qu'il y avait un problème avec notre brousse. On savait que c'était de notre faute si les réserves venaient à manquer, mais on ne savait pas quoi faire. Quand on a rencontré les agents de parcs nationaux, on a tout de suite été partantes. » Après une réunion au village pour proposer aux autres personnes de les aider à retrouver leur forêt d'origine, un regroupement d'une centaine de femmes s'est formé. À l'origine, le projet est mené par Woulimata Thiaw, suivie de 128 femmes, et un seul homme. À la question de savoir pourquoi les hommes ne participent pas à l'initiative, Katy Ndione sourit et raconte les nombreux obstacles qui se sont dressés sur leur chemin.
Se prendre en main malgré le scepticisme des hommes
Comme elles n'ont à l'époque aucun savoir en la matière, elles passent de nombreux mois à suivre l'enseignement des rangers. Techniques de pépinière, assainissement, aménagement et protection… « Nous avons tout appris au fur et à mesure », explique Katy.
Par chance, le site est volcanique, et très fertile. Sur les 1 900 hectares, les femmes plantent des arbres fruitiers, des acacias, des cocotiers… Des espèces d'arbres autochtones et utiles à la vie du village. Petit à petit, les espèces qui avaient disparu de l'environnement reviennent. « On voit de plus en plus de hyènes, de gazelles ou d'oiseaux qui avaient déserté », explique-t-elle.
Mais, au départ, un problème se pose. Cette association ne plaît pas aux hommes du village, pas du tout convaincus de l'utilité du reboisement, et persuadés que les rangers sont là pour prendre leurs femmes. Katy reprend : « Nos maris ne voulaient pas qu'on travaille avec eux, ils disaient : Ils veulent vous mettre dans leur lit. » Avant d'ajouter : « On nous appelait les femmes singes. »
Le projet s'est progressivement consolidé...
Katy précise, avec beaucoup de fierté, qu'être mal vues ne les a pas empêchées de mener à bien leur projet ! Petit à petit, l'ambition de reboisement s'est étendue à 8 villages aux alentours pour bientôt réunir 1 555 femmes. Une guide de la réserve raconte : « Elles quittaient Popenguine avec des seaux d'eau sur la tête, grimpaient la falaise et allaient jusqu'à Guéréo et La Somone (des villages voisins) pour reboiser », plusieurs heures de marche au cœur de la brousse, sous un soleil de plomb. Derrière l'aspect climatique, il y a quelque chose de sacré dans la nature pour Katy : « Cette terre, on l'a empruntée, et on doit la sauver pour nos petits-enfants. » À Popenguine, « on dit souvent que la nature est dans nos sangs », continue-t-elle. Le travail est bénévole et éprouvant, mais, avec le temps, les hommes du village ont compris que les femmes disaient « la vérité » et se sont mis à participer.
... et s'est mué en un outil de prévention...
À travers les huit villages concernés, les habitants font de la prévention pour le développement durable dans les écoles, avant d'emmener les enfants aider à replanter, à ramasser le plastique qui s'échoue le long des plages. La prochaine plantation en date ? Dix mille cocotiers, avec pour objectif d'avoir terminé sous dix jours. En 1994, la Fondation Nicolas Hulot se rend à Popenguine et demande aux habitants de quoi le village a besoin pour continuer le reboisement. « On a dit qu'on manquait d'hébergements pour les gens qui voulaient venir nous voir. » Alors, la fondation a financé un campement touristique au sein même de la réserve. Les petites cases blanches circulaires ont un peu mal vieilli, mais l'accueil est exemplaire.
... et une source de revenus pour la communauté
Chaque sou des bénéfices permet de renforcer les structures, de développer le campement, d'ajouter un restaurant, par exemple, ou d'autres infrastructures. il permet aussi de financer tout un système économique et social. L'argent récolté sert aussi à financer l'éducation et la santé dans la réserve, via une mutuelle que les femmes ont créée. Un magasin de bonbonnes de gaz a ouvert pour offrir une alternative solide au bois de chauffe : « Si on dit aux gens de ne pas couper le bois, ils se demandent comment on va faire ? » explique la guide. Une association locale a été mise en place sous la forme d'une tontine. Les femmes donnent une somme d'argent régulièrement pour créer une cagnotte, celle-ci est distribuée à tour de rôle à une famille du village.
Dernièrement, de nouvelles préoccupations saisissent les Amazones. La terre est aride, beaucoup trop pour la saison. « C'est une catastrophe, on manque de pluies », explique la guide. Le point d'eau, censé contenir une réserve maintenue à flot jusqu'en mai, était déjà vide en janvier dernier. À l'approche de l'hivernage, les habitants s'inquiètent de ne pas voir arriver la pluie. En parallèle, la terre est trop salée, et la mer avance vite, provoquant l'érosion de la falaise sur laquelle est posée la réserve. Pour conserver les animaux, des abreuvoirs ont été mis en place, mais, si la situation s'aggrave, il faudra trouver de nouvelles options plus durables car, si une première partie du défi a été relevée, d'autres challenges se font jour. Or puisqu'il faut laisser un espace vivable pour les futures générations...