«CETTE ANNÉE, LE TRIBUNAL ECCLESIASTIQUE A PRONONCE 45 ANNULATIONS DE MARIAGE»
Président de l’Union du Clergé Sénégalais, Abbé Alouise Sène dit le droit canonique au tribunal ecclésiastique interdiocésain sous la conduite du modérateur Monseigneur André Guèye, évêque de Thiès
Président de l’Union du Clergé Sénégalais, Abbé Alouise Sène dit le droit canonique au tribunal ecclésiastique interdiocésain sous la conduite du modérateur Monseigneur André Guèye, évêque de Thiès.
Que signifie un tribunal ecclésiastique ?
C’est une instance, un lieu où on dit la justice en faveur des fidèles pour des causes spirituelles ou connexes.
Quels sont les types de conflit que vous jugez ?
La majorité des conflits, si on peut les appeler ainsi puisque nous les appelons les causes, sont souvent des causes liées au mariage. Il y a d’autres causes liées à des licenciements abusifs ou à des cas d’héritage. Mais si on prend les causes majeures ou de déclaration de nullité, souvent dans le civil et même au niveau de l’église on parle de divorce, de séparation ou d’annulation de mariage. Dans le (tribunal) civil, on parle surtout de divorce. Mais chez nous, le divorce n’existe pas. Au niveau de l’église un mariage célébré en bonne et due forme, personne ne peut le dissoudre. Même le Pape ne peut pas séparer ces deux personnes. En revanche, quand on parle de déclaration de nullité de mariage, c’est parce que le mariage a été célébré à l’insu d’un des contractants ou à l’insue du prêtre. Il peut y avoir un empêchement ou un vice de consentement sans que personne ne s’en rende compte. Et cela rend le mariage nul même si de bonne volonté, les deux pensent être dans un vrai mariage. Si les deux ont célébré un mariage qui a souffert de vices et décident de se séparer, c’est en ce moment que l’une des parties peut demander au tribunal ecclésiastique interdiocésain de se pencher sur le dossier pour voir si le mariage est valide. Si jamais à travers les enquêtes, les dépositions des témoins, à la lumière du droit, on se rend compte que durant la célébration de ce mariage, les conjoints n’étaient pas dans les dispositions, on délivre une sentence pour dire que ce mariage a été nul. Quand bien même, il y a une préparation avant la célébration du mariage qui se fait avec le prête. Mais il y a l’adage qui dit en mariage : trompe qui peut. Une femme peut savoir qu’elle est stérile, un homme impuissant, s’ils le cachent et que cela est découvert plus tard, on peut déclarer ce mariage nul basé sur le dol, c’est-à-dire tromper en vue d’obtenir une chose.
Combien de cas avez-vous enregistrés cette année ?
On a enregistré beaucoup de cas de séparation. De plus en plus, on en a parce que les chrétiens sont membres de la société. Et le mal qui gangrène la société gangrène notre communauté. Il y a aussi beaucoup de chrétiens qui opèrent le divorce au niveau civil. Et du coup, cela rejaillit chez nous. Parce qu’ils ont envie de reprendre leur place chez nous. Une fois que tu es marié à l’église, si tu divorces dans le civil et que tu te remaries, tu ne peux plus avoir la communion. Il y a des sanctions qui sont là. Pour se décharger de ce poids, certains font recours au tribunal interdiocésain pour voir si le premier mariage est valide ou pas. Il n’est pas dit que tous ceux qui introduisent des recours obtiennent gain de cause. Il y a des dossiers non recevables. Quand un mariage est valide dans l’église, les deux ont beau se séparer, personne ne peut le dissoudre. Les cas augmentent. L’année dernière, on a eu 38 cas. Cette année (2019), d’octobre à juin, on a 45 cas de séparation.
Quelles sont les causes de ces séparations ?
Il y a les difficultés conjoncturelles. Mais on n’est pas dans le registre d’incompatibilité d’humeur. C’est le fourre-tout dans le tribunal civil. Ce qui nous étonne de plus en plus, un phénomène social qui est là et que personne ne s’en rende compte. On voit que ceux qui sont à l’abri du besoin matériel ont des difficultés dans les ménages. Et c’est surtout en milieu urbain. Les problèmes ne se posent pas trop en milieu rural. Cela m’a fait réfléchir l’année dernière pour comprendre pourquoi ceux qui sont à l’abri du besoin ont des difficultés. J’ai constaté que ce sont des gens qui ne se voyaient pas beaucoup. Le matin Madame et Monsieur s’en vont de leurs côtés. Les enfants vont à l’école. Le soir, ils se retrouvent. Ils ne passent pas assez de temps ensemble à la maison pour causer de la vie, partager sur des projets communs. Pis, dans les milieux de travail, il y a un phénomène et on n’y prête pas attention. Il y a beaucoup de copinage. A l’heure de la pause, chaque groupe, par affinité, choisit son restaurant. Ces copinages, je les appelle des milieux de vulnérabilité. Dans les milieux de travail, on crée des associations. On organise des « yendous », des « xawarés », des sorties récréatives pendant que Monsieur n’en fait pas partie. Madame est là avec son groupe en « xawaré », Monsieur va ailleurs. Suite à la promiscuité dans ces groupes, il y a la précarité puisqu’on se taquine, on s’apprécie. Ce qu’on n’a pas à la maison, on le trouve ailleurs. On développe des relations qui pallient le manque dû à l’éloignement, la distance dans le couple. Cela crée beaucoup de dégâts dans les ménages. Cela crée des relations extraconjugales. Et il y en a beaucoup, beaucoup. Ces contacts créent beaucoup de relations extraconjugales. Il y a aussi le fait que de plus en plus, la spiritualité se dégrade. Que cela soit le musulman ou le chrétien, quel sens donne-t-il à sa foi, au sacré ?