MOUSTAPHA DIOP DÉFIE LES MAGISTRATS
La Cour des comptes regrette le comportement du ministre qui a tout simplement refusé que le FNPE sous tutelle de son département, soit contrôlé. Pire, le ministre de l’Industrie aurait traité les magistrats venus pour le contrôle de corrompus

Les trois rapports (2015-2016-2017) de la Cour des comptes, publiés ce vendredi, ont mis à nu des agissements non vertueux de certains responsables d’organes publics. Les uns ont commis des irrégularités dans leur gestion, tandis que les autres se sont bien servis. Et le plus téméraire a simplement refusé de se soumettre au contrôle.
Le Sénégal stagne dans la zone rouge de la corruption. Dans le dernier rapport de l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, le pays a gardé le même score de 45/100 points, depuis 2016. Commentant la stagnation du Sénégal dans la zone rouge, le Forum civil avait fustigé le retard de la publication des rapports de la Cour des comptes ainsi que le refus d’un membre du gouvernement de se soumettre au contrôle de cette cour.
Ainsi, après la publication de ses trois rapports, la Cour des comptes est largement revenue, ce samedi, en conférence de presse, sur le motif du retard accusé dans la publication. Elle a aussi cloué au pilori, dans son rapport de 2015, le comportement du ministre Moustapha Diop qui avait tout simplement refusé que le Fonds national de promotion de l’entreprenariat féminin (FNPE) sous tutelle de son département ministériel, soit contrôlé. Pire, l’actuel ministre de l’Industrie aurait alors traité les magistrats qui étaient venus pour effectuer le contrôle d’agents corrompus.
En effet, ayant été saisi par la Cour des comptes pour être contrôlé par la chambres des entreprises publiques (CEP), l’administrateur du FNPE, M. Abdoulaye Dahibou Seck, avait d’abord fait part de son indisponibilité et sollicité le report du contrôle à une date qu’il communiquerait. Puis, la date du 5 juin 2015 a été fixée pour le lancement de la mission de la cour au FNPE.
Seulement, à cette date, l’administrateur du fonds ainsi que tous ses collaborateurs étaient absents au rendez-vous. Pire, souligne-t-on, dans le rapport 2015 de l’organe de contrôle, ‘’à la date du 8 juin 2015 retenue de concert entre le président de la CEP et l’administrateur du FNPEF, la réunion de lancement n’a pu se tenir en raison des agissements du ministre délégué en charge de la Microfinance, M. Moustapha Diop. Ce dernier s’est, de manière impromptue, introduit à la rencontre et s’est opposé au démarrage du contrôle, en faisant des griefs à la démarche de la cour et en prétendant que les magistrats auraient reçu de l’argent’’. L’actuel ministre de l’Industrie ne s’est pas arrêté. Il a continué ses manœuvres, en intimant l’ordre à l’administrateur du Fonds national de l’entreprenariat féminin, Abdoulaye Dahibou Seck, et à ses agents de quitter la salle. Empêchant ainsi aux agents du corps de contrôle de faire leur travail.
Les sanctions de la cour au FNPE
En réaction aux agissements du ministre, indique-t-on toujours dans le rapport 2015, le président de la Cour des comptes et le président de la CEP ont porté plainte contre Moustapha Diop auprès du procureur de la République, pour propos diffamatoires et entrave à l’action de la cour et à l’exercice régulier des fonctions de magistrat. ‘’Parallèlement, les faits constatés ont été portés à la connaissance du procureur général près la Cour des comptes qui, à son tour, a saisi cette cour en vue de l’ouverture d’une procédure d’amende pour entrave à l’encontre de l’administrateur du FNPEF, M. Abdoulaye Dahibou Seck.
Ainsi, dans son jugement, la Cour des comptes a considéré que ‘’les refus répétés et injustifiés de participer au lancement de la mission et de remettre les documents demandés par la CEP constituent une entrave à la mission de la cour qui tombe sous le coup de l’article 63 de la loi organique sur la Cour des comptes. Ce faisant, la Cour des comptes a condamné l’administrateur du FNPEF à 4 millions F CFA représentant le maximum de la peine encourue’’.
Quid de Moustapha Diop ? A-t-il été sanctionné ou non ? Le rapport ne s’est pas proposé sur la suite de la plainte déposée contre lui.
Les multiples irrégularités à l’ambassade du Sénégal au Mali
Outre les organes publics nationaux, la Cour des comptes s’est intéressée, dans son rapport de 2016, à la représentation diplomatique du Sénégal au Mali. Et elle a constaté, à cet effet, d’énormes irrégularités dans la gestion de l’ambassade, dans la période allant de 2010 à 2014. A la lecture du rapport, l’on pourrait même croire que la représentation diplomatique du Sénégal au Mali fonctionnait de manière tout à fait informelle.
En effet, du recrutement du personnel administratif au recensement des Sénégalais établis dans ce pays, en passant par la gestion de la comptabilité des matières jusqu’à celle du carburant ou des allocutions des indemnités de logement de l’attaché militaire, tout était géré de manière informelle et par l’ambassadeur lui-même. L’homme est presque au début et à la fin de tout. L’actuel ambassadeur Assane Ndoye et son prédécesseur Saoudatou Ndiaye Seck ont tous commis des irrégularités dans leur gestion.
Et, dans ce sens, la cour a émis comme première remarque un défaut de maitrise du nombre de ressortissants sénégalais établis au Mali. Dans son contrôle, les magistrats ont constaté que les recensements effectués durant la période sous revue sont loin de faire le compte. Le nombre de Sénégalais établis au Mali était estimé, à cette époque, à près de 150 000, alors que les immatriculations de l’ambassade n’atteignent pas ce chiffre.
La cour a aussi noté des procédures de recrutement non conformes au règlement en vigueur. ‘’Le personnel local officiant dans la représentation diplomatique est constitué de prestataires de services et de salariés. Plusieurs salariés sont recrutés au moyen de décisions d’engagement en lieu et place des contrats de travail. Ces actes confèrent à ces travailleurs le statut d’agents décisionnaires, catégorie inconnue du régime du Code du travail. À l’évidence, les Maliens recrutés par l’ambassade ne peuvent pas être considérés comme des agents de l’Etat du Sénégal ou du Mali’’, lit-on dans le rapport 2016 de la Cour des comptes. Celle-ci précise que ‘’le recrutement de Maliens sur la base de décisions d’engagement et non de contrats de travail établis sur le fondement de la législation malienne, expose l’ambassade du Sénégal à des contentieux préjudiciables à l’Etat du Sénégal’’.
En plus des recrutements non conformes, la cour a constaté que les responsables de l’ambassade ont exonéré leurs agents de l’impôt sur le revenu, comme indiqué par l’article 3 des différentes décisions d’engagement qui dispose : ‘’L’ambassade du Sénégal prend en charge les cotisations sociales ainsi que le reversement de la retenue de l’impôt général sur le revenu (IGR).’’ Ainsi, les agents locaux ne supportent pas l’impôt sur les salaires ; ils reçoivent leurs rémunérations affranchies de toutes retenues.
L’autre irrégularité concerne le recrutement de l’agent comptable de l’ambassade. En effet, le rapport indique que les fonctions de comptable des matières sont exercées à l’ambassade du Sénégal au Mali par Mme Aimée Joselyne Mantouck Badiane, assistante. Cette fonction lui a été confiée par l’ambassadeur sans acte de nomination. Ce qui est une violation du règlement qui dispose que le comptable des matières doit être nommé par décret du ministre de l’Economie, des Finances et du Plan.
En plus de la violation de procédure notée dans le recrutement de l’agent comptable, la Cour des comptes a constaté ‘’des irrégularités manifestes dans la tenue de la comptabilité des matières de l’ambassade’’ avec une absence de tenue des documents comptables requis. ‘’Ni un livre journal des matières, ni un grand livre des comptes, ni un carnet des bons d’entrée des matières, encore moins un carnet de bons de sortie des matières ne sont tenus. Ainsi, aucune pièce justificative ne permet d’avoir une situation de la comptabilité des matières de l’ambassade’’, regrette-t-on dans le rapport.
Immixtion de l’ambassadeur dans la gestion du carburant
Nommé en 2012 comme ambassadeur du Sénégal au Mali, M. Assane Ndoye est cité ‘’dans tous les fronts’’, y compris de la gestion du carburant. En effet, selon le rapport 2016 de la Cour des comptes, à l’ambassade du Sénégal au Mali, ‘’le carburant est conservé par le chef du poste diplomatique, en lieu et place du comptable des matières qui est chargé d’assurer les entrées, d’effectuer les sorties et de réunir les justificatifs. L’ambassadeur a en charge également la conservation des matières qui sont sous sa garde’’.
Répondant aux agents de la cour, l’ambassadeur Assane Ndoye a déclaré que cette situation est due au souci de prévenir toute pénurie de carburant qui serait très préjudiciable au bon fonctionnement du service, à cause de l’insuffisance des crédits alloués à cette rubrique.
Il a aussi été question des allocutions irrégulières d’indemnité de logement a l’attaché militaire. En effet, selon le rapport, l’attaché militaire fait partie des agents bénéficiaires de plein droit d’un logement de fonction et de domesticité. Il est logé, soit dans les locaux appartenant à l’Etat ou mis à sa disposition par l’Etat du siège, soit dans des logements pris en location au nom de l’Etat, en application des dispositions du décret n° 89-891 du 2 août 1989. Or, jusqu’en 2011, constatent les contrôleurs, le colonel Abdou Fall, attaché militaire de l’ambassade du Sénégal au Mali, a bénéficié d’un logement loué par l’Etat par contrat de bail du 1er janvier 2010 signé par l’ambassadrice Saoudatou Ndiaye Seck pour une durée d’une année renouvelable par tacite reconduction.
Cependant, en 2011, en lieu et place de ce logement de fonction, une indemnité compensatrice lui a été allouée. Ce qui contrevient, aux yeux des magistrats de la Cour des comptes, à la réglementation qui prévoit un logement obligatoire pour l’attaché militaire.