AFRIQUE : ACTEUR MARGINAL, RÉVEIL FORCÉ
L'équipe de Macky Sall devrait l'aider à comprendre que l’Afrique n’est pas un acteur important du commerce international, qu’elle est une menace pour elle-même, pas pour le monde. On ne peut rien pour les Etats qui ne veulent pas se prendre en main
Le président Macky Sall vient de nous livrer ses premiers arguments économiques en faveur de l’annulation de la dette dans le Figaro. Son équipe économique devrait l’aider à comprendre que la comparaison des envois des sénégalais de l’extérieur à l’aide internationale est économiquement problématique, que l’Afrique n’est pas un acteur important du commerce international, qu’elle est une menace pour elle-même, pas le monde, et peut réaliser son destin libre en faisant ce qu’elle refuse de faire d’elle-même.
L’Afrique doit comprendre que la sous-exploitation de son potentiel de productivité locale du fait d’un déficit de leadership fait d’elle une convoitise du monde. Nous avons déjà traité de cette question dans notre tribune intitulée « Consensus de Dakar : Pas le Choix de la Jeunesse Africaine ». Le monde veut par une zone de libre-échange africaine et le financement du développement de l’Afrique en devises, exploiter, avec l’Afrique, le potentiel économique que l’Afrique se refuse d’exploiter elle-même. Cela veut dire qu’avec ou sans annulation de dettes, le Sénégal, sans programme avec le FMI, peut emprunter comme il veut à ceux qui sont prêts à endetter son élite pour un objectif supposé de croissance, car les populations n’y comprennent rien. Cela n’empêchera pas le FMI de tirer sur la sonnette d’alarme car les équipes qui viennent dans nos pays ne sont que des économistes de très haut niveau qui ne peuvent utiliser des arguments de l’homme de la rue pour défendre des points de vue politiques. Les conférences avec des économistes français entourés de nos chefs d’Etats convoqués pour la cause, n’y changeront rien. La preuve, nos Etats découvrent l’impuissance du FMI qui ne peut donner aucune injonction à des créanciers privés qui ont traité avec nos états directement. Ces derniers font leurs propres analyses de nos performances et de la soutenabilité de nos dettes au cas par cas, analyses qui ne relèvent pas de perceptions, mais fondamentalement de faits analysés par des humains qualifiés.
Nous avons déjà traité de la question de la dette dans notre précédente contribution intitulée « Annulation de Dettes NON, Souveraineté Monétaire OUI » pour expliquer que son annulation ne change pas grand-chose pour ceux qui savent comment une dette souveraine se gère. Une dette souveraine n’est presque jamais remboursée quelle que soit la monnaie dans laquelle elle est contractée. C’est renouvellement, défaut de paiement, ou monétisation par la planche à billets. Le reste, la croissance du PIB s’en occupe ou l’ajustement. Son annulation ne nous permettra que de nous endetter de plus belle en devises étrangères comme le souhaitent certains créanciers et libérera temporairement des charges d’intérêts. Lorsqu’on arrive à obtenir l’annulation de la dette, les bailleurs contrôlent vos finances car les emprunts nouveaux assimilés à ce qui devait être amorti (en réalité pour renouveler la dette existante) seront orientés vers les choix des bailleurs en compétition dans votre budget. Ces choix peuvent être ce que vous deviez faire par vous-mêmes avant d’en arriver à demander des annulations. Ils déterminent également les catégories de dépenses où les intérêts que vous n’avez plus à payer doivent aller, en imposant des planchers pour certaines dépenses à partir d’un point de référence.
Vous voyez bien que demander une annulation de dette est synonyme d’une perte de souveraineté car celui qui annule votre dette ne veut pas non plus vous permettre d’emprunter ou de rembourser de nouveaux créanciers avec les dettes qu’il vous a pardonnées. C’est en partie la raison pour laquelle certains bailleurs, par des dons, nous facilitent le remboursement de créanciers venant de leurs propres pays sans annulation de dettes. Il suffit de comparer les dons spontanés de l’union européenne (50% de l’enveloppe pour l’Afrique tout entière donnée au Sénégal) aux intérêts que nous devons à des investisseurs résidents en Europe cette année. Ce que les 25 pays les plus pauvres ont obtenu de facto au FMI et à la Banque Mondiale en dons de substitution au service de leurs dettes, nous l’obtenons directement en dons comme pays solvable ayant accès aux marchés mais quémandeur.
Dès lors, une fois que l’Afrique et ses «économistes» auront compris comment une dette souveraine quelle que soit la monnaie de dénomination se gère, il leur restera à découvrir de façon plus claire leurs inclinaisons idéologiques pour développer leurs pays. L’Afrique a deux choix à organiser (on évite les zones grises de compromis nécessaires délibérément) pour réaliser son destin libre : « Leadership d’Etat clair seul ou en ensembles ou sous-ensembles souverains pour réaliser son potentiel de développement » ou « Leadership de sa population, de ses petites entreprises, et de ses collectivités locales ». Elle doit opter pour la stratégie qui lui permettra de financer son développement libre. Toutes les autres discussions non-économiques sont inutiles de ce point de vue et polluent le débat sur des questions économiques sur lesquelles il n’y a pas grand débat, certaines relevant de choix et de préférences. On ne peut rien pour les Etats qui ne veulent pas se prendre en main.
Face à la contrainte de financement extérieur, il faut une flexibilité de taux de change et une stabilité macroéconomique pour éviter l’endettement extérieur et les ajustements inutiles. Face à la difficulté de découvrir les vrais secteurs porteurs, il faut d’avantage faire confiance aux acteurs économiques locaux plutôt que l’état si par ailleurs l’incompétence de l’Etat est supérieure aux imperfections du marché. Dans les deux cas, la flexibilité de change, comme exutoire, permet de corriger les erreurs. C’est cet exutoire qui a manqué à Houphouët Boigny et à Senghor, l’un plus libéral, l’autre socio-démocrate, là où Dia, même qualifié de communiste, aurait eu le courage de la souveraineté monétaire et s’en serait peut-être mieux sorti.
L’Etat du Sénégal est fondamentalement et congénitalement socialisant (centralisateur du processus de notre développement) et est pour le premier choix malgré les professions de foi dans les programmes avec le FMI et dans la rhétorique en faveur du relai du secteur privé. Il faut alors assumer et s’en donner les moyens : Reprendre sa banque centrale, son taux de change, et mener le développement avec la rigueur de gestion macroéconomique et de dette qui vont avec. Nous avons appelé cette stratégie SENEXIT. A défaut, il faut organiser le secteur privé et son inclusion financière pour qu’elle prenne le relai véritablement avec l’exutoire toujours du taux de change.
Revenant à la sortie du président de la République sur les transferts des migrants. Nous disions dans une récente contribution qu’un pays qui ne peut pas exporter des biens et services se retrouve obligé d’exporter des êtres humains qui par leurs envois au pays financent l’équilibre de sa balance des paiements. L’aide extérieure est une aide budgétaire alors que les envois des sénégalais de l’extérieur ne sont pas destinés au budget. Sans envois des sénégalais de l’extérieur, c’est la population qui s’ajusterait. Sans aide extérieure, c’est le budget de l’état insuffisamment financé par des populations pauvres qui ne voient leur état nulle part d’essentiel qui s’ajusterait. Dans les deux cas, il ne s’agit que de financement de balance des paiements, et dans le cas de l’aide, des ressources que les populations ne voient pas.
La migration est le résultat de l’échec du leadership africain à créer de la richesse sur son sol par ses propres moyens, obligeant ses fils et ses filles à s’exporter pour financer les importations de leurs familles restées au pays. Ces importations marginales dans l’échiquier mondial sont en partie facilitées par des monnaies non gérées mais administrées assurant le retour des transferts dans les pays d’origine. Le monde assoiffé de pouvoir n’attend que l’annulation de la dette publique africaine pour s’assurer de son contrôle pour les 400 prochaines années sur son propre sol afin de partager son destin avec elle. Il nous faut refinancer la dette extérieure existante en monnaie nationale et gérer notre pays de façon à pouvoir y arriver.
Librement
Dr. Abdourahmane Sarr est Présidente CEFDEL/MRLD
Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp