POLICE, LA PERCÉE SILENCIEUSE DES FEMMES VERS LES SOMMETS
Leurs périodes de passage à la Police sont différentes, leurs responsabilités aussi, les femmes, surtout celles qui ont atteint des postes de responsabilités importants, ont marqué l’histoire de la police nationale
En 2019, la Commandant Seynabou Diouf de la Police nationale du Sénégal a été élue Meilleure policière du système des Nations Unies, pour son service au sein de la MONUSCO à Goma, dans le Nord-Kivu. Ce n’est pas la première fois qu’une telle distinction est décernée à une Sénégalaise. Seynabou Diouf est la deuxième à être honorée, après la Commissaire divisionnaire Codou Camara, en 2015. Auparavant, l’Inspectrice générale de Police, Anna Sémou Faye, a passé plus de 2 ans à la tête de ce corps. Une autre première dans l’histoire du Sénégal. Toutefois, pour la Commandant Seynabou Diouf, la distinction onusienne arrive donc comme une fleur de plus dans un parcours riche d’une quarantaine d’années dans cette institution, depuis que les Commissaires Aby Diallo et Codou Camara en ont ouvert les portes aux femmes. Leurs parcours ne sont pas isolés et montrent que les femmes frappent avec bonheur et honneurs aux portes de ce corps.
Leurs périodes de passage à la Police sont différentes. Leurs responsabilités aussi. Mais pour le journaliste et analyste des questions de défense et de sécurité Pape Sané, les femmes, surtout celles qui ont atteint des postes de responsabilités importants, ont marqué l’histoire de la Police nationale du Sénégal. «Les femmes ont su imprimer sa marque partout où elles sont passée dans ce corps. Elles ont aussi fait montre d’un leadership certain», opine-t-il. Les exemples ne manquent pas pour l’illustrer. Depuis, le Commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle Aby Diallo, ancienne Directrice des passaports et titres de voyages, qui a été l’initiatrice du Bureau des passeports au Commissariat de Dieuppeul («c’est elle qui a eu à faire les démarches. C’est elle qui a eu à convaincre les partenaires et à monter l’infrastructure»), le képi se porte ainsi avec bonheur sur la tête des femmes.
L’empreinte des femmes dans le corps de la Police c’est aussi, souligne Pape Sané, des agents comme Joséphine Sarr Diallo, qui a eu à être commissaire central de Dakar. Ou encore Aby Diallo, qui fût Directrice de la Police de l’air et des frontières. Mais surtout Anna Semou Faye, ancienne Directrice de la Police judiciaire. Elle reste aussi la seule femme à avoir étrenné le grade d’Inspectrice générale de Police et la seule Directrice générale de la Police nationale. Beaucoup n’ont pas eu à atteindre ce grade, mais cela n’a pas été un obstacle dans la persévérance des femmes, dont certaines ont fait la fierté de ce corps. «Avant la refonte du statut de la Police (entamée en 2000 sous le général Mamadou Niang et terminée en 2009), il y avait deux corps des Commissaires de Police. Le corps des Officiers de Police et le corps des Inspecteurs. Une femme comme Khary Sidibé, qui a dirigé les Commissariats de Bel-Air et de Reubeuss alors qu’elle était Officier de Police, a ainsi rempli des tâches à la hauteur de celles des Commissaires de Police ou en a fait plus. Ça prouve qu’elle était une battante», rapporte Pape Sané.
«DANS LES EFFECTIFS, LES FEMMES PLUS PERFORMANTES QUE LES GARÇONS»
Cheikhna Keita, président du Mouvement national des policiers à la retraite du Sénégal, tous corps confondus, n’a que de bons mots pour parler de la féminisation de la Police. Il la salue et regrette même le fait qu’elle a tardé à se matérialiser. «Le Sénégal a mis du temps à recruter des femmes. Dans les effectifs, on s’est rendu compte qu’elles sont plus performantes que les garçons.. La Police avait besoin de ces femmes parce qu’elles sont plus ouvertes, plus dynamiques. Et même dans la circulation, quand vous êtes interpellé par une femme, vous savez qu’elle est là pour vous appliquer la loi. En plus, elles ne sont pas aussi venues à la Police par hasard. Elles ont plus de diplômes que les hommes. Or c’est la compétence que nous demandons à notre Police», souligne-t-il.
M. Keïta déplore qu’elles soient moins représentées que les hommes dans les effectifs. «Les femmes ont un quota moindre. Nous devons faire de sorte que l’autorité puisse créer un équilibre. On a besoin d’elles pour que la Police retrouve sa place des années avant la radiation (Ndlr : 1987). Je veux dire la première en Afrique». Ce déséquilibre, malgré leurs compétences, se mesure aussi dans leur présence au niveau des instances internationales. «Dans les missions onusiennes, sur 142 éléments il y a que 7 ou 8 femmes. Ce n’est pas normal», déplore M. Keïta.
Avec la création de quotas, on aurait pu penser à un problème de niveau. Mais, ce sont des femmes aux têtes bien faites qui frappent désormais aux portes. M. Keïta pense néanmoins qu’une discrimination (positive) doit leur ouvrir davantage les rangs. «Demander aux femmes ayant le niveau du Bfem de passer par l’Armée avant d’intégrer la Police doit être revue. L’ancien président Abdoulaye Wade avait supprimé cette barrière pendant 5 ans. Il va falloir revenir sur cela. Il faut faire en sorte que les femmes viennent en force dans la Police », préconise M. Keïta.
LES FEMMES DANS LA SECURISATION DES PERSONNES ET DE LEURS BIENS : Près d’une trentaine de Commissaires pour relever des défis
En cette période ou la pandémie du Covid-19 dicte ses lois, un couvre-feu est instauré de 20h à 6h du matin. Les Forces de défense et de sécurité sont appelées à faire respecter la mesure. Parmi celles-ci, figure des femmes Commissaires de Police. Elles sont aux premiers rangs dans ce combat, comme dans bien d’autres. A la Médina, quartier populeux, où des jeunes défient parfois le dispositif sécuritaire, c’est une dame qui est aux commandes. Le Commissariat de Thiaroye, en banlieue dakaroise, est dirigé par une femme. Le Commissariat de Police de l’île à Saint-Louis est également commandé par une femme. Ailleurs, c’est le même constat. Des commissariats de zones stratégiques sont dirigés par des dames. C’est le cas de Dieuppeul, Dakar-Plateau, Guédiawaye, entre autres.
Des femmes sont aussi à la tête de départements. Ainsi, la Brigade des mœurs, la Brigade touristique, la Division de la cyber-sécurité sont toutes sous la Direction de femmes. Elles ont également une présence remarquable au niveau des services de renseignements. Un des quatre Commissariats spéciaux que compte le Sénégal, est dirigé par une dame. En somme, elles sont presque une trentaine de Commissaires dans les rangs pour bien assurer la sécurité des personnes et de leurs biens.
A côté des femmes commissaires, des agents s’illustrent aussi de manière remarquable dans l’exécution des tâches. En mars 2019, invitée sur le plateau du Grand Jury de la Radio futurs medias (Rfm), l’ancienne patronne du Bureau des relations publiques de la Police nationale, la Commissaire Tabara Ndiaye, avait indiqué qu’il y avait à l’époque environ 500 femmes dans le corps.
MEILLEURE POLICIERE DE L’ANNEE 2019 : Commandant Seynabou Diouf, la fierté onusienne
«Nous sommes vraiment fiers de vous. Vous faites honneur à votre pays. Vous faites honneur au maintien de la paix, aux Nations Unies et vous êtes une source d’inspiration pour tout le monde. Vos collègues, pour nous tous ici de New-York et pour les populations vulnérables que vous contribuez à protéger. Vous avez toutes nos félicitations et toute notre gratitude». C’est la Commansant Seynabou Diouf, une policière sénégalaise lauréate 2019 du Prix de la Policière des Nations Unies pour son service au sein de la Mission des Nations des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) à Goma, dans le Nord-Kivu qui revait ainsi les honneurs de l’Onu. C’était à New York, au siège des Nations Unies, le 5 novembre 2019, lors de la réception du prix onusien de la Policière de l’Onu de l’année 2019.
La distinction lui a été remise par le Chef des Opérations de la Paix de l’Onu, Jean-Pierre la Croix. Elle récompensait une carrière bâtie sur un terrain d’habitude réservé aux hommes. Sur le site Onuinfos, elle témoigne, dans une vidéo : «J’ai rejoint la Police nationale sénégalaise, le 15 octobre 1985. C’était avec un jour de retard. Ils avaient ouvert les classes le 14 octobre, mais avaient oublié qu’il y avait une femme recrutée : moi. Les années précédentes, il n’y avait jamais eu de recrutement féminin dans cet ordre des gardiennes de la paix. Si le corps de la Police était ouvert aux Officiers, aux Inspecteurs et aux Commissaires, le reste était fermé aux femmes. Ce n’est que le lendemain qu’on a appelé pour dire qu’il y avait une femme dans la promotion et qu’elle n’était pas encore là. Le 15 octobre 1985, j’ai rejoint les rangs, un jour après les hommes».
Officier de Police avec une expérience de plus de 33 ans dans divers domaines, son souhait n’était pas tout d’être une policière. Issue d’une famille élargie, elle voulait être docteur. De brillantes études ont balisé cette profession de foi. Mais, voulant être au chevet d’un père fonctionnaire qui était sur le point d’aller à la retraite, elle a mis un terme à son souhait de devenir médecin. La Police lui tend alors les bras. Avec deux options au choix : le concours des Officiers et celui des Gardiens de la paix. Le second lui réussit.
Réservé jusqu’alors aux hommes ayant accompli le service militaire, il allait cette fois consacrer sa «première dame», en la personnes de Seynabou Diouf. «La formation a été dure. Les exigences étaient hautes. On demandait à une femme de faire au moins 1 m 65 contre 1 m 80 pour les hommes. Physiquement c’était demandant. On est sortis avec deux majors, dont moi-même et un autre homme. Depuis lors, je n’ai jamais cessé de vouloir m’imposer un comportement strict pour pouvoir donner envie aux jeunes femmes de rejoindre la Police nationale».
Ce prix des Nations unies dont elle est la 2ème sénégalaise à recevoir, après la Commissaire divisionnaire Codou Camara, en 2015, illustre son parcours et ses sacrifices. Elle honore également le Sénégal qui compte parmi les cinq principaux pays contributeurs de personnel féminin de Police au monde dans les Forces onusiennes.
DIRECTRICE DE LA POLICE NATIONALE : Anna Semou Faye, la dame au sommet du commandement
Le 21 octobre 2015, dans l’enceinte de l’école nationale de la police et de la formation permanente, Anna Sémou Faye cède son fauteuil de directeur de la Police nationale. Pour lui succéder, le commissaire Oumar Mal. Mme Faye venait de boucler 2 ans et 2 mois de magistère et sa carrière constituait un repère dans les annales du Sénégal. «M. Macky Sall m’a élevée à un niveau jamais atteint par une femme dans ce pays», notait-elle dans son discours d’adieu.
A sa suite, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique d’alors, M. Abdoulaye Daouda Diallo, qui présidait la cérémonie, lui portait une «couronne de fleurs» : «Durant 26 mois, connue et appréciée par ses qualités de rigueur, sa riche expérience, son engagement constant pour la bonne cause et sa grande capacité de travail, Anna Sémou Faye a écrit des lettres de noblesse dans les plus belles pages de l’histoire de la police. Elle est la première femme à diriger de main de maître cette prestigieuse institution».
Le commissaire Oumar Mal remplaçait donc une référence. Il reconnaissait ainsi : «Elle a écrit l’une des plus belles pages de la police. C’est un honneur pour moi de la remplacer en vue de poursuivre son œuvre écrite en lettres d’or dans les annales de la police».
Pour le journaliste et analyste des questions de défense et de sécurité, Pape Sané, «le passage d’Anna Semou Faye à la tête de la police a suffisamment prouvé que les femmes étaient de grandes meneuses.
ENTREE DES FEMMES DANS LA POLICE : Médoune Fall, le précursseur
L’entrée des femmes dans la Police a commencé avec Médoune Fall, ministre de l’Intérieur entre janvier 1981 et avril 1983 sous le magistère du président Abdou Diouf. Les premières femmes à accéder au corps sont le commissaire Aby Diallo et Codou Camara. Après elles, Pape Sané, indique que la promotion de l’ancienne directrice de la police, Anna Sémou Faye a en suivie. Seulement, ajoute-t-il, à la décision de Médoune Fall, d’intégrer les femmes dans la Police, les corps subalternes comme les gardiennes de la paix, n’étaient pas concernés. Il a fallu explique-t-il, l’arrivée d’Ibrahima Wone (successeur de Médoune Fall au ministère de l’Intérieur) pour que les portes de ce corps soient ouvertes aux femmes. « L’une des premières à faire ce concours est de la 20éme promotion. Elle s’appelle Seynabou Diouf, récemment décorée comme policière de l’Onu, alors qu’elle était en mission au Congo », affirme-t-il.