ENTRE INCONGRUITÉS ET INCOHÉRENCES
Le président estime qu'il faudra "apprendre à vivre avec le coronavirus", mais il maintient inutilement le couvre-feu et l’état d’urgence qui plombent la relance de l’économie
«Apprendre à vivre avec le coronavirus». C’est ce que le Président de la République, Macky Sall, avait demandé aux Sénégalais, le 12 mai dernier, en assouplissant les mesures qu’il avait prises le 23 mars 2020. Pendant ce temps, il maintient inutilement le couvre-feu et l’état d’urgence qui plombent la relance de l’économie sénégalaise. Surtout, son secteur dit informel.
«Le confinement et les mesures de restrictions ne servent à rien, car la transmission n’a pas été rompue au bout de deux mois. Le virus continue toujours à circuler». Cette déclaration de l’expert en santé publique, Dr Moussa Thior, ancien coordonnateur du programme de lutte contre le paludisme (Pnlp), est plus qu’éloquente. Surtout, depuis le 12 mai dernier, quand le président de la République a demandé à ses compatriotes «d’apprendre désormais à vivre avec la Covid-19». Par la même occasion, il adoucissait le couvre-feu qui passait de 21 heures à 5 heures du matin, ouvrait les lieux de culte et les marchés, autorisait les marchés hebdomadaires (loumas).
De nouvelles mesures qui s’apparentent bien à un «permis» de ramener le virus chez soi ; de le transmettre à son entourage sans le vouloir et/ou le savoir. Surtout avec l’autorisation des déplacements interurbains, qui participe grandement à la propagation de Covid-19 dans la région de Dakar et ses 13 communes que sont Rufisque, Dakar, Pikine, Bargny, Guédiawaye, Sébikotane, Diamniadio, Jaxaay Parcelles - Niakoul Rab, Sendou, Sangalkam, Yenne, Bambylor, Tivaoune Peul-Niaga. C’est dire simplement que le maintien de l’état d’urgence ne se justifie plus ; à moins que la volonté des autorités ne soit de maintenir un régime d’exception qui permet de légiférer par ordonnance et de prolonger les marchés de gré à gré.
LE CALVAIREDES PETITS METIERS
Face aux incohérences de la riposte auxquelles seules les autorités centrales semblent s’accommoder, les populations continuent de boire le calice jusqu’à la lie. La ruralisation de la capitale sénégalaise témoigne si besoin en était de la crise qui sévit dans le pays. Des charrettes, piétons et autres véhicules se disputent la chaussée et les grandes avenues. Des trottoirs «privatisés» à cause de l’acte III de la décentralisation qui confine davantage les communes d’arrondissement. Lesquelles, elles aussi, cherchent la queue du diable pour la tirer afin de ne pas mourir de leur belle mort, à cause de l’absence des recettes nécessaires pour leur fonctionnement. Pendant ce temps, les petits métiers entretenus par les maçons, tailleurs et autres coiffeurs, cherchent le bout du tunnel. Quid des jeunes cultivateurs qui se voient refuser le retour à la terre natale à la veille de l’hivernage? Ce climat installe progressivement une tension de plus en plus manifeste dans le pays.
A l’image des jeunes Jakartamen (conducteurs de moto-Jakarta) qui récemment, ont sonné l’alerte en mettant sens dessus dessous la ville de Tambacounda, parce que, disent-ils, «on n’en peut plus de voir notre activité confinée par un arrêté du gouverneur». Ils ont investi les rues de la ville et brûlé des pneus sur la route nationale pour réclamer la reprise des transports. A Dakar, ce sont les transporteurs qui sont sortis du bois pour protester contre le maintien de l’interdiction de la circulation interurbaine. D’ailleurs, le secrétaire général du Syndicat des transporteurs routiers du Sénégal, Alassane Ndoye, avait menacé de donner l’ordre de rouvrir les gares routières si les autorités ne réagissaient pas.
Quant à Gora Khouma, autre responsable syndical, il a demandé à l’Etat d’aller jusqu’au bout de sa logique. Autrement dit, d’ouvrir les gares routières comme il l’a fait avec les établissements scolaires, les lieux de culte etc. A ces récriminations, il faut ajouter l’accentuation de la paupérisation de nos villes et de nos villages. Tout un cocktail explosif qui risque de déboucher sur des émeutes de la faim.
DROLE DE FAÇON DE RELANCER L’ECONOMIE NATIONALE
L’autre incohérence voire incongruité de la riposte de l’Etat face à Covid-19, c’est l’octroi d’un pont aux travailleurs au moment où le monde entier est préoccupé par la relance des économies. La France envisagerait même de réduire les jours fériés dits chômés et payés qui sont au nombre de 11 dans l’année contre… 15 au Sénégal. Le ministre du Travail, du dialogue social et des organisations professionnelles a rappelé la loi 74- 52 du 4 novembre 1974 modifiée par la loi n°83-54 du 18 février 1983 et la loi n°89-41 du 26 décembre 1989 qui indique que «lorsque une fête religieuse tombe un dimanche, le lundi est déclaré chômé et payé». Ce qui est le cas cette année avec la Korité célébrée avant-hier, par une bonne partie des musulmans du Sénégal. Les bailleurs et autres partenaires publics au développement devraient rire sous cape. Offrir un pont aux Sénégalais dont les heures de travail sont drastiquement réduites et demander en même temps une annulation de la dette de l’Afrique, il y a quand même une grosse incohérence dans la démarche. Surtout pour un pays qui se veut émergent.