ABDOU FALL SANS MASQUE
Du flottement dans la gestion de la covid-19 dans un contexte de controverse autour de l’organisation du Magal, en passant par la crise malienne et la question du troisième mandat, l’ancien ministre de la Santé n’occulte aucune question

Du flottement dans la gestion de la covid-19 dans un contexte de controverse autour de l’organisation du Magal, en passant par la crise malienne et la question du troisième mandat, l’ancien ministre de la Santé Abdou Fall n’occulte aucune question. Avec son background riche de plusieurs décennies de pratique politique de haut niveau, d’abord sous Cheikh Anta Diop, puis aux côtés de Babacar niang, l’ancien président du groupe Sopi à l’assemblée décrypte l’actualité dans cette interview avec «L’As».
«L’as » : On note une apparence de flottement dans la gestion de l’épidémie de la Covid-19. Est-ce votre point de vue?
Abdou Fall : Je ne sais pas sur quoi un tel sentiment est fondé. Car si on s’en tient aux indicateurs de performance, les résultats du Sénégal sont très honorables autant sur nos pourcentages de malades guéris que sur notre taux de mortalité qui est bien en deçà de la moyenne africaine et de la moyenne mondiale. Il faut rappeler toutefois que nous sommes devant le cas d'une crise sanitaire sans précédent dont les répercussions sont très lourdes sur la marche de la société dans son ensemble. Les questions qu’elle soulève et parfois les passions qu’elle suscite sont de l’ordre normal des choses. Les changements provoqués sont profonds et brutaux. Il nous faut faire preuve d’ouverture, de lucidité et de sérénité pour y faire face avec efficacité d’autant que personne ne sait quand ça va finir ...
Le débat se pose sur des risques de flambée en perspective du Magal et du Gamou. Cela n’est-il pas inquiétant ?
Il faut d’abord prendre acte du fait que les leaders de toutes obédiences ont répondu sans exception à l’appel du Président Macky Sall à la mobilisation nationale contre la covid-19. Ils ont participé à la campagne exceptionnelle de communication qui a contribué sans conteste sur les résultats obtenus dans la maîtrise de l’épidémie dans des limites supportables par notre système de santé. Cette dynamique doit être maintenue et soutenue. Il se pose toutefois des questions légitimes sur la meilleure manière de gérer sans gros risques à la fois le respect des mesures barrières et la reprise de l’activité économique et sociale, quand on sait la place que les obligations de l'entretien des liens sociaux occupent dans notre culture qui, dans une large mesure, se confond avec nos religions. C’est là un sujet difficile qui ne peut être traité dans le cadre d'une délibération unilatérale. La configuration propre à notre société du fait de son histoire commande une gestion tout à fait adaptée aux réalités de notre contexte socioculturel. Il est cependant remarquable de noter, en ce qui concerne par exemple le prochain Magal de Touba, toutes les mesures prises par le Khalife et les dignitaires de la communauté pour faire respecter par les fidèles les consignes particulières édictées à cette occasion. Nous avons là une excellente opportunité pour donner à la stratégie de gestion communautaire de la crise sanitaire un contenu vivant, créatif, élaboré entre les services décentralisés de l’Etat et de la santé, l’équipe de recherche de socio-anthropologie du Dr Cheikh Niang et les membres des communautés concernées….C’est dans cette approche de cogestion de la crise entre personnels de santé et les citoyens dans les terroirs que réside à mon avis la clé de la prise en charge individuelle et collective de cette crise bien difficile…
De façon récurrente, il est noté néanmoins des mouvements d’humeur parmi certains membres influents des familles religieuses. A quoi attribuez-vous ce phénomène?
Nous vivons un contexte de démocratie d’opinion caractérisé notamment par le développement des réseaux sociaux, ce qui entraîne une sur médiatisation des expressions singulières au point de donner l’impression d’une permanence de tensions dans notre environnement quotidien. Je pense qu’il faut prendre acte des expressions dans leurs diversités. Mais je reste convaincu que nous avons encore tous les atouts en main pour conforter notre statut de démocratie majeure et apaisée qui a largement fait ses preuves. Je suis toutefois de ceux qui restent convaincus que la pratique de la concertation et de la consultation des personnalités de bon conseil doit constituer de nos jours un des moyens privilégiés d’exercice d’une démocratie rénovée, de plus en plus participative et délibérative répondant au mieux à des attentes citoyennes complexes, et à la fois pressantes et exigeantes.
Parlons justement du dialogue national. On a bien l’impression qu’il est plombé depuis sa suspension pour cause de Covid.
Cette mesure de suspension se justifiait pleinement dans cette première étape de gestion de l’épidémie. Je pense maintenant, comme l'a rappelé le Président, qu’il est temps de finaliser ces travaux dans des délais précis qui lui donnent l’occasion d’en tirer les conclusions à traduire en décisions. Les urgences sont aujourd'hui très sérieuses. Elles sont dans les défis majeurs à relever dans la poursuite de la lutte contre la pandémie, la relance de l’économie, la poursuite des grandes réformes structurelles, la prise en charge des défis sécuritaires dans la sous-région. Autant de questions fondamentales qui appellent des réponses à appliquer avec rigueur, détermination et efficacité.
Le débat politique est de plus en plus animé par de nouvelles forces émergentes à l’image de Sonko et d’autres figures comme Abdou Mbaye, Lamine Diallo et des activistes comme Guy Marius Sagna... Les partis traditionnels sont comme muets... quelle lecture vous faites de cette situation ?
Je crois profondément à l’expression plurielle des opinions. Je constate simplement que les principales forces politiques du pays, le Pds chef de l’opposition parlementaire, le leader de Rewmi et de sa coalition, second à la présidentielle de 2019, constituent les deux pôles les plus significatifs d’une opposition ayant capitalisé une expérience de pouvoir qui leur donne certainement une lecture plus claire des enjeux. Je pense que c’est une des chances de notre pays d’avoir une classe politique largement dominée par des hommes et des femmes d’une grande maturité politique capables d’appréhender chaque contexte dans ce qu’il y a d’essentiel. C’est peut-être ce qui explique ce décalage notoire dans les attitudes des acteurs politiques que vous venez de citer.
Les questions sécuritaires, avec l’ampleur des mouvements armés djihadistes, se posent de façon brutale en termes de paix et de stabilité pour tous nos pays. quelle attitude face à cette situation d’une extrême gravité?
La paix et la stabilité sont en effet les conditions essentielles sans lesquelles aucun pays ne peut réussir son développement. Il suffit de promener son regard sur ce qui se passe autour de nous et â travers le monde, voir la désolation et la misère des femmes et des enfants des pays confrontés à des conflits armés pour mesurer l’étendue des responsabilités qui pèsent sur notre pays, ses dirigeants et ceux de la sous-région. Je pense sincèrement, en mon âme et conscience, que les dirigeants africains, ceux de notre sous-région en particulier, n’ont jamais été autant interpellés qu’ils le sont aujourd'hui sur la question de l’unité politique de notre continent. La réponse à la question sécuritaire au Sahel sera régionale, c’est-à-dire portée par la communauté des Etats dans cette espace, ou ne sera pas. C’est par des forces de défense unifiées que les Etats du Sahel se donneront les moyens d’éradiquer les mouvements armés extrémistes qui installent la terreur dans la plupart des pays de la sous-région. C’est en s’attaquant de front à la question politique de la force de défense unifiée que la CEDEAO consolidera son leadership d’organisation communautaire africaine d’avant-garde, impulsant du coup une dynamique d’entente politique qui ne peut manquer d’avoir un retentissement et un impact certain dans le processus d’unité politique du continent. En général, les périodes de crises sont aussi de grands moments d’opport unité. Il est temps que les intellectuels, les hommes politiques, la société civile, les travailleurs et le mouvement démocratique en général, avec le concours des médias, s’emparent de ces sujets pour en faire les bons débats dans nos pays. Les graves crises qui traversent l’Afrique de nos jours, des crises de nature à affaiblir les Etats et à exposer les nations à des risques d’implosion interpellent nos leaders sur les nouvelles vocations et missions à donner aux organisations régionales du continent. La question de l’unité politique du continent doit s’imposer à nouveau dans l’agenda de la CEDEAO et de l’Union Africaine si nous voulons réconcilier ces organisations avec l’opinion et les peuples du continent. Dans la foulée, des initiatives remarquables qu’il a prises dans le contexte de la lutte contre la covid sur l’annulation de la dette et le combat pour un nouvel ordre mondial, le Président Macky Sall a un rôle important à jouer dans l’impulsion nécessaire de nouvelles dynamiques en faveur de l’unité politique du continent.
Quelle sortie de crise pour le Mali, selon vous ?
Le Mali est aujourd'hui le concentré de tout ce que nous venons de dire sur la situation politique et sécuritaire dans le Sahel. C’est pour avoir fondamentalement échoué dans toutes les tentatives d’entente entre les parties prenantes à la crise sécuritaire, identitaire et politique que le pays se trouve aujourd'hui dans la situation particulièrement difficile qu’il traverse. Je reste convaincu encore une fois que c’est dans une entente entre les acteurs politiques et civils du pays sans exclusive d’une part, y compris la famille politique du Président IBK entre eux et le comité militaire d’autre part, et sous l’égide de la CEDEAO et de la communauté internationale que les termes d’un accord définitif et durable seront trouvés.
M. Moussa Mara, ancien premier Ministre malien, suggère le retour à un Etat fédéral entre le Sénégal et le Mali. Cela est-il pertinent ?
Venant d’un homme d’Etat de son rang, ayant exercé d’aussi importantes responsabilités dans son pays, cet appel retentit comme un message de haute portée politique et symbolique. Je l’interprète comme la manifestation d’une forte volonté de rupture dans nos approches des problèmes sérieux et graves du continent africain. Il exprime ainsi un profond sentiment de confiance dans notre pays et au Président Macky Sall, chef de l’Etat et leader de la majorité... Je retiens en dernière analyse que c’est encore une fois la CEDEAO et ses leaders qui sont interpellés dans leurs responsabilités collectives face aux défis sécuritaires et de développement de notre espace communautaire, confronté à toutes les vulnérabilités...
Les débats sur les mandats installent des pays de la sous-région tels que la guinée et la Côte d’ivoire dans une situation de tension avec de réels risques de dérapages....Quel est votre regard sur cette question d’actualité?
Entendons-nous d’abord sur ce sujet. Pas question de glisser sur le Sénégal après ma réponse pour la Guinée et la Côte d’Ivoire (rires ...)
Mais pourquoi...?
Je refuse par principe de discuter de cette question avant les prochaines élections législatives. On n’est même pas au premier anniversaire de la dernière élection présidentielle et on veut nous engager sur la prochaine présidentielle alors que ni les locales, ni les législatives n’ont encore lieu… C’est pourquoi je refuse de m’inscrire dans ce débat qui n’est pas le mien pour l’instant. Attachons nous d’abord à réaliser le programme sur lequel notre candidat a été élu en 2019. Comment participer à sa réalisation pour en faire profiter le maximum de Sénégalais, voilà mes soucis du moment...
Revenons alors à notre sujet sur la Guinée et la Côte-d’Ivoire.
Sur ces sujets, il y a des options à prendre qui relèvent de choix politiques. Deux voies peuvent être empruntées : la voie de la rue ou la voie des urnes. Celle de la rue consiste à appeler aux émeutes et à l’insurrection avec ce que cela comporte comme coûts politiques et humains, même si on "gagne"... C’est un combat de perdants pour toutes les parties en général. On ne construit pas dans la rue ! Ou bien, on choisit la jurisprudence Macky Sall comme disait le Président Aymérou Gningue dans une récente interview. On s’en tient au respect de la décision de la cour constitutionnelle. Qu’elle décide de l’invalidation ou pas, on s’assure de la fiabilité du système électoral, et on bat bonne campagne en investissant sa confiance sur les électeurs...En 2012, c’était le choix du candidat Macky Sall et de ses alliés. Sa coalition est sortie largement victorieuse de l’élection malgré l’arrêt du conseil constitutionnel validant la candidature du Président sortant... Il appartient aux acteurs politiques des pays cités d’opérer leur choix en toute souveraineté et en toute responsabilité...