POUR UNE HISTOIRE GAGNANTE-GAGNANTE (2/3)
EXCLUSIF SENEPLUS - Alors que Macky Sall a soutenu l’édification salutaire d’une histoire Générale du Sénégal, il est plus hésitant voire passif face au débat sur le déboulonnement. Mieux vaut-il protéger Faidherbe pour sauver le TER
En quête de nouvelles forces mentales sénégalaises
Rappelez-vous, dans la première partie, j’avais décrit la construction nationale du Sénégal autour des connexions intra-africaines et extra-africaines. Il en était résulté un syncrétisme historique et un modèle de cogestion démocratique original. Le concept d’histoire gagnante-gagnante invitait alors à ne mettre en marge aucune composante historique du Sénégal dans la réécriture par le vaincu devenu vainqueur. Aujourd’hui, je m’intéresse au même concept, cette fois-ci dans la relation franco-sénégalaise et sous l’angle d’une nouvelle mémoire, qui se déclinera en deux parties : présentement le Sénégal, et ultérieurement la France.
Pour un rapport gagnant-gagnant avec la France, le Sénégal devrait replacer son histoire au cœur de la reconstruction nationale. C’est à cette condition sine qua non que la relation historique se rééquilibrera ou s’équilibrera. Le déboulonnement de Faidherbe dont on parle tant, est loin d’être anecdotique : il contribuerait en partie à effacer une histoire refabriquée par les anciens colons et à ériger en martyrs les anciennes victimes de la résistance au colonialisme. Tous les pays ont eu recours à la réécriture de la défaite, à l’exemple de Vercingétorix, un « loser » (il était en surnombre !) devenu sur le tard une gloire nationale. Je me répète ; la proposition d’une statue de Ndaté Yalla en lieu et place de Faidherbe me parait la plus pertinente.
Grâce à la création d'une mémoire collective contre la colonisation, l’enjeu de la reformulation de l’histoire pour le Sénégal est bel et bien de tenir tête à son ancien « maître » et d’acquérir une force mentale réelle pour rendre le Sénégal plus robuste dans les négociations et dans la défense de ses intérêts. C’est dire si l’écriture de l’histoire n’est pas la seule affaire des spécialistes mais bien plus, celle d’un peuple pour sa place dans le monde et le développement de son pays. C’est dire si l’histoire n’est pas une perte de temps en période de récession mondiale, bien au contraire c’est un levier mental pour l’économie. Toutes les puissances régionales font appel à leur histoire afin de se repositionner dans le cadre de la nouvelle géopolitique du XXIème siècle qui se dessine sous nos yeux : La Turquie et l’Empire Ottoman (Libye, méditerranée), la Russie et l’époque des tsars (la Crimée), l’Iran et la Perse, etc.
Alors que Macky Sall a soutenu l’édification salutaire d’une histoire Générale du Sénégal, il est plus hésitant voire passif face au débat sur le déboulonnement surgi à la suite de la mort de George Floyd et en pleine crise de la Covid-19. A première vue, il est compréhensible que le président sénégalais prioritise la reprise économique et prêche l’annulation de la dette africaine. Mieux vaut-il dans ce contexte protéger Faidherbe pour sauver ainsi le TER long de 37 km et la rallonge du PSE, murmure-t-il sûrement dans le salon du palais de Faubourg-Saint-Honoré, vêtu de son costume bleuté assorti aux couleurs du mobilier élyséen ! Ce faisant, il peut compter sur la fidélité et complicité de son beau-frère, maire de Saint-Louis : Mansour Faye opposa une fin de non-recevoir au déboulonnement de l’ancien gouverneur. Bingo ! Le Sénégal vient d’obtenir de la France 17,6 milliards de francs pour faire démarrer le TER en fin d’année.
A Paris, le 27 août, devant un parterre de chefs d’entreprise français, Macky Sall livre un discours somme toute conformiste. Les entreprises françaises ne goûtent guère aux leçons de l’histoire. L’influent Institut de Montaigne, think tank français à tendance libérale, avait déjà préconisé la théorie du Restart (remettre les compteurs à zéro), à savoir écarter le passé qui est un boulet pour les entreprises françaises dès lors que celles-ci font du business dans le ressort des anciennes colonies de la France. Le MEDEF a donc consciemment ou inconsciemment dicté le discours de Macky Sall. Ce dernier n’a pas eu la force mentale d’intégrer la dimension politico-historique et patriotique du Sénégal. Une occasion ratée de gagner un peu de sympathie auprès de ses concitoyens au moment où les bacheliers ont les pieds dans l’eau !
Quelles que soient les résistances actuelles au déboulonnement de Faidherbe, ce processus de décolonisation, long à se profiler depuis l’indépendance, est irréversible. L’effervescence des intellectuels et de la jeunesse autour de cette question aura tôt ou tard gain de cause sur les politiques épouvantés d’être déplaisants à l’égard de la France. Il n’est pas impossible qu’une crise du pouvoir au Sénégal sur le 3ème mandat entraîne des colères populaires avec la perspective de s’en prendre à la statue de Faidherbe, liée à tort ou à raison au régime de Macky Sall.
Les dirigeants sénégalais se méprennent d’ailleurs : la nouvelle mémoire franco-sénégalaise a besoin d’une confrontation des visions de l’histoire. Il ne s’agit pas de blesser dans son orgueil la France mais de « forger une mosaïque de savoirs, soucieux de coller au réel du passé », selon l’un des concepteurs de l’histoire globale, Howard Zinn.
Jusqu’alors, l’ère de l’assimilation culturelle et son pendant le déni culturel envers l’Afrique s'imposaient dans les relations franco-sénégalaises. C’est ainsi que le discours de Dakar a été rendu possible. C’est ainsi que le premier voyage officiel d’Emmanuel Macron en terre africaine fût consacré aux militaires de la force d’intervention Serval à Gao tandis qu’en Chine son premier acte fût d’ordre culturel avec la visite de l’armée enterrée de l’empereur Qinshi Huangdi. C’est ainsi que les ambassadeurs français en poste au Sénégal font depuis la nuit des temps des sorties discourtoises en termes diplomatiques. La liste est loin d’être exhaustive.
C’est en partie la faute du Sénégal. La France se serait accommodée d’un rapport de force historique si les chefs d’Etat sénégalais avaient affiché une relation plus patriotique et culturelle. Rien ne les empêchait si ce n’est ce sentiment de docilité hérité de la pensée coloniale ! L’Algérie est le contre-modèle du Sénégal : ce pays a acquis son indépendance à l’issue d’une guerre et il eût été impensable qu’un chef d’Etat algérien parlât d’un traitement de faveur pour ses tirailleurs ! Ce pays n’a jamais marchandé une once de dignité historique. A telle enseigne que c’est à Alger où le candidat Macron assimila la colonisation à un crime contre l’humanité. Cet été, le président français missionna l’historien franco-algérien Benjamin Stora pour réfléchir sur la mémoire franco-algérienne et de fait sur la colonisation.
La France a besoin de l’Algérie pour la Libye et le Mali entre autres. Elle ne peut s’en rapprocher qu’en lâchant du lest sur les « bienfaits » de la colonisation si chers à Nicolas Sarkozy. Bien que le Sénégal, aux côtés de la Côte d’Ivoire, est la citadelle vaubanienne de la France-Afrique, il semblerait que l’histoire soit sacrifiée sur l’autel des intérêts commerciaux. Souvenez-vous de la remise d’un sabre contre 7 contrats commerciaux ! Pour Emmanuel Macron, la restitution des biens culturels devient une arme d’échange contre le silence sur la période coloniale en Afrique subsaharienne. La récente discussion à l’Elysée au sujet du Musée de la civilisation noire en est une parfaite illustration.
Dans la relation franco-sénégalaise, le pays de la Terranga accuse un déficit historique certain. La balance soft power (influence culturelle) tourne largement à l’avantage de la France. Me diriez-vous, il y a déjà tant à faire au Sénégal avec l’histoire que cela pourrait attendre ! Les ancêtres des manuels d’histoire de la France remontent au XVIème siècle. Le Sénégal ne fait qu’amorcer sa réécriture de l’histoire. L’entreprise ressemble aux douze travaux d’Hercule.
La période est, convenons-en, pourtant stimulante. Jean Jaurès, exalté, nous l’avait formulé en ces termes : « L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention, et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création ». La créativité (nouveaux projets en particulier dans le tourisme culturel), le courage (nouvelle force mentale) et la mémoire (« L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue » Nietzsche) sont les constituantes du futur du Sénégal. Autant commencer le plus rapidement possible par le déboulonnement de Faidherbe pour entamer ce chantier titanesque de la réécriture de l’histoire, pour donner une nouvelle force mentale indispensable face aux défis qui attendent le Sénégal et pour faire émerger une réelle doctrine politique de l’histoire du Sénégal ayant pour effet d’influencer à son tour la France et le monde !