COUSINAGE À PLAISANTERIE, PUISSANT GARANT DE STABILITÉ SOCIALE
Le cousinage à plaisanterie, qui a cimenté des liens entre différentes ethnies dans notre pays et un peu partout en Afrique, continue de jouer un rôle fédérateur
Le cousinage à plaisanterie, un concept bien populaire dans notre pays, renvoie à ces plaisanteries entre « roi » et « captif » au sein de membres d’ethnies différentes. Chacun aime se prévaloir d’être le roi, taxant l’autre d’être son esclave. Cette pratique bien courante entre Peuls et Sérères ou entre Sérères et Diolas a des racines bien ancrées dans la société sénégalaise. Quand un Sérère croise un parent peul, il l’appelle, avec un sourire amusant, « matioudo » (esclave), s’attendant à une riposte, et vice-versa. Ce n’est pas fortuit si le Toucouleur nourrit le sentiment d’être chez lui en milieu sérère. Les réactions similaires sont notées entre Diolas et Sérères. Et les exemples de ce genre sont tout aussi multiples.
« À longueur de journée, que ce soit dans les rues ou dans les transports en communs, l’on assiste à des scènes de provocation entre personnes qui ne se connaissent même pas souvent. Parfois, il suffit d’entendre un patronyme, par exemple Camara ou Diop, pour que parte une flèche ou une attaque…fraternelle. La conversation s’installe, l’atmosphère se détend », explique la sociologue Selly Bâ. Les Sénégalais ont tenu à préserver la sacralité d’une tradition présentée comme un vecteur de stabilité et de paix sociale. Elle a permis d’huiler des rapports et de créer un rapprochement entre « kal » pour parler comme les Wolofs ou « gamou » pour reprendre l’expression pulaar ou sérère.
« Sous l’étiquette de « gamou », un Wolof peut taquiner un Peul ou vice-versa sans que cela ne soit source de conflit. L’un des rôles du cousinage à plaisanterie, c’est qu’il est fédérateur et garant de la stabilité sociale », explique le socio-anthropologue Pape Ngor Sarr Sadio. Il évoque, à cet effet, la célèbre légende d’Aguene et de Diambogne qui encadre l’interaction sérère/diola. Cette histoire renvoie au voyage en pirogue de deux sœurs qui ont été séparées par le naufrage de leur barque. Leur pirogue a chaviré aux environs de Sangomar, dans la région de Fatick. Diambogne se retrouve dans les îles du Saloum, fief des Sérères, et Aguène atterrit au sud du pays, chez les Diolas. Un cousinage bien établi entre Sérères et Diolas l’est aussi pour les Peuls. Ces derniers auraient cohabité avec leurs parents sérères dans la vallée du fleuve avant que ceux-ci ne prennent la décision de poursuivre leur voyage à l’intérieur du pays.
L’alliance à plaisanterie est aussi pratiquée par des membres d’une même ethnie qui ont des patronymes différents. L’explication est donnée par Étienne Smith dans une publication intitulée « La nation par le côté. Le récit des cousinages au Sénégal ». Il y indique que les liens de cousinage constituent le « ciment » entre les différentes composantes ayant un « air de famille ».
Il cite des exemples bien populaires dans notre pays. C’est le cas entre Ndiaye et Diop, Mbaye, Wade, Samb, Mboup, Mbacké, Ndaw, Bousso, Fall, Niang, Guèye, Diagne, Ndoye, Thioune, Mbengue, Niang ; Sène, Diouf, Faye, Ngom ; Cissé, Kébé, Touré, Mbaye ; Guèye, Seck ; Sow, Dièye, Sall, Sarr, Thiam, etc.