DE SENGHOR À MACKY SALL, LE COUP D’ÉTAT PERMANENT
EXCLUSIF SENEPLUS - Le président songerait à former un gouvernement d’union nationale. Ce ne serait rien de bien nouveau. L’enjeu, c’est d’assurer la survie du système pour encore cinq ou même dix ans au moins
Le président Macky Sall penserait à former un gouvernement d’union nationale. Ce ne serait rien de bien nouveau : il s’agira d’un remake du « gouvernement à majorité présidentielle élargie » d’Abdou Diouf de 1995.
Le président en exercice marche en fait sur ce point comme sur d’autres, sur les pas de son prédécesseur socialiste qui lui-même suivit les traces de celui dont il a hérité de la fonction par dévolution constitutionnelle, si l’on peut dire. Tout comme le président Abdoulaye Wade qui ne toucha en rien au système politique conquis pourtant de haute lutte.
En fait, de Senghor à Macky Sall, il s’est agi de renforcer sans cesse les pouvoirs déjà exorbitants du président de la République et d’allonger autant que possible la durée de son mandat, avec la bénédiction du judiciaire, Cour Suprême ou Cour constitutionnelle.
De Senghor à Macky Sall
Les constitutionalistes indiquent que de 1960 à nos jours, notre pays a adopté successivement trois constitutions et pas moins de 8 révisions constitutionnelles dans le seul but de renforcer sans cesse les pouvoirs du président de la République, d’en prolonger la durée du mandat au-delà de l’échéance initialement convenue et même d’en contrôler la transmission.
C’est cela le « coup d’état permanent » au Sénégal : cette constitution qui fonde un président tout puissant, des maquignonnages récurrents du texte fondamental et des institutions de la République pour conforter sans cesse les pouvoirs du président de la République, allonger la durée de son mandat, enlever toute limitation et annihiler toute capacité à toute institution d’exercer le moindre contrôle de l’Exécutif.
Ainsi dès 1967, le président Senghor revient sur la constitution qu’il avait commanditée et fait adopter après le coup d’état contre Mamadou Dia en 1963 : la durée du mandat est portée de 4 à 5 ans et la limitation des mandats est supprimée. Aussi se fit-il élire après 1963, en 1968, 1973 et 1978.
Il institue à nouveau en 1970 le poste de Premier ministre qu’il avait pris soin de supprimer puis fait insérer un article 35 dans la constitution de 1976 faisant du Premier ministre son dauphin.
Le dauphin constitutionnel Abdou Diouf disposera des institutions de la République dans le même esprit que son prédécesseur. Pour renforcer « l’autocratie présidentielle », il fera du Secrétaire Général à la présidence de la République M. Jean Collin, la deuxième personnalité de l’Etat grâce à son contrôle du Parti Socialiste au pouvoir, de l’Assemblée Nationale et de l’administration publique.
Il se fera ainsi élire en 1981, puis 1988 et en 1993, puis face à la montée de l’opposition malgré la répression, il rétabli le poste de Premier ministre supprimé dès 1983, instaure en 1995 « le gouvernement de majorité présidentielle élargie » auquel participe les principaux partis d’opposition. Il obtient ainsi un répit pour finir son troisième mandat tout en se donnant une image de rassembleur qui contribuera à lui aménager une sortie honorable du pouvoir.
M. Abdoulaye Wade qui arrive au pouvoir en 2000 porté par une espèce de front commun des forces de gauche et qui fait adopter aussitôt de manière consensuelle une constitution qui reste cependant dans l’esprit de celle de Diouf et Senghor, persévèrera dans la logique du renforcement constant du pouvoir présidentiel autocratique.
Du report de l’élection présidentielle du 25 janvier au 3 juin 2007, au décret établissant la répartition des députés par département, de la suppression du Sénat à la création du Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales (CRAES) puis au remplacement de cette institution, M. Wade aura tout fait pour phagocyter les institutions de la République ou les liquider tout simplement.
Il voulut même faire adopter par l’Assemblée nationale, un projet de loi adopté le 16 juin 2011, à quelques mois du scrutin de février 2012, permettant l’élection du président de la République au premier tour à la majorité simple avec seulement 25% des suffrages, avec un « ticket présidentiel » dont le vice-président serait à la fois l’adjoint et « l’héritier constitutionnel » du président.
On vit bien que c’était là le parachèvement de « la dévolution monarchique » du pouvoir qu’il concoctait de longue date et qu’il s’agissait de se faire succéder par son fils Karim Wade.
Le 23 juin 2011, la mobilisation populaire en face de l’Assemblée nationale, l’obligea à retirer le projet de loi en catastrophe. Il perdit les élections de février 2012 qui étaient les troisièmes auxquelles il prenait part alors que la constitution de 2001 qu’il avait lui-même élaborée limitait les nombre de mandats présidentiels à deux.
Et maintenant Macky Sall
Macky Sall qui a battu le président Wade à l’issue du deuxième tour de l’élection présidentielle de février 2012 avec le soutien de l’ensemble de l’opposition et de la société civile, sur la vague promesse d’appliquer les recommandations des Assises Nationales, s’inscrira en fait dans la continuité de ses prédécesseurs.
Des Assises Nationales, il fera semblant dans un premier temps de retenir certaines recommandations en organisant des commissions sur la réforme des institutions, sur le foncier et sur la justice sans jamais les mettre en œuvre.
Il reviendra sur son engagement pris avant le deuxième tour de la présidentielle de ramener dès son arrivée au pouvoir la durée du mandat présidentiel de 7 ans à 5 ans et reportera par référendum constitutionnel la mise en œuvre de la réforme de la constitution dans ce sens au prochain mandat.
En 2017, il fera arrêter et condamner à 5 ans de prison le maire de Dakar Khalifa Sall qui apparaissait alors comme son principal challenger à l’élection présidentielle de 2019.
Puis il introduit en avril 2018, un système de parrainage qui lui permet de réduire drastiquement le nombre de candidats. Il est élu pour un second mandat à l’issue de l’élection du 24 février 2020 avec les moyens de ses prédécesseurs : implication de l’administration et des marabouts et corruption de masse.
A peine élu, il supprime le poste de Premier ministre incarnant désormais l’Exécutif à lui tout seul et après un mandat de 7 ans et à l’entame d’un deuxième de 5 ans, ne voilà-t-il pas qu’il déclare ne dire « ni oui ni non » quant à son intention de briguer un troisième mandat ?
Puis de convoquer « une concertation nationale » dans le dessein manifeste de rééditer le coup d’Abdou Diouf du « gouvernement de majorité présidentielle élargie » qui lui donnera une porte de sortie à travers un « dauphin constitutionnel », permettant ainsi au système de se perpétuer comme naguère ou par le biais d’un « chef de l’opposition » adoubé. Ou même en s’obligeant à un troisième mandat.
En attendant, on reportera encore les élections locales initialement prévues en juin 2019 puis en décembre 2019 et maintenant en mars 2021 (?). Il s’agit de gagner du temps. L’enjeu, c’est d’assurer la survie du système pour encore cinq ou même dix ans au moins.