NDELLA MADIOR, LA LINGUÈRE QUI CHOQUE ET FASCINE
Ndella, tel que le suggère Paolo Freire dans la pédagogie des opprimés (1975), vient de « libérer la parole ». Oui, les femmes sénégalaises ont droit au bonheur charnel et elles le veulent. Dorénavant, elles le réclament
En brisant le tabou qui entoure les rapports hommes-femmes dans le ménage, Ndella Madior bouscule les traditions et mœurs sénégalaises qui « sacralisent » la femme car elle est le socle sur lequel repose les valeurs et vertus de la société. Longtemps, la femme sénégalaise a été le poteau qui garantit cette stabilité-là dans l’espoir que les fils qu’elle met au monde, une fois grands, essuieraient ses larmes et frustrations. Des valeurs qui font constamment appel à son sacrifice pour pérenniser la stabilité du noyau sociétal que représente la famille. En effet, dans un Sénégal traditionnel et de plus en plus "islamisé", le plaisir féminin n'a jamais été aussi occulté. L'homme choisit sa femme et peut en prendre d'autres s'il le désire. La femme quant à elle, doit obéissance et fidélité à son mari. Elle lui doit d'être vierge au mariage. Et si par malheur elle venait à divorcer, elle subit la pression de sa famille et celle de la société qui lui donne le surnom de "thiaga" (pute). Une femme par qui passeront les maris infidèles et autres garçons en quête d'expérience. Et aujourd’hui, plus que jamais, les médias par différentes émissions religieuses et autres discussions télévisuelles, relaient cette volonté de rappeler ce sacerdoce aux femmes sénégalaises. Sauf que ce sacrifice devient lourd. Très lourd à porter. Et les nouvelles générations de femmes ne sont plus prêtes à l’endosser. Et avec raison.
C’est à travers l’une de ces talkshows, Confrontation sur la 2STV, que Ndella Madior, femme médecin et célèbre boss des communications vient sonner l’heure du nouveau paradigme de la mentalité de la femme sénégalaise. Elle affirme en effet : « Oui, je suis tombée enceinte hors-mariage et j’ai été heureuse de donner la vie… ». Ndella enfonce même le clou en déclarant « … je ne suis pas lesbienne, bien au contraire, j’aime les hommes et seul un homme, un vrai, peut s’aventurer à demander ma main car je fais l’amour tous les jours… et plusieurs coups le soir… ». Il n’en fallait pas plus pour choquer les Sénégalais et enflammer la toile. À travers les lignes de commentaires des internautes sur plusieurs plateformes, on peut lire plusieurs commentaires qui fustigent le langage « effronté » de la jeune femme, mère de famille. On lui demande de « surveiller son langage et de penser à ses enfants car c’est honteux ». « Qu’une femme ne devrait pas s’exprimer ainsi à la télé… Qu’elle aurait perdu la tête… ». Ceci était tout à fait prévisible et tout cela Ndella n'en a cure. C'est une femme libre dans sa tête et dans ses finances. Mais la colère des uns ne l’emporte pas sur la fascination que suscite l’audace de ses propos. Au-delà du fait qu’elle brave la pudeur que prônent les discours traditionnels et religieux, Ndella Madior incarne la beauté de la femme sénégalaise. Elle fait partie de l’élite intellectuelle et représente ce que j’appelle cette nouvelle classe de femmes sénégalaises bien dans leur peau et qui assument leur sexualité. Ce qui nous change de cet impitoyable et pathétique jongué, purement orienté vers le plaisir et la satisfaction de l’homme sénégalais. Ndella, tel que le suggère Paolo Freire dans la pédagogie des opprimés (1975), vient de « libérer la parole ». Oui, les femmes sénégalaises ont droit au bonheur charnel et elles le veulent. Dorénavant, elles le réclament.
Elle finit par faire une déclaration d'amour en direct à Tafsir Diattara, un ex-mari, pour qui elle serait prêt à s'engager de nouveau. Tafsir serait un " homme fort qui assure..."Inutile de vous dire que j'admire Ndella, son courage et sa détermination mais aussi son engagement à la lutte pour le changement du Code de la famille sénégalais dans un pays aux us et coutumes encore liberticides et réfractaire aux droits les plus basiques de la femme.
Je me dois quand même de préciser que tous ne sont pas forcément contre un assouplissement des traditions qui suggèrent une relation unilatérale de domination dans les rapports hommes-femmes. Et oui, parce que secrètement, les hommes sénégalais rêvent d’une femme « dévergondée » qui n’hésite pas à s’affirmer dans l’intimité. Contradictoire, non ? C’est ça le Sénégal ! D’un côté, il y a ces traditions ancestrales (qui n’en sont pas unes si on se réfère à ce qu’ont été les sociétés sénégalaises d’avant l’islam et le christianisme) et de l’autre, il y a cette jeunesse moderne, libre et consciente de ses vouloirs. Et dans cette masse, il y a les discours et prêches religieux qui, j’ai tendance à le croire, nous tirent vers l’arrière et essaient par tous les moyens de nous imposer un Sénégal qui n’est pas le nôtre.