L’ART EST UN PROBLEME EMINEMMENT ETHIQUE
Palabres avec… Viyé Diba, artiste et formateur

Figure incontournable des Arts visuels au Sénégal, Viyé Diba est également formateur à l’Ecole Nationale des Arts. En ces moments de doutes avec la crise sanitaire, Le Témoin a échangé avec ce dynamique artiste qui a formé une génération de créateurs.
M. Diba, les Arts visuels sont-ils affectés par la pandémie ?
La pandémie est d’origine chinoise comme le qualifiait l’ancien Président Américain, Donald Trump. Suffisant pour qu’elle soit mondiale. Sa vitesse d’expansion suit celle de ses cousins objets de tout genre exposés sur les trottoirs des Allées du centenaire. La Chine est l’usine du monde et joue un rôle de premier plan dans les relations internationales. La maladie suit cette même logique d’expansion économique. Inutile dès lors de se poser la question sur notre affectation par le fléau. Le simple ajournement de la Biennale qui en est découlé explique à suffisance la catastrophe. A cette occasion, le Sénégal et les arts visuels du continent ont perdu énormément. La Biennale, événement culturel le plus important sur le continent, place notre pays sur la carte du monde pour au moins un mois. Les artistes du monde viennent y faire leur marché à la rencontre de galeristes, collectionneurs, programmeurs d’évènements artistiques, critiques d’art. Tous les grands médias du monde s’y donnent rendez-vous. La prudence est de mise et plombe tous les évènements de notre secteur. Les ventes sont rares et cela s’explique par cette incertitude. Mais détrompez-vous les moments de crise sont toujours propices à l’introspection, aux interrogations. Une esthétique nouvelle est en perspective. Pas dans l’anecdote, mais dans la profondeur du langage esthétique. Car ce qui se dessine pour notre humanité est du sérieux, loin de la plaisanterie. Chacun doit revenir à sa réalité profonde. Nous sommes des Africains, des sociétés de fusion qui sont appelées à se transformer en celles de la distance, de l’isolement tout en étant solidaires. Les philosophes et sociologues sont interpellés. Nous devons changer de nature de sociétés. L’esthétique de la distance et de l’isolement, en un mot, le monde est en mode dents de chien. Notre visage s’est transformé en un espace de figuration de la bouche et du nez, les yeux jouant le rôle de sentinelle avec les oreilles en embuscade. Un autre être humain est né. Les mots comme masque, et distanciation sociale ou physique introduisent une nouvelle civilisation.
En ce moment d’incertitudes, on n’entend plus les acteurs d’autres corps de discipline artistique que vous, les acteurs des arts visuels ?
Cette situation de clandestinité professionnelle chez une bonne partie des artistes visuels est antérieure à la pandémie, même si cette dernière l’a amplifiée. L’échelle de la communication sociale a changé, les médias sont entrés dans une autre dimension, les arts visuels, à part la partie multimédia, sont une discipline très particulière. Les arts du spectacle ont pris le pouvoir. Une autre stratégie est à méditer. Le Sénégal doit faire le choix ,qu’il porte un événement qui lui a donné un leadership à consolider afin de rentabiliser ses efforts. L’avènement de l’alternance de 2000 a introduit un autre leadership politique qui a fait son effet sur le secteur. L’essentiel des artistes qui comptent sont à l’international et ont déserté le terrain national. La pandémie est peut-être une aubaine pour un retour en zone afin d’occuper à nouveau le terrain. C’est souhaitable. Un autre type de relation avec l’État s’impose. Cela mérite des études sérieuses. L’État est une fabrique de citoyens, de mentalités et de postures.
Ceci reste valable pour la Sodav ou on semble croire qu’elle reste une propriété des seuls musiciens ?
C’est juste une impression compréhensible, mais loin de la réalité. Toutes les filières s’y côtoient et font bon ménage. Son ancêtre, le BSDA, au départ, était largement dominé par les Lettres à cause de la personnalité de son créateur, le poète- président. La Sodav est un laboratoire interdisciplinaire à conserver et à développer. J’y siège comme membre du conseil d’administration. Pour la première fois, les arts visuels ont pu bénéficier de payement des droits avec une vingtaine de millions. La Sodav doit simplement mettre l’accent sur cette diversité dans sa stratégie de communication.
Qu’est qui explique cette dissonance pour vous ?
C’est encore juste une question de communication…
Revenons sur votre secteur, le marché de l’Art serait-ce une utopie ? Il se pose le problème de la cotation des artistes surtout que chez nous, on ne sait pas qui est qui. Les gens fonctionnant au feeling de l’artiste…
Le marché est toujours un instrument d’un système. Ce qui se passe chez nous est le reflet du système économique en place. Une situation regrettable dans un pays qui est le siège de la Biennale. Un grand gâchis. Le travail qui mérite d’être fait est celui de la professionnalisation de l’environnement de la biennale. Les artistes, le monde de l’économie, les médias et les artistes sont interpellés. Le marché dans tous les pays du monde est fabriqué par un environnement juridique de circonstance. Les artistes doivent se mettre à l’œuvre. Un certain engouement est cependant perceptible à travers des initiatives privées à saluer. Plusieurs galeries et autres lieux d’arts se mettent en place. Les pouvoirs publics doivent appuyer ce courant. Cette situation de confusion est propre à tous les secteurs. Les médias aussi sont interpellés.
Cette situation ne fausse -t- elle pas les règles du jeu?
En effet, mais le Sénégal est un pays qui fonctionne à plusieurs vitesses. Un budget conséquent pour la Biennale. Félicitations pour le Protecteur des Arts ! Mais et surtout l’affectation de l’ancien palais de justice annoncée pendant l’ouverture de la Biennale de 2018 pour en faire un Palais des Arts. Bravo, c’est le sens de l’histoire. Ce bâtiment est le laboratoire qui a vu naître l’État sénégalais par la puissance de l’institution judiciaire qu’il incarnait aujourd’hui et qui fait notre fierté. En faire un lieu du futur par la Culture est simplement une œuvre de grande facture historique. Sa position géographique le recommande comme premier rempart pour notre belle capitale contre l’anonymat. La communauté des arts tous secteurs confondus doit se mobiliser pour ce projet gigantesque. Une mesure qui grandit notre institution judiciaire, nous avons souvenance de ces discours inoubliables d’Isaac Foster, de Keba Mbaye mais aussi d’Ousmane Goundiam dans son mémorable propos et la tonalité à la prestation du président Abdou Diouf en 1981, les versets de Coran qu’il avait prononcés résonnent encore dans ce bâtiment. Oui Monsieur le Président, votre choix est historique. Notre pays doit se mettre à cette hauteur.
Dans une ville qui accueille la biennale de l’art, n’est-ce pas paradoxal qu’il n’existe que peu de galeries et que les expositions soient épisodiques ?
C’est un peu regrettable. Une mobilisation de tous s’impose : Etat, Artistes, monde de l’économie et médias. Il y a de la place pour tout le monde et le pays est plus important que nous tous..
Un musée d’art contemporain a été le vœu des plasticiens, vous retrouvez vous sur le contenu du musée des civilisations noires ?
Le Musée des civilisations noires suit sa trajectoire et il n’est pas le musée d’art contemporain que nous demandions. Ce dernier abrite des expositions d’arts contemporains certes, mais son orientation est autre chose. Le musée d’art contemporain est la suite logique pour un pays qui est l’initiateur de la Biennale de l’art contemporain africain. Pour être rentable, tout une logistique et infrastructures doivent accompagner cet évènement. Il n’est pas seulement un lieu d’exposition, mais une projection des sociétés africaines qui se dessine à travers les langages utilisés par ces artistes. Aider à comprendre le monde, afin de le déconstruire et le reconstruire. Le musée d’art contemporain est le projet le plus pertinent pour notre pays vu sa posture.
Beaucoup d’édifices publics sont construits, les artistes sont-ils associés dans le cadre de l’embellissement des lieux ?
C’est une situation ambigüe. Le président a montré la direction pour le centre Abdou Diouf. Mais depuis le début des années 2000, nous constatons que plusieurs sociétés nationales et autres projets publics ont acquis des œuvres dans des conditions qui restent à éclaircir. Il suffit de faire un tour dans ces édifices pour constater. La loi de 1968 et son décret d’application sont très clairs, mais ça aussi, c’est le Sénégal. Les artistes doivent se mobiliser pour l’effectivité de l’application de ces lois et décrets.
Diba reste il toujours cet artiste engagé ?
Je ne comprends pas ce vocable, je me laisse aller au gré de l’évolution de la société et du monde. Le monde est fluctuant voire dynamique. L’artiste est un voyageur qui est entraîné par ce courant. Son rôle est de rester perméable aux énergies ambiantes et de restituer ces énergies sous forme d’œuvres d’art. Oui, je suis toujours en mouvement en complicité avec ce monde et le langage de circonstance. Je me questionne comme tout le monde pour comprendre ce monde qui tient ce langage inaudible. Se projeter dans le futur avec la science et la technologie, mais aussi, je m’étonne pour ce même monde qui s’engage sur une voie de son propre anéantissement. Un jeu intéressant. Oui, je suis toujours engagé dans cette direction, un artiste n’est pas seulement un producteur de jolies choses puisque le mot beau est trop noble. Être artiste est une question de gentleman et l’art est un problème éminemment d’éthique.
Quel sens donnez-vous à votre travail artistique ?
Etre à la hauteur de l’humain.