QUAND DES NERVIS SE SUBSTITUENT AUX FORCES DE L’ORDRE
Le régime socialiste a eu ses «Tontons Macoutes». Les «Calots bleus» ont accompagné le règne du Parti Démocratique Sénégalais. Les apéristes sont arrivés au pouvoir avec «les Marrons du feu»
Depuis quelques années, l’espace politique sénégalais est infesté de gros bras communément appelés nervis. Ces milices d’un type nouveau sont souvent recrutées par les partis au pouvoir lors d’élections ou de manifestations organisées par l’opposition. Cette pratique longtemps décriée par les populations a refait surface durant les évènements malheureux liés à l’arrestation d’Ousmane Sonko.
Le régime socialiste a eu ses «Tontons Macoutes». Les «Calots bleus» ont accompagné le règne du Parti Démocratique Sénégalais (Pds). Les apéristes sont arrivés au pouvoir avec «les Marrons du feu». Quelle que soit leur appellation, les nervis ont accompagné les différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Une pratique qui donne l’impression d’avoir deux armées au Sénégal : celle légale et une autre qui n’intervient qu’en période de tension. C’est la lecture que l’on peut faire des derniers évènements provoqués par l’arrestation d’Ousmane Sonko. Au cours de ces manifestations, de nombreux nervis ont été mobilisés.
Armés de coupe-coupe, machettes, bâtons, ces miliciens sont intervenus aux côtés des forces de défense et de sécurité pour mater du manifestant. Une situation qui a choqué et sidéré une bonne partie de l’opinion. Surtout que cette prérogative appartient aux forces de défense et de sécurité. Cependant, il urge de préciser que l’intervention des gros bras lors des manifestations est antérieure aux manifestations nées de l’affaire «Sweet Beauty», et pour cause. En mars 2015, alors que Karim Wade est traduit devant la Cour de Répression et d’Enrichissement Illicite (Crei), des nervis auraient été recrutés par le lutteur Bathie Seras et Aminata Nguirane (présidente de Horizon 2017) pour s’en prendre à la mairie d’Aliou Sall et aux différents points stratégiques de la banlieue tels que Bountou Pikine, Patte d’Oie, le Rond-point des Parcelles etc...
Deux ans auparavant, le lutteur Boy Nar avait été accusé d’avoir recruté des nervis pour le compte du Pds. Le 04 mars 2012, alors que le Sénégal s’achemine vers le second tour de la présidentielle, la coalition Macky 2012 dénonçait, dans un communiqué, «des pratiques de rapine perpétrées par des responsables des Forces Alliées 2012 et tendant à perturber le bon déroulement du second tour de l’élection présidentielle». Et les partisans de Macky Sall d’alerter à l’époque sur «le recrutement de nervis pour perturber le vote dans les bastions de la Coalition Macky 2012».
A la veille des évènements du 23 juin 2011, des nervis s’étaient attaqués à la mairie de Sacré-Cœur/Mermoz dirigée par Barthélémy Dias. Ce qui avait déclenché des échanges de tirs ayant occasionné la mort de Ndiaga Diouf, l’un des supposés nervis recrutés par les tenants du régime de Me Abdoulaye Wade. A l’époque, le maire socialiste de Sacré-Cœur n’avait pas hésité à lancer : «Des nervis envoyés par le PDS se sont attaqués à la Mairie et ont voulu s’attaquer à mon domicile pour y mettre le feu. Je suis sorti, je me suis mis devant la Mairie, nous nous sommes regardés en chiens de faïence pendant quelques instants et puis à un moment donné, nous avons déclenché les hostilités. Comme ils étaient venus pour se battre, on ne pouvait les laisser partir… Ce ne sont pas des responsables ou des jeunes du Pds. Ce sont des nervis. Pourquoi Abdoulaye Wade n’envoie pas les jeunes de l’Ujtl? Ce sont des nervis qui ont été recrutés».
Agissant en légitime défense, Barthélémy Dias avait reconnu avoir ouvert le feu : «J’ai tiré deux coups en l’air, c’est ce que dit la loi. J’ai ouvert le feu sur les gens. Je reconnais avoir touché trois personnes, j’espère qu’elles ne sont que blessés, si elles sont mortes, je présente mes condoléances anticipées à leurs familles. Comme Abdoulaye Wade a dit œil pour œil, dent pour dent, je lui souhaite la bienvenue au Far West.» Des lutteurs recrutés pour faire la police Souvent, ce sont des lutteurs qui sont recrutés pour faire office de nervis. D’ailleurs, dans une de ses récentes sorties sur «France24», le ministre de la Justice, Me Malick Sall, avait déclaré que «les jeunes qui sont sortis sont des lutteurs. Ils fréquentaient les écoles pour s’entraîner matin, midi et soir. Cela fait un an qu’il n’y a plus de combat de lutte, c’est pourquoi ils sont sortis pour manifester. On les a privés de la lutte. C’est pourquoi, ils sont fâchés et sont sortis pour tout saccager.» Bien que des voix se soient élevées pour démentir cette assertion du garde des Sceaux, il n’en demeure pas moins que les seuls à être recrutés jusque-là pour faire «le sale boulot» des hommes politiques sont des lutteurs.
Force est de constater que des lutteurs sont souvent cités dans des histoires pareilles. L’on se rappelle que Bathie Séras et Boy Nar avaient tous été arrêtés pour avoir recruté des gros bras à la solde d’un quelconque régime.