LES LIMITES DES LIBERTÉS DU JOURNALISTE
La presse sénégalaise demande depuis des années que l’Etat dépénalise les délits de presse
Les Fake news, la manipulation, les dérives telles que les insultes les plus ordurières polluent aujourd’hui le secteur des média. Interrogés par « Le Témoin » sur les limites de la liberté de presse, des confrères et conseillers en stratégie et organisation, donnent leur avis.
La presse sénégalaise demande depuis des années que l’Etat dépénalise les délits de presse. Une revendication mise sous le boisseau par les différents pouvoirs, de celui du président Abdoulaye Wade à celui de son successeur, l’actuel chef de l’Etat Macky Sall. Beaucoup de parlementaires, d’hommes politiques et de Sénégalais lambda ont toujours exprimé leur peur de voir des journalistes bénéficier de plus de liberté, voire d’une impunité totale pour porter atteinte à l’intégrité morale d’honnêtes citoyens ou de saper la cohésion sociale du pays à cause de leurs écrits ou de leurs commentaires audio ou visuels. Aujourd’hui, de plus en plus, plusieurs personnes par les canaux des nouveaux médias (sites d’information et les réseaux sociaux d’une manière générale) et même de la presse traditionnelle, attaquent des citoyens en usant de leur casquette de journalistes.
Le conseiller en stratégies et organisation Sarakhe Ndiaye, qui suit depuis plus de 30 ans la presse nationale, estime que la liberté du journaliste s’arrête là où se situe la limite fixée par l’observance des règles de son métier. « Le journalisme est normé et obéit à des considérations techniques, éthiques et déontologiques. Le cœur de son métier est de donner de l’information en se fondant sur des faits et d’éclairer la lanterne de ses lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Si l’on veut parler du cas précis de Madiambal, il semble bien dépasser ce cadre pour se retrouver dans une posture moins indiquée en faisant fi de ce qu’exige sa mission », a indiqué M. Ndiaye.
A cet effet, il soutient que « la République a ses règles et nul n’a un blanc-seing pour dire tout ce qui lui est loisible. C’est la réputation et l’honorabilité des sujets sur lesquels on écrit qui en pâtissent. Donc, nécessairement, il faut savoir raison garder ». Sarakh Ndiaye insiste sur le fait que les journalistes doivent respecter les textes qui régissent leur métier. « Du fait des rapports de forces et des enjeux de pouvoir de toutes sortes, les journalistes deviennent des armes redoutables dans les guerres d’opinion. Ils sont alors à la merci des manipulations allant dans le sens de faire pencher la balance en faveur d’un camp. Et les intéressés ne lésineront pas sur tous les moyens imaginables pour parvenir à leurs fins.
Face à cette donne, seule la conformité aux règles professionnelles et éthiques peut sauver le journaliste », a-t-il conclu. Pour le chargé de communication du Cored (Conseil pour le respect des règles d’éthique et de déontologie), Samba Dialimpa Badji, le journaliste ne peut pas tout se permettre dans l’exercice de son métier. « L’exercice du travail de journaliste est encadré par la loi. Il y a d’abord le code pénal qui énumère dans sa section 6 les infractions commises par tous moyens de diffusion publique. C’est le cas de la diffusion des fausses nouvelles, de la diffamation. Il y a ensuite le code de la presse qui parle des devoirs des journalistes. Ces deux textes montrent clairement que le journaliste ne peut pas tout dire sans être inquiété », rappelle Samba Dialimpa Badji.
C’est dans la même lancée qu’abonde l’ancien directeur de publication du quotidien « EnQuête », Ibrahima Khalil Wade. « Je pense que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Ce principe sur la liberté est sacré. Partant de ce fait, nul n’a le droit, au nom de la liberté, de porter préjudice ou bien du tort à ses semblables à travers ses écrits, paroles ou comportements. Ces remarques sont plus valables encore chez le journaliste. Ce dernier n’est pas n’importe qui dans une société, son rôle est certes d’informer vrai et juste, mais il ne doit jamais perdre de vue que : tout ne se débat pas. Il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Et il est de notre devoir de dénoncer tous ceux qui, pour une raison ou une autre, tentent de semer la zizanie dans notre nation. Personne n’a le droit d’anéantir notre cohésion sociale », estime Ibrahima Khalil Wade.
A l’en croire, la liberté de presse n’autorise pas le journaliste à verser dans les excès. « Liberté ne signifie pas libertinage. Il faut de la mesure et de la responsabilité en tout. Il est grand temps que les gens reviennent à la raison. Si la pirogue Sénégal sombre, personne ne s’en relèvera. D’où l’intérêt pour tous les acteurs, y compris et surtout les journalistes, de prendre de la hauteur et d’être plus responsables dans les actes qu’ils posent au quotidien », a conseillé, pour conclure, l’ancien directeur de publication du quotidien « EnQuête ».